Roger Caillois
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Il n’y a pas d’efforts inutiles, Sisyphe se faisait les muscles.

Roger Caillois
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Et voici que la poésie se distingue de la prose par une double dégradation. Après la rime, elle perd la raison. Un philosophe de Koenigsberg avait déjà parlé d’une colombe qui, agacée par la résistance de l’air, s’imagina qu’elle volerait mieux dans le vide.

Roger Caillois
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Le jeu suppose certes la volonté de gagner, en utilisant au mieux ces ressources et en s'interdisant les coups prohibés. Mais il exige davantage : il faut enchérir de courtoisie sur l'adversaire, lui faire confiance par principe et le combattre sans animosité. Il faut encore accepter d'avance l'échec éventuel, la malchance ou la fatalité, consentir à la défaite sans colère ni désespoir.

Qui se fâche ou se plaint se discrédite. En effet, là où toute nouvelle partie apparaît comme un commencement absolu, rien n'est perdu et le joueur, plutôt que de récriminer ou de se découvrir, a lieu de redoubler son effort.

Roger Caillois
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L’avènement de la démocratie est virtuellement celui de la guerre totale.

(p.108)

Roger Caillois
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Un héros est grand pour avoir eu des monstres à combattre avant de l’être pour les avoir vaincus. Il n’est rien à espérer de ceux qui n’ont rien en eux à opprimer.

Roger Caillois
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Auparavant, l’œuvre d’art, faite seulement pour la beauté et la postérité, naissait dans un monde qui ne l’intéressait nullement, mais où elle avait une place marquée d’avance et dont elle participait tout naturellement à un tel point qu’elle en adoptait nécessairement le style distinctif.

Roger Caillois
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Ce que clament ces « clercs » sans église se perd dans le tumulte de la place publique, où, à leur exemple, chacun fait la leçon, se flattant mêmement d’être le verbe de la justice et du droit, sans assurer son crédit par rien qui distingue sa vie de celle du troupeau. On les prend parfois à déplorer que leur parole demeure lettre morte tout en se félicitant de vivre en un temps

d’heureuse tolérance où la parole n’expose plus au bûcher comme si l’un n’impliquait pas l’autre, comme s’il était naturel que la foule écoutât docile et recueillie des mots qui coûtent peu à ceux qui les prononcent et qui ne les engagent à rien.

Roger Caillois
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Dédicace


Extrait 6

  Comme qui, parlant des fleurs, laisserait de côté aussi bien la botanique que l’art des jardins et celui des bouquets – et il lui resterait encore beaucoup à dire – ainsi, à mon tour, négligeant la minéralogie, écartant les arts qui des pierres font usage, je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se

dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’une espèce passagère.

Janvier 1966

Roger Caillois
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[A propos des sectes]

Ce gout de l’ombre et du pouvoir, cet appétit d’ordonner le monde suivant de plus fortes lois, sont-ils donc permanents ? D’où viennent en tout cas de si longues et constantes inquiétudes ? Voici des questions auxquelles il me semble urgent de trouver réponse.

Roger Caillois
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On découvrirait sans peine de nombreux indices de la connivence des jeux de hasard et de la divination : un des plus visibles, des plus immédiats, est peut-être que les mêmes cartes servent aussi bien aux joueurs pour tenter le sort et aux voyantes pour prédire l'avenir.

Roger Caillois
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Telle est sans doute la séduction tenace de la chance que les systèmes économiques qui, par nature, l'abominent le plus, doivent néanmoins lui consentir une place, il est vrai restreinte, déguisée et comme honteuse. L'arbitraire du sort demeure, en effet, la contrepartie nécessaire de la compétition réglée. Celle-ci établit sans discussion possible le triomphe décisif de toute

supériorité mesurable. La perspective d'une faveur imméritée réconforte le vaincu et lui laisse un ultime espoir. Il a été défait dans un combat loyal. Pour expliquer son échec, il ne saurait invoquer aucune injustice. Les conditions de départ étaient les mêmes pour tous. Il ne peut s'en prendre qu'à sa seule incapacité. Il n'aurait plus rien à attendre, s'il ne lui restait, pour

équilibrer son humiliation, la compensation, d'ailleurs infiniment improbable, d'un sourire gratuit des puissances fantasques du sort, inaccessibles, aveugles, implacables, mais qui, par bonheur, ignorent la justice.

Roger Caillois
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Dans une étude sur la mante religieuse, j'essayai, il y a presque vingt ans, d'établir une relation entre certains faits, en apparence, et peut-être en réalité, sans rapport : les moeurs sexuelles de la mante femelle qui dévore le mâle pendant l'accouplement ; l'intérêt exceptionnel généralement porté par l'homme à cet insecte, qu'il tient pour divin ou pour diabolique presque partout

où il le rencontre.
Au thème de la mante, qui affirme l'équivalence de la fabulation chez l'homme et de l'instinct chez l'insecte comme solutions opposées et correspondantes, j'ajoute aujourd'hui deux thèmes nouveaux, plus téméraires encore. Le premier, celui des ailes des papillons, est prétexte à introduire le problème des rapports entre l'esthétique naturelle et l'art humain.

Le second, celui du mimétisme, se présente sous plusieurs aspects différents, qui ont chacun leur harmonique chez l'homme : travesti, camouflage et intimidation.
Les mythes de métamorphose et le goût du déguisement répondent au travesti (mimicry proprement dite) ; les légendes de chapeau ou de manteau d'invisibilité au camouflage ; la terreur du mauvais oeil et du regard médusant,

l'usage que l'homme fait du masque, principalement, mais non exclusivement, dans les sociétés dites primitives, à l'intimidation produite par les ocelles et complétée par l'apparence ou la mimique terrifiante de certains insectes.
II s'agit chaque fois d'un même contraste entre l'insecte et l'homme, entre le mécanisme et la liberté, entre la fixité et l'histoire. Cet ouvrage est un

manifeste en faveur de ce que j'ai appelé les sciences diagonales. Il en est aussi une première et sans doute présomptueuse illustration.» Roger Caillois (1960). + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          110

Roger Caillois
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[Les] attitudes [psychologiques] distinctives [des jeux] sont au nombre de quatre : l'ambition de triompher grâce au seul mérite dans une compétition réglée (agôn), la démission de la volonté au profit d'une attente anxieuse et passive de l'arrêt du sort (alea), le goût de revêtir une personnalité étrangère (mimicry), enfin la poursuite du vertige (ilinx).

Roger Caillois
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Le relâchement des liens collectifs conseille à l’individu de s’appartenir aussi exclusivement qu’il le peut et le place au centre d’un univers particuliers que le roman lui enseigne à cultiver et à chérir. Ainsi le monde de la vie quotidienne demeure sans doute commun à tous, mais celui des cœurs et des pensées se divise de plus en plus et la création littéraire s’en ressent

aussitôt. Chacun s’attache à exprimer la part de soi la moins communicable ; la surenchère d’originalité semble la loi qui préside le plus strictement à l’activité de l’écrivain.

Roger Caillois
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Faites comme vous l'entendez, pourvu qu'il soit clair que je ne vous approuve pas.

Roger Caillois
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Est sacré l'être, la chose ou l'idée à quoi l'homme suspend toute sa conduite, ce qu'il n'accepte pas de mettre en discussion, de voir bafouer ou plaisanter, ce qu'il ne renierait ni ne trahirait à aucun prix.

Roger Caillois
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Car ce sont bien de menus accidents qui font chérir un livre plutôt qu'un autre. Souvent ils le rendent presque indispensable pour des raisons qui ne dépendent pas seulement ou d'abord de sa valeur. [...] D'autre part, il est assuré qu'un homme ne ressent pas toute sa vie le même attrait pour la même sorte d'ouvrages [...] De sorte que chacun est amené à mêler aux ouvrages, qu'il retient

pour le plaisir ou pour le profit personnel qu'il en a retiré, des œuvres qu'il connaît seulement de réputation et qu'il n'aurait peut-être pas indiquées, mieux instruit [...] Quelle étrange besogne que d'extraire cent livres de la littérature universelle ! Je désirai montrer qu'elle est impossible à mener à bien, quelques scrupules qu'on y apporte.

Roger Caillois
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Au premier abord, j'aperçois bien le scandale qu'il existe des livres imprimés expressément pour ne pas être lus et des hommes qui les acquièrent avec l'intention délibérée de ne pas les lire.

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Je parle de pierres qui ont toujours couché dehors ou qui dorment dans leur gîte et la nuit des filons. Elles n'intéressent ni l'archéologue ni l'artiste ni le diamantaire. Personne n'en fit des palais, des statues, des bijoux; ou des digues, des remparts, des tombeaux. [...]
Je parle des pierres que rien n'altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui

commença avec le temps, avec elles. Je parle des gemmes avant la taille, des pépites avant la fonte, du gel profond des cristaux avant l'intervention du lapidaire. [...]
Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elle eut la fortune d'y éclore. Je parle des pierres qui n'ont même pas à attendre la mort et qui n'ont rien

à faire que laisser glisser sur leur surface le sable , l'averse ou le ressac, la tempête, le temps. [...]