Henri Bergson
Henri Bergson

Sans doute une chute est toujours une chute, mais autre chose est de se laisser choir dans un puits parce qu’on regardait n’importe où ailleurs, autre chose y tomber parce qu’on visait une étoile. C’est bien une étoile que Don Quichotte contemplait.

Louis C.K.
Louis C.K.

Il y a à peu près un an, je suis descendu dans la cour de mon immeuble pour la première fois. C'était un dimanche matin, et c'est le moment de la semaine où je suis le moins présentable. J'avais un tee-shirt avec des tâches de nourriture, de moi, d'autres choses… et j'étais assis là dans cette cour où je me sentais un peu décalé. Et j'ai remarqué ce type de l'autre côté de la

cour, le genre chic, et il me regardait comme ça [grimace de dégoût et de suspicion]. Je sais qu'il était persuadé que je ne vivais pas dans l'immeuble, que je traînais dans la rue et que j'avais décidé de venir m'assoir dans la cour. Et je sais qu'il avait envie de venir et de s'occuper de moi lui-même. Je me disais « Oh, s'il te plait, fais-le! », et j'ai essayé de paraître encore

plus dégueu.
Finalement, je le vois venir vers moi, genre « ah non, ça ne va pas se passer comme ça… » Et moi, j'étais tellement excité! D'avoir cette confrontation dans laquelle je n'ai absolument pas tort! Il arrive devant moi et il me dit : « Excusez-moi. Est-ce que vous habitez ici? » Et je lui répond « Non. » Alors il me dit : « Mais alors qu'est-ce que vous faites là? »

Je lui dit : « J'ai besoin de me reposer, je passe un moment difficile… » Il réplique « C'est une propriété privée. » Et je lui sort : « Ouais, mais je n'y crois pas vraiment à ça… » […] Alors il va voir le portier et je le vois parler de moi. Et je vois le portier lui répondre « Oh non, c'est bon, ce type habite ici. » Ahhhh, le regard du gars! Un magnifique cocktail de

colère et de confusion. C'est comme si j'avais inventé une nouvelle façon de blesser quelqu'un.

Suzanne Curchod
Suzanne Curchod

Elle dira […], non sans finesse : « On est plus vertueux en Suisse qu’à Paris; mais ce n’est qu’à Paris que l’on parle bien de la vertu : elle ressemble à l’Apollon de Délos, qui ne dictait ses oracles que dans une caverne où ses rayons n’avaient jamais pénétré »; ou encore : « On peut comparer les penseurs comme Diderot à Deucalion, qui jetait les pierres derrière sa

tête pour en faire des hommes et ne regardait pas quelle forme elles prenaient. » Et cependant, pour avoir droit de cité parisienne, il manque à cette manière étudiée, à ce style étoffé je ne sais quoi de léger, de vif, de prime-sautier, le mouvement qui séduit, le trait qui enlève. La langue de Mme Necker resta laborieuse.

Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock

Hitchcock : Je me souviens d'une critique à ce propos. Mlle Lejeune, dans le « London Observer », a écrit que Rear Window* était un film « horrible », parce qu'il y avait un type qui regardait constamment par le fenêtre. Je pense qu'elle n'aurait pas dû écrire que c'était horrible. Oui, l'homme était un voyeur, mais est-ce que nous ne sommes pas tous des voyeurs ?

*Fenêtre sur Cour (1955)

Tove Jansson
Tove Jansson

- Mais c'est le printemps! dit Sophie. Ils ne meurent pas maintenant, ils sont tout nouveaux et viennent à peine de se marier, c'est toi-même qui l'as dit.
- Certes, dit la grand-mère, mais cela n'empêche pas qu'il vient de mourir.
- Comment est-il mort alors? hurla Sophie.
Elle était très en colère.
- D'amour inconsolable, expliqua sa grand-mère. Il a chanté et

"gaglé" toute la nuit pour sa cane, mais un autre est arrivé et la lui a volée, alors il a plongé la tête sous l'eau et s'est laissé emporter par le courant.
- Ce n'est pas vrai, cria Sophie, et elle se mit à pleurer. Les hareldes ne peuvent pas se noyer. Raconte comme il faut.
Alors la grand-mère raconta qu'il s'était tout simplement heurté la tête contre un rocher, il

chantait et "gaglait" si fort qu'il ne regardait pas où il allait et cela lui était arrivé juste au moment où il était le plus heureux.
- C'est mieux, dit Sophie. On devrait peut-être l'enterrer?
- C'est inutile, répondit la grand-mère. A la marée haute, il s'enterrera lui-même. Les oiseaux de mer doivent être enterrés comme les marins. + Lire la suiteCommenter

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Tove Jansson
Tove Jansson

(…) Plus loin, sur une pierre plate dans l’eau, gisait un harelde. Il était trempé et mort et ressemblait à un sac de plastique froissé. Sophie déclara que c’était une vieille corneille, mais sa grand-mère ne la crut pas.
– Mais c’est le printemps ! dit Sophie. Ils ne meurent pas maintenant, ils sont tout nouveaux et viennent à peine de se marier, c’est toi-même qui

l’as dit.
– Certes, dit la grand-mère, mais cela n’empêche pas qu’il vient de mourir.
– Comment est-il mort alors ? hurla Sophie.
Elle était très en colère.
– D’amour inconsolable, expliqua sa grand-mère. Il a chanté et « gaglé » toute la nuit pour sa cane, mais un autre est arrivé et la lui a volée, alors il a plongé la tête sous l’eau et

s’est laissé emporter par le courant.
– Ce n’est pas vrai, cria Sophie, et elle se mit à pleurer. Les hareldes ne peuvent pas se noyer. Raconte comme il faut.
Alors la grand-mère raconta qu’il s’était tout simplement heurté la tête contre un rocher, il chantait et « gaglait » si fort qu’il ne regardait pas où il allait, et cela lui était arrivé juste au moment

où il était le plus heureux.
– C’est mieux, dit Sophie. On devrait peut-être l’enterrer ?
– C’est inutile, répondit la grand-mère. À la marée haute, il s’enterrera lui-même. Les oiseaux de mer doivent être enterrés comme les marins. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          50

Tove Jansson
Tove Jansson

Moumine le Troll, sur le pas de la porte, regardait comment la vallée mettait sa housse pour l'hiver, et il pensait avec calme : "C''est ce soir qu'on va se terrer pour l'hiver. C'est ce que font tous les Moumines un jour en novembre." (C'est raisonnable si on n'aime pas l'obscurité ni le froid.) (p.5)

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XX

Apparition de Beethoven au Conservatoire. — Réserve haineuse des maîtres français. — Impression produite par la symphonie en ut mineur sur Lesueur. — Persistance de celui-ci dans son opinion systématique.

Les coups de tonnerre se succèdent quelquefois dans la vie de l’artiste, aussi rapidement que dans ces grandes tempêtes, où les nues gorgées de fluide

électrique semblent se renvoyer la foudre et souffler l’ouragan.
Je venais d’apercevoir en deux apparitions Shakespeare et Weber ; aussitôt, à un autre point de l’horizon, je vis se lever l’immense Beethoven. La secousse que j’en reçus fut presque comparable à celle que m’avait donnée Shakespeare. Il m’ouvrait un monde nouveau en musique, comme le poëte m’avait

dévoilé un nouvel univers en poésie.

La société des concerts du Conservatoire venait de se former, sous la direction active et passionnée d’Habeneck. Malgré les graves erreurs de cet artiste et ses négligences à l’égard du grand maître qu’il adorait, il faut reconnaître ses bonnes intentions, son habileté même, et lui rendre la justice de dire qu’à lui seul est

due la glorieuse popularisation des œuvres de Beethoven à Paris. Pour parvenir à fonder la belle institution célèbre aujourd’hui dans le monde civilisé tout entier, il eut bien des efforts à faire ; il eut à échauffer de son ardeur un grand nombre de musiciens dont l’indifférence devenait hostile, quand on leur faisait envisager dans l’avenir de nombreuses répétitions et des

travaux aussi fatigants que peu lucratifs, pour parvenir à une bonne exécution de ces œuvres alors connues seulement par leurs excentriques difficultés.

Il eut à lutter aussi, et ce ne fut pas la moindre de ses peines, contre l’opposition sourde, le blâme plus ou moins déguisé, l’ironie et les réticences des compositeurs français et italiens, fort peu ravis de voir

ériger un temple à un Allemand dont ils considéraient les compositions comme des monstruosités, redoutables néanmoins pour eux et leur école. Que d’abominables sottises j’ai entendu dire aux uns et aux autres sur ces merveilles de savoir et d’inspiration.

Mon maître, Lesueur, homme honnête pourtant, exempt de fiel et de jalousie, aimant son art, mais dévoué à ces

dogmes musicaux que j’ose appeler des préjugés et des folies, laissa échapper à ce sujet un mot caractéristique. Bien qu’il vécût assez retiré et absorbé dans ses travaux, la rumeur produite dans le monde musical de Paris par les premiers concerts du Conservatoire et les symphonies de Beethoven était rapidement parvenue jusqu’à lui. Il s’en étonna d’autant plus, qu’avec la

plupart de ses confrères de l’Institut, il regardait la musique instrumentale comme un genre inférieur, une partie de l’art estimable mais d’une valeur médiocre, et qu’à son avis Haydn et Mozart en avaient posé les bornes qui ne pouvaient être dépassées.

À l’exemple donc de Berton, qui regardait en pitié toute la moderne école allemande, — de Boïeldieu, qui ne

savait trop ce qu’il en fallait penser et manifestait une surprise enfantine aux moindres combinaisons harmoniques s’éloignant tant soit peu des trois accords qu’il avait plaqués toute sa vie, — à l’exemple de Cherubini, qui concentrait sa bile et n’osait la répandre sur un maître dont les succès l’irritaient profondément et sapaient l’édifice de ses théories les plus

chères, — de Paër qui, avec son astuce italienne, racontait sur Beethoven qu’il avait connu, disait-il, des anecdotes plus ou moins défavorables à ce grand homme et flatteuses pour le narrateur, — de Catel, qui boudait la musique et s’intéressait uniquement à son jardin et à son bois de rosiers, — de Kreutzer enfin, qui partageait l’insolent dédain de Berton pour tout ce qui

nous venait d’outre-Rhin ; comme tous ces maîtres, Lesueur, malgré la fièvre d’admiration dont il voyait possédés les artistes en général, et moi en particulier, Lesueur se taisait, faisait le sourd et s’abstenait soigneusement d’assister aux concerts du Conservatoire. Il eût fallu, en y allant, s’y former une opinion sur Beethoven, l’exprimer, être témoin du furieux

enthousiasme qu’il excitait et c’est ce que Lesueur, sans se l’avouer, ne voulait point. Je fis tant, néanmoins, je lui parlai de telle sorte de l’obligation où il était de connaître et d’apprécier personnellement un fait aussi considérable que l’avènement dans notre art de ce nouveau style, de ces formes colossales, qu’il consentit à se laisser entraîner au Conservatoire un

jour où l’on y exécutait la symphonie en ut mineur de Beethoven. Il voulut l’entendre consciencieusement et sans distractions d’aucune espèce. Il alla se placer seul au fond d’une loge de rez-de-chaussée occupée par des inconnus et me renvoya. Quand la symphonie fut terminée, je descendis de l’étage supérieur où je me trouvais pour aller savoir de Lesueur ce qu’il avait

éprouvé et ce qu’il pensait de cette production extraordinaire.

Je le rencontrai dans un couloir ; il était très-rouge et marchait à grands pas : «Eh bien, cher maître, lui dis-je ?... — Ouf ! je sors, j’ai besoin d’air. C’est inouï ! c’est merveilleux ! cela m’a tellement ému, troublé, bouleversé, qu’en sortant de ma loge et voulant remettre mon chapeau,

j’ai cru que je ne pourrais plus retrouver ma tête ! Laissez-moi seul. À demain...» + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Giorgio Vasari
Giorgio Vasari

Il arriva que Piero Soderini ayant vu le David et le trouvant à son gré dit pourtant à Michel-Ange, qui était en train de le retoucher en certains endroits, qu'il lui paraissait que le nez était trop gros. Michel-Ange remarquant que le gonfalonier s'était placé sous le colosse, de manière qu'il n'avait pas la vue exacte, monta sur l'échafaudage pour le satisfaire, en tenant d'une main un

ciseau ; de l'autre il ramassa un peu de la poussière de marbre qui était sur la plate-forme. Puis, faisant semblant de retoucher le nez , mais sans l'entamer avec le ciseau, il laissa tomber la poussière peu à peu, et, baissant la tête vers le gonfalonier qui le regardait travailler, il lui dit : " Regardez-le maintenant. - Il me plaît davantage, lui répondit le gonfalonier, vous lui avez

donné la vie." Michel-Ange descendit de l'échafaudage, riant intérieurement et ayant pitié de ceux qui, pour faire gens entendus, ne savent ce qu'ils disent.

Giorgio Vasari
Giorgio Vasari

Giuliano et Antonio San-Gallo, à l'aide d'une machine fort ingénieuse , transportèrent sans danger, en 1504 , ce colosse sur la place de' Signori. Quelque temps après, Michel-Ange était occupé à opérer de légères retouches, lorsque survint le gonfalonier Pier Soderini , qui se mit à critiquer la grosseur du nez de David. Michel-Ange voyant que Soderini regardait son ouvrage de bas en

haut, et que ce point de vue défavorable ne lui permettait pas de bien juger la chose, monta sur son échafaud, et ramassa adroitement de la poussière de marbre, qu'il laissa tomber sur son critique pendant qu'il faisait semblant de corriger le nez avec son ciseau; puis, se retournant vers le gonfalonier, il lui dit : « Eh bien! « qu'en pensez-vous maintenant? — Admirable! « répondit

Soderini, vous lui avez donné la vie.» Michel-Ange descendit de son échafaud, en riant de ce docte magistrat, semblable à tant d'autres parfaits connaisseurs, qui parlent sans savoir ce qu'ils disent.