Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Bientôt la nuit amenait ses ombres sur la terre ; en mer, les matelots sur leur navire avaient fixé leur regard sur Héliké et les étoiles d'Orion ; déjà, le voyageur et le gardien de portes aspiraient au sommeil ; même la mère qui avait perdu ses enfants sombrait dans une profonde torpeur ; plus d'abois de chiens à travers la ville, plus de rumeur sonore, le silence régnait sur les

ténèbres toujours plus noires. Mais le doux sommeil n'envahit pas Médée ; car les soucis en foule, dans sa passion pour l'Aisonide, la tenait en éveil : elle craignait la brutale fureur des taureaux qui devaient le faire périr d'une mort pitoyable dans la jachère d'Arès.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Rappelons que la mère des Muses, Mnêmosynê, était la déesse de la mémoire : dans sa forme la plus élevée, la poésie épique et tragique, avait pour mission de préserver de l'oubli les traditions où s'ancrait l'identité de la culture grecque - quitte à, naturellement, les mettre à jour, les repenser ou les interroger à chaque génération -, tandis que les genres moins côtés, la

comédie ou le roman, avaient la liberté (et le fardeau) de créer des histoires et des personnages inédits.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Quand un homme court le monde loin de sa patrie - nous autres hommes, il nous arrive souvent d'errer dans nos malheurs ; il n'est alors pas de terre trop lointaine et toutes les routes s'offrent à notre vue - l'exilé voit dans son esprit sa propre maison ; la route de mer et celle de terre se montrent à lui simultanément et, dans la rapidité de ses pensées, il suit des yeux tantôt l'une,

tantôt l'autre.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Il chantait comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus entre eux dans un ensemble unique, à la suite d'une funeste discorde, furent séparés et mis chacun en son lieu ; comment dans l'éther un emplacement fixé à jamais fut assigné aux astres et aux routes de la lune et du soleil ; comment les montagnes s'élevèrent et comment naquirent les fleuves sonores avec leurs Nymphes,

ainsi que tous les animaux.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

... par des enchantements elle invoqua les Furies […] qui, tournant sans cesse dans les airs, sont toujours prêts à se jeter sur les mortels. Elle se mit ensuite à genoux et les conjura trois fois par de nouveaux charmes et trois fois par de simples prières. Dès qu'elle fut remplie de leur esprit malin, elle fascina par des regards pleins de haine les yeux de Talos, et, toute hors

d'elle-même, elle souffla sur lui sa rage et lui envoya d'horribles fantômes. […] Ainsi Talos […] succomba sous le pouvoir de Médée. […] Avec elle ses forces l'abandonnent, et bientôt il ne peut plus soutenir ses membres. Tel qu'un pin élevé que des bûcherons ont laissé demi-abattu sur une montagne, agité durant la nuit par les vents, se brise entièrement et est renversé, tel le

géant, après avoir chancelé quelque temps, tombe enfin sans force avec un bruit effroyable.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Le vent […] porte bientôt le vaisseau à la vue d'une île couverte de fleurs, et d'un aspect riant. Elle était habitée par les Sirènes, si funestes à ceux qui se laissent séduire par la douceur de leurs chants. Filles d'Achéloos et de la Muse Terpsichore, elles accompagnaient autrefois Perséphone et l'amusaient par leurs concerts […]. Depuis, transformées en des monstres moitié

femmes et moitié oiseaux, elles étaient retirées sur un lieu élevé, près duquel on pouvait facilement aborder. De là, portant de tous côtés leurs regards, elles tâchaient d'arrêter les étrangers qu'elles faisaient périr en les laissant consumer par un amour insensé. Les Argonautes, entendant leurs voix, étaient près de s'approcher du rivage, mais Orphée, prenant en main sa lyre,

charma tout à coup leurs oreilles par un chant vif et rapide qui effaçait celui des Sirènes.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Je chantais, et sur leur sommet neigeux les sirènes restaient muettes d'étonnement ; leurs chants avaient cessé. L'une jeta sa flûte, l'autre jeta sa cithare, et elles soupirèrent profondément, car l'heure fatale de leur mort était venue. Du sommet des rochers elles se précipitèrent elles-mêmes dans les ondes mugissantes de l'abîme : leurs beaux corps dont les formes étaient si

charmantes furent changés en rochers.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

J’invoquai le som- meil, le roi des dieux et des hommes, pour qu’il vînt au plus tôt calmer la colère du terrible dragon. [...] Il arriva porté sur ses ailes d’or [...]. Il s’empara aussitôt des yeux de l’immense dragon. Le monstre recourba son cou chargé d’écailles et ramena sa tête sous son ventre.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

La voix mélodieuse de ma lyre se répandait à travers les profondeurs étroites de la caverne ; les hauts sommets et les vallées ombreuses du Pélion furent émues, et la voix parvint jusqu’aux chênes élevés : ébranlés dans leurs plus profondes racines, ils s’approchèrent de la caverne ; [...] les bêtes féroces, entendant nos chants, arrivaient rapidement devant la grotte ; les

oiseaux, se soutenant à peine sur leurs ailes fatiguées, oublièrent leurs nids et environ- nèrent la demeure du Centaure. Le Centaure vit ces prodiges et fut étonné, il frappa ses mains et de son pied il fit retentir la terre.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Argo, toi dont les flancs sont tissus de chênes et de sapins assujétis ensemble, écoute ma voix, car déjà tu l’as entendue lorsque je charmais par mes accens les arbres des épaisses forêts, et que les rochers inaccessibles, abandonnant les montagnes, descendaient à mes accents. Viens donc, avance-toi dans les sentiers de la mer parthénienne et hâte-toi de traverser les flots

jusqu’aux rives du Phase. Viens, confiant dans la puissance de ma lyre et dans les paroles divines qui sortent de ma bouche.

Apollonios de Rhodes
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Mais le navire demeurait pesamment enfoncé dans le sable, et, retenu sur le sol par les algues desséchées, il refusait d’obéir aux mains puissantes des héros. Le cœur de Jason fut saisi de douleur : il jeta sur moi un regard pénétrant, et me fit signe de ranimer par mes accords le courage et la force de ses compagnons fatigués. Alors je tendis ma lyre, je répétai les chants harmonieux

que j’avais appris de ma mère, et ma voix mélodieuse s’élança de mon sein.

Apollonios de Rhodes
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Alors je quittai mon antre agréable, je partis emportant ma lyre avec moi, et mes pieds agiles me conduisirent aux bords du Pagase, auprès des héros Minyens.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Le lendemain, aussitôt que l'aurore eut frappé de ses rayons le sommet des cieux, on se rembarque à la faveur du zéphyr, on lève avec joie les ancres, et on déploie les voiles. Le vent qui les enfle porte bientôt le vaisseau à la vue d'une île couverte de fleurs, et d'un aspect riant. Elle était habitée par les Sirènes, si funestes à ceux qui se laissent séduire par la douceur de

leurs chants. Filles d'Achéloüs et de la Muse Terpsichore, elles accompagnaient autrefois Proserpine et l'amusaient par leurs concerts, avant qu'elle eût subi le joug de l'hymen. Depuis, transformées en des monstres moitié femmes et moitié oiseaux, elles étaient retirées sur un lieu élevé, près duquel on pouvait facilement aborder. De là, portant de tous côtés leurs regards, elles

tâchaient d'arrêter les étrangers, qu'elles faisaient périr en les laissant consumer par un amour insensé. Les Argonautes, entendant leurs voix, étaient près de s'approcher du rivage ; mais Orphée, prenant en main sa lyre, charma tout à coup leurs oreilles par un chant vif et rapide qui effaçait celui des Sirènes, et la vitesse de leur course les mit tout à fait hors de danger.

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Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Attirés par la douceur de ses chants, les monstres marins et les poissons mêmes, sortant de leur retraite, s’élançaient tous ensemble à la surface de l’onde et suivaient en bondissant le vaisseau, comme on voit dans les campagnes des milliers de brebis revenir du pâturage en suivant les pas du berger qui joue sur son chalumeau un air champêtre.

Apollonios de Rhodes
Apollonios de Rhodes

Tels que des jeunes gens qui, dansant au son du luth autour de l’autel d’Apollon, [...] attentifs aux accords de l’instrument sacré, frappent en cadence la terre d’un pied léger : tels les compagnons de Jason, au son de la lyre d’Orphée, frappent tous ensemble les flots de leurs longs avirons.

Apollonios de Rhodes
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Orphée avait fini de chanter, et chacun restait immobile. La tête avancée, l’oreille attentive, on l’écoutait encore, tant était vive l’impression que ses chants laissaient dans les âmes.

Apollonios de Rhodes
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Le divin Orphée prit en main sa lyre, et mêlant à ses accords les doux accents de sa voix, il chanta comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus ensemble, avaient été tirés de cet état funeste de chaos et de discorde, la route constante que suivent dans les airs le soleil, la lune et les autres astres, la formation des montagnes, celle des fleuves, des nymphes et des animaux.