« Quelqu’un peut passer toute sa vie entre quatre murs. S’il ne se rend pas compte ou ne sait pas qu’il est en prison, alors il ne se sent pas prisonnier. Il existe des gens pour qui la planète entière est une prison. Qui voient l’espace infini du monde, les millions d’étoiles et de corps célestes étrangers dont l’accès leur est fermé pour toujours. Cette conscience fait
d’eux les plus grands esclaves du temps et de l’espace. »
Le terroriste moderne est le lointain descendant du combattant irrégulier des guerres de partisans. La différence est qu’il vise désormais des cibles indistinctes et qu’il agit à l’échelle mondiale, ce qui veut dire qu’il s’est « déterritorialisé ». Le terrorisme global est à l’image de notre temps : trasnational, fluide, organisé en réseaux. […] Les victimes des bombes
ne sont jamais la cible principale du terrorisme. Celui-ci vise avant tout les gouvernements et les opinions publiques. Les victimes immédiates ne sont pas des fins en soi, mais des moyens pour faire pression et frapper les esprits. Les médias, contraints de faire leurs gros titres sur l’événement, en sont le relais principal et, objectivement, les auxiliaires majeurs. […] En outre, même
s’il existe un lien entre eux, ce serait une grave erreur de confondre l’islam avec l’islamisme et l’islamisme avec le terrorisme. Il importe surtout de comprendre que, si les terroristes commettent des actes criminels, ce ne sont ni des « fous », ni des « criminels de droit commun », ni même des « fanatiques » dénués de toute rationalité. Leurs actes sont d’abord des actes
politiques. Ils sont la conséquence de situations politiques concrètes.
[…] Sous la croix de Lorraine, le socialiste d’hier ne demande pas au camarade qui tombe s’il était hier Croix de feu. Dans l’argile fraternelle du terroir, d’Estienne d’Orves et Gabriel Péri ne se demandent point si l’un était royaliste et l’autre communiste. Compagnons de la même libération, le père Savey ne demande pas au lieutenant Dreyfus quel dieu ont invoqué ses
pères. […]
Il n’est pas d’objectivité sans l’esprit d’examen. Que s’il est vrai que l’esprit d’examen s’attaque aux choses les plus saintes, les choses les plus saintes se corrompent, s’ils ne les menace : la sainteté ne dure qu’un moment et l’ombre qu’elle jette s’emplit d’impostures.
Quel est le moyen de voir juste? de se compter pour rien d’abord et cela n’a jamais été facile. Un homme, qui joue un grand rôle, ne peut faire abstraction de soi-même : aussi les livres écrits par les politiques, les diplomates et les militaires emportent-ils un plaidoyer, quand ils sont malheureux et lorsqu’ils sont heureux, une manière de panégyrique. Le plus rare est qu’ils
reconnaissent leurs limites et qu’ils avouent, non sans humilité, leurs fautes, c’est trop leur demander que d’oublier un seul moment leur personnage. Un homme obscur, s’il est de plus un philosophe, est en possession de s’ignorer par esprit de méthode et d’être un contemplateur désintéressé, ce genre d’exercice est une forme d’ascétisme et par laquelle le ressentiment, que
l’on éprouve à raison de l’obscurité, se dissout bel et bien.
Pourquoi ce pays n’a-t-il plus d’élites? s’il en avait encore, il aurait une mission, un style et des idées, sa langue ne serait pas devenue l’affreux jargon qui blesse déjà nos oreilles, sa politique enfin n’eût pas été si malheureuse et quelquefois si méprisable. Il n’a donc plus d’élites, il a des classes dominantes et c’est tout, il en a plusieurs et qui sortent de
diverses souches, elles se mêlent plus ou moins, on trouve là-dedans quelques porteurs de noms illustres, beaucoup de mandarins recrutés au concours et plusieurs parvenus aussi, dont la présence étonne.
Comme les Yahoos croisés par Gulliver au pays des Houyhnhnms, les hommes de l’outre-modernité ne se servent de leur raison que pour accroître et multiplier leurs perversions. A l’exclusif service du vice la dialectique subit d’inédites contorsions dès lors qu’il s’agit de lui faire justifier une infamie. Les bêtes sauvages ont plus de bonheur que ceux qui, parmi les hommes, sont
victimes de l’erreur : elles se repaissent d’ignorance, mais du moins elles ne contrefont pas la vérité. Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable, mais s’il advient, comme souvent, qu’il le soit, l’opinion préférera le faux même suprêmement invraisemblable.
Joseph de Maistre est précisément l’homme et le penseur qu’habite une absence absolue de compromission avec ce qu’il refuse et dénonce. S’il est vrai, comme le dit l’Apocalypse, que le Seigneur vomit les tièdes, on voit mal comment l’ardeur catholique de l’auteur des Considérations sur la France, dont tant de petites glottes gercées par les fausses bienséances ont mal à
dégurgiter les salutaires sucs, on voit mal comment l’auteur de l’Examen de la philosophie de Bacon, qui élimine l’idole empiriste avec le brio d’un rationalisme apologétique ayant aujourd’hui quasiment disparu des rangs de ce qui reste de culture chrétienne, on voit mal comment l’auteur des inaltérables Soirées de Saint-Pétersbourg pourrait en son zèle, présenter un motif
d’indigestion à l’estomac suprême.
C’était comme s’il n’y avait pas de noms, ici, comme s’il n’y avait pas de paroles. Le désert lavait tout dans son vent, effaçait tout. Les hommes avaient la liberté de l’espace dans leur regard, leur peau était pareille au métal.