[…] pendant plusieurs siècles, l'histoire n'est qu'un chaos dégoûtant qui à peine mérite d'être connu. Cette époque ténébreuse ne fournit rien non plus ni en morale ni en belles-lettres. C'est un désert qu'il faut traverser pour arriver au règne de Charlemagne, où notre histoire moderne reprend quelque intérêt.
Pour arriver à elle, pour jouir d’elle, le désir de l’aimé devait traverser toute cette ombre qu’il croyait faite d’innombrables amours inconnues, et, par cette méprise outrageante, il devait se contaminer, se corrompre, s’aigrir, devenir cruel, se changer peut-être en dégoût. Toujours cette ombre devait exciter en lui l’instinct de férocité bestiale qui se cachait au fond de
sa sensualité puissante.
Quand M. Calder s’était installé, ils avaient d’abord consacré quelque temps à le mettre à l’épreuve avant de conclure qu’il était inoffensif. Il ne leur avait pas fallu longtemps non plus pour découvrir quelque chose d’autre. Nul, si petit fût-il et quelque précautions qu’il prît, ne pouvait traverser le plateau inaperçu. Deux oreilles fines auraient entendu, deux yeux
couleur d’ambre auraient vu ; et, immanquablement, Rasselas apparaissait à la porte restée ouverte et interrogeait du regard M. Calder qui répondait :
- Oui, ce sont les petits Léger et leur sœur. Je les ai vus, moi aussi.
Et Rasselas repartait d’un pas majestueux s’étendre à l’abri du tas de bois, endroit qu’il avait élu pour y couler ses journées.
Hormis les enfants, les visiteurs étaient chose rare au cottage. Le facteur y montait en poussant sa bicyclette une fois par jour ; les camionnettes de livraison faisaient leur apparition au jour convenu : le poissonnier le mardi, l’épicier le jeudi, le boucher le vendredi. En été, il arrivait à des promeneurs de couper par-là, sans se rendre compte que le propriétaire du cottage
avait été averti de leur approche, de leur passage et de leur disparition.
La seule personne à rendre régulièrement visite à M. Calder était M. Behrens, le maître d’école retraité qui vivait dans le creux de la vallée, deux cents mètres environ à la sortie du village de Lamperdown, dans une maison qui autrefois avait été le presbytère. M. Behrens s’occupait de ses
abeilles et vivait en compagnie de sa tante. Avec sa tête inclinée vers l’avant, sa peau brune et ridée, ses yeux qui clignaient sans cesse et son air bourru, il ressemblait à une tortue que l’on aurait tirée prématurément de son sommeil hivernal. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         00
L’intrus
Quand M. Calder s’était installé, ils avaient d’abord consacré quelque temps à le mettre à l’épreuve avant de conclure qu’il était inoffensif. Il ne leur avait pas fallu longtemps non plus pour découvrir quelque chose d’autre. Nul, si petit fût-il et quelque précautions qu’il prît, ne pouvait traverser le plateau inaperçu. Deux oreilles fines
auraient entendu, deux yeux couleur d’ambre auraient vu ; et, immanquablement, Rasselas apparaissait à la porte restée ouverte et interrogeait du regard M. Calder qui répondait :
- Oui, ce sont les petits Léger et leur sœur. Je les ai vus, moi aussi.
Et Rasselas repartait d’un pas majestueux s’étendre à l’abri du tas de bois, endroit qu’il avait élu pour y
couler ses journées.
Cette institution eut sans doute, dans le principe, un but d’utilité pour l’art et les artistes. Il ne m’appartient pas de juger jusqu’à quel point les intentions du fondateur ont été remplies à l’égard des peintres, sculpteurs, graveurs et architectes ; quant aux musiciens, le voyage d’Italie, favorable au développement de leur imagination par le trésor de poésie que la
nature, l’art et les souvenirs étalent à l’envi sous leurs pas, est au moins inutile sous le rapport des études spéciales qu’ils y peuvent faire. Mais le fait ressortira plus évident du tableau fidèle de la vie que mènent à Rome les artistes français. Avant de s’y rendre, les cinq ou six nouveaux lauréats se réunissent pour combiner ensemble les arrangements du grand voyage qui
se fait d’ordinaire en commun. Un voiturin se charge, moyennant une somme assez modique, de faire parvenir en Italie sa cargaison de grands hommes, en les entassant dans une lourde carriole, ni plus, ni moins que des bourgeois du marais. Comme il ne change jamais de chevaux, il lui faut beaucoup de temps pour traverser la France, passer les Alpes, et parvenir dans les États-Romains ; mais ce
voyage à petites journées doit être fécond en incidents pour une demi-douzaine de jeunes voyageurs, dont l’esprit, à cette époque, est loin d’être tourné à la mélancolie. Si j’en parle sous la forme dubitative, c’est que je ne l’ai pas fait ainsi moi-même ; diverses circonstances me retinrent à Paris, après la cérémonie auguste de mon couronnement, jusqu’au milieu de
janvier ; et après être allé passer quelques semaines à la Côte-Saint-André, où mes parents, tout fiers de la palme académique que je venais d’obtenir, me firent le meilleur accueil, je m’acheminai vers l’Italie, seul et assez triste. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         00
Les représentations de l’Opéra furent un peu négligées, cela se conçoit, et je ne manquai pas une de celles de l’Odéon. Mes entrées m’avaient été accordées à l’orchestre de ce théâtre ; bientôt je sus par cœur tout ce qu’on y exécutait de la partition du Freyschütz.
L’auteur lui-même, alors, vint en France. Vingt et un ans se sont écoulés depuis ce jour
où, pour la première et dernière fois, Weber traversa Paris. Il se rendait à Londres, pour y voir à peu près tomber un de ses chefs-d’œuvre (Obéron) et mourir. Combien je désirai le voir ! avec quelles palpitations je le suivis, le soir où, souffrant déjà, et peu de temps avant son départ pour l’Angleterre, il voulut assister à la reprise d’Olympie. Ma poursuite fut vaine. Le
matin de ce même jour Lesueur m’avait dit : «Je viens de recevoir la visite de Weber ! Cinq minutes plus tôt vous l’eussiez entendu me jouer sur le piano des scènes entières de nos partitions françaises ; il les connaît toutes.» En entrant quelques heures après dans un magasin de musique : «Si vous saviez qui s’est assis là tout à l’heure ! — Qui donc ? — Weber !» En
arrivant à l’Opéra et en écoutant la foule répéter : «Weber vient de traverser le foyer, — il est entré dans la salle, — il est aux premières loges.» Je me désespérais de ne pouvoir enfin l’atteindre. Mais tout fut inutile ; personne ne put me le montrer. À l’inverse des poétiques apparitions de Shakespeare, visible pour tous, il demeura invisible pour un seul. Trop inconnu
pour oser lui écrire, et sans amis en position de me présenter à lui, je ne parvins pas à l’apercevoir.
Oh ! si les hommes inspirés pouvaient deviner les grandes passions que leurs œuvres font naître ! S’il leur était donné de découvrir ces admirations de cent mille âmes concentrées et enfouies dans une seule, qu’il leur serait doux de s’en entourer, de les
accueillir, et de se consoler ainsi de l’envieuse haine des uns, de l’inintelligente frivolité des autres, de la tiédeur de tous !
Malgré sa popularité, malgré le foudroyant éclat et la vogue du Freyschütz, malgré la conscience qu’il avait sans doute de son génie, Weber, plus qu’un autre peut-être, eût été heureux de ces obscures, mais sincères adorations. Il
avait écrit des pages admirables, traitées par les virtuoses et les critiques avec la plus dédaigneuse froideur. Son dernier opéra, Euryanthe, n’avait obtenu qu’un demi-succès ; il lui était permis d’avoir des inquiétudes sur le sort d’Obéron, en songeant qu’à une œuvre pareille il faut un public de poëtes, un parterre de rois de la pensée. Enfin, le roi des rois, Beethoven,
pendant longtemps l’avait méconnu. On conçoit donc qu’il ait pu quelquefois, comme il l’écrivit lui-même, douter de sa mission musicale, et qu’il soit mort du coup qui frappa Obéron. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         00
La vision d’un être vivant est une vision efficace, limitée aux objets sur lesquels l’être peut agir : c’est une vision canalisée, et l’appareil visuel symbolise simplement le travail de canalisation.
(…) Plus précisément, nous comparions le procédé par lequel la nature construit un œil à l’acte simple par lequel nous levons la main. Mais nous avons supposé que la main
ne rencontrait aucune résistance. Imaginons qu’au lieu de se mouvoir dans l’air, ma main ait à traverser de la limaille de fer qui se comprime et résiste à mesure que j’avance. A un certain moment, ma main aura épuisé son effort, et à ce moment précis, les grains de limaille se seront juxtaposés et coordonnés en une forme déterminée, celle même de la main qui s’arrête et
d’une partie du bras. Maintenant, supposons que la main et le bras soient restés invisibles. Les spectateurs chercheront dans les grains de limaille eux-mêmes, et dans les forces intérieures à l’amas, la raison de l’arrangement. Les uns rapporteront la position de chaque grain à l’action que les grains voisins exercent sur lui : ce sont les mécanistes. D’autres voudront qu’un
plan d’ensemble ait présidé au détail de ces actions élémentaires : ils seront finalistes. Mais la vérité est qu’il y a tout simplement eu un acte indivisible, celui de la main traversant la limaille.
(…) Dans l’hypothèse que nous proposons le rapport de la vision à l’appareil visuel serait à peu près celui de la main à la limaille de fer qui en dessine, en canalise et
en limite le mouvement.
(L’élan vital - Chapitre 1 - De l'évolution de la vie - Mécanisme et finalité) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         30
Pour les représentants de la troïka, assis dans leurs bureaux éclairés au néon à Bruxelles, Francfort et Washington, c'était un cauchemar. Ils ne pouvaient plus atterrir à Athènes et traverser la ville dans des convois de Mercedes et de BMW pour imposer leur férule. Des idées dangereuses circulaient, qui risquaient de contaminer les Européens – les Espagnols, les Italiens, voire les
Français : qui sait, peut-être serait-il possible de recouvrer sa souveraineté et sa dignité de nation au sein de l'Europe ? La troïka aurait aimé récupérer ses deniers, mais, vu le contexte, c'était secondaire. Les créanciers savaient que l'austérité accrue et le refus des échanges de dettes réduisaient les revenus des Grecs et augmenteraient le prix à payer à long terme, mais peu
importe. Le ministre des Finances slovaque, le cheerleader le plus zélé de Schaüble, le formula ainsi quelques mois plus tard :
— Il fallait être dur avec la Grèce à cause du printemps grec.