Lino Ventura est brutalement resté vers l'enfance des enfances. On l'a prié de rappeler une clinique. J'attends son retour. C'est juste avant le tournage de l'après-midi. Il apparaît derrière une double porte vitrée, Il oscille légèrement d'une jambe sur l'autre comme un boxeur KO debout. Un satané uppercut que la mort de sa mère. Je suis là, près de la voiture. Son ami.
Il est
contre moi pour répéter sans cesse : »Elle est morte... Elle est morte... » Il avait déjà cette mort dans ses jambes de l'autre côté des vitres.
Je n'ai pas cherché mes mots. Ils sont venus simplement comme s'ils répondaient à une question informulée... Tu as été un bon fils, Lino... Un bon fils.
Dans les bras l'un de l'autre, des secondes à la fois brèves et
éternelles, il se revoyait sans doute enfant pauvre émigré, avec sa mère, son îlot dans leur naufrage, son rempart contre un peuple pas tellement gentil envers les Ritals.
Je relis le testament de mon père : « quoi qu'un enfant fasse contre la société, quoi qu'il fasse contre toi, tu n'abandonneras jamais ton enfant, Il est ta chair, il est ton sang, »
Mais vous feriez mieux d'écrire me dit-il.
-Ecrire ?... Pourquoi ?...
-Vous cherchez du piment contre la fadeur de votre vie... Revivez vos aventures en les écrivant... Je ne vous parle pa de jouer à l'écrivain...Ecrivez comme une longue lettre, sans chercher à pondre de grandes phrases... Ecrivez comme vous m'écrivez... Comme le journal tenu pendant votre séjour dans le
couloir de la mort. »
Il me rassure. Pas question d'écrire un livre destiné aux vitrines des librairies. Je n'ai qu'un certificat d'études primaires et je crois encore qu'une licence de philo ou de lettres est nécessaire pour prétendre intéresser un éditeur.
Nous absorbons tous les milieux, nous avons besoin des nonnes et des putes, des pères tranquilles et des samouraïs, des bons artistes et des bons faussaires, des directeurs de banque et des perceurs de coffre.
Tout me renvoie à la prison. Quand on négociait l'échange de nos livres à la criée, d'une fenêtre à l'autre, avant la promenade, ça donnait :
« Ici la 32... j'ai un 410 pages... », « ici la 24...j'échange avec 2, un de 200 et un de 205... », »Hé mec ! Tes 410, elles sont complètes ?... Y en a pas qu'ont servi de papier cul ?... »
De la lecture, oui. De
la haute littérature ?...
Nous demandions d'abord à un livre de nous aider à vaincre, le plus longtemps possible, nos insomnies sous la lumière électrique blessante du quarter de haute surveillance,
" à force de chercher un coupable on le fabrique " (film "deux hommes dans la ville"-réponse de Gabin au commissaire de police)
Il ne lui manquait qu'un anneau de fer au poignet et la jupette des "peplum" italiens pour justifier son surnom: Spartacus. Côté carrure, y avait rien à toucher, et pas besoin de doublure. Paul Brun, regard gris, torse velu, cultivait le genre "filez-moi une mâchoire d'âne et je vous fous la légion romaine en déroute".
Ben oui, on le sait, la liberté ne se mesure pas au centimètre, la légalité, le Code civil, les droits de l'homme, le suffrage universel, le respect du citoyen et toutes la quincaillerie civique, ça n'a pas plus d'effet contre les bombes, les rapts, les attentats, les prises d'otages et le chantage à la peur que de proposer à un chacal un peu de ketchup pour assaisonner sa charogne.
-J'ai quelque chose d'important à déclarer, annonça-t-il.
Le silence s'installa. L'avocat intérieurement inquiet, les plaignants déjà contre tout ce que le misérable dirait pouvant l'avantager, le juge un peu ému bien que blasé, le greffier très important beaucoup plus royaliste que le roi suivant la coutume.
-C'est votre intérêt. C'est votre intérêt, insinua le juge
d'un timbre persuasif.
-Eh bien, voilà, dit Manu. J'ai beaucoup réfléchi. Chacun tempête et crie de son côté alors qu'il est impossible de rien modifier. Je suis là, c'est le principal. Payez-vous et foutez-moi la paix. En d'autres termes, tuez-moi, et, entre-temps, laissez-moi vivre.
Chaque cellule concrétisait un petit monde à part, une petite parcelle de société complète en elle-même, autonome, avec ses vices, ses blasphèmes, sa pureté parfois, ses larmes et sa révolte, son espérance, et son marasme, son spleen du soir et son glaviotement du matin.
On s’habitue à la musique au point de ne plus l’entendre, mais, dès qu’elle se tait, on éprouve un vide, on tourne la tête à la recherche du son perdu.
Dans une cordée, le leader et le second ne cessent de se faire des ronds de jambe. Si le second oublie d'apprécier un passage (surtout si le leader en a bavé comme deux Russes), le leader pousse la putasserie jusqu'à demander: "comment t'as trouvé? Joli? Hein? Rien de plus exaspérant qu'un second qui trouve tout facile. Pour un peu, on le précipiterait dans le vide.
Vintran était fort connu .On le surnommait " Riton de la Porte" et ça suffisait .Dans ce quartier ,il y avait une foule de truands qui s'appelaient Riton ,mais il n'y avait qu'un seul Riton de la Porte . Même des deux portes . Une réputation ne s'établit pas en un jour et il y avait un sacré bout de temps qu'il était sur la brèche .
Il arrive parfois qu’une phrase anodine change de signification si elle revient en surface.