La manière dont on imagine est souvent plus instructive que ce qu'on imagine.
Il y a donc toute une constellation, dont chaque point est temporellement variable, de sphères intellectuelles qui revendiquent l’impérialisme de leurs valeurs et de leurs méthodes. S’il s’agit donc de couper court à la diversité des rapports au monde, et donc au foisonnement des manières de faire fonctionner le réel, il y aura, de fait, beaucoup de déçus. Et, en termes de rapports
de force à l’échelle planétaire, je ne suis pas certain que les partisans d’un scientisme dur sortent victorieux de l’affrontement. Il me semble infiniment plus souhaitable, tant au plan logique qu’aux plans éthique et esthétique, d’accepter la réalité, au sens fort, de tous ces systèmes symboliques et cognitifs répondant à différentes contraintes. Cela, répétons-le une
dernière fois, n’empêche d’aucune manière le combat contre ceux qui nous semblent désuets, voire nuisibles.
Si j’avais le malheur de ne voir dans le capital que l’avantage de capitalistes, et de ne saisir ainsi qu’un côté, et, assurément, le côté le plus étroit et le moins consolant de la science économique, je me ferais Socialiste; car de manière ou d’autre, il faut que l’inégalité s’efface progressivement, et si la liberté ne renfermait pas cette solution, comme les socialistes
je la demanderais à la loi, à l’État, à la contrainte, à l’art, à l’utopie.
Jung distingue, pour un auteur, deux manières de créer : la manière psychologique et la manière visionnaire. De la première, le roman dit psychologique, où les faits s'enchaînent selon des suites de mobiles compréhensibles, est l'exemple le plus simple. Dans la seconde, les images surgissent avec la violence impérieuse et l'apparente incohérence de certains rêves.
Le gardien de la guérite […] ne semblait pas remarquer le couple mère-enfant dont la misère noire contrastait tant avec l'opulence blanche du [P]alais [présidentiel]. Probablement qu'il obéissait à des ordres stricts qui lui interdisent de bouger pour autre chose qu'un coup d'État. Sinon, il attendait le coucher du soleil pour faire disparaître, de manière discrète, cette gênante qui
avait le culot de venir mourir aux pieds du pouvoir officiel. C'est peut-être tout ce qui restait à cette femme, son corps transformé en reproche, en grief contre un ordre des choses où son enfant et elle n'avaient pas leur place.
Rien ne donne comme une grue le sentiment d'urbanité, quelle que soit l'émotion que l'on attache à ce sentiment; et, de la même manière que tout mécanique qu'il soit le tracteur symbolise la campagne, a intégré notre représentation de la campagne comme les éoliennes ne manqueront pas de le faire un jour, de même il me suffisait, me semblait-il, d'avoir l'esprit moderne — c'est-à-dire
de trouver une voiture de course plus belle que la victoire de Samothrace — pour succomber au charme des ciels balayés par l'essuie-glace d'une grue.
L’alternative n’est pas pour lui [le FN] de s’enfermer dans le bunker des « purs et durs » ou, au contraire, de chercher à se « banaliser » ou à se « dédiaboliser » (le fait d’être diabolisé n’a pas empêché Sarkozy d’être élu, mais lui a au contraire valu des voix supplémentaires) tout en adoptant, d’élection en élection, la tactique du hamster qui tourne sans cesse
dans sa roue tout en restant sur place. L’alternative à laquelle il se trouve confronté aujourd’hui de manière aiguë est toujours la même : vouloir encore incarner la « droite de la droite » ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France dans sa diversité. Rien n’indique pour l’instant qu’il choisira la deuxième solution. Il reste
au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus (entre 2002 et 2007, l’abstention est passée de 20 à 31 % en milieu ouvrier). Rien n’indique, là non plus, qu’il en ait la capacité
ni même la volonté.
Un chanteur ou une cantatrice capable de chanter seize mesures seulement de bonne musique avec une voix naturelle, bien posée, sympathique, et de les chanter sans efforts, sans écarteler la phrase, sans exagérer jusqu'à la charge les accents, sans platitude, sans afféterie, sans mièvreries, sans fautes de français, sans liaisons dangereuses, sans hiatus, sans insolentes modifications du
texte, sans transposition, sans hoquets, sans aboiements, sans chevrotements, sans intonations fausses, sans faire boiter le rhythme, sans ridicules ornements, sans nauséabondes appogiatures, de manière enfin que la période écrite par le compositeur devienne compréhensible, et reste tout simplement ce qu'il l'a faite, est un oiseau rare, très-rare, excessivement rare.