Aurélie Filippetti
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Rien n'était joué d'avance, mais ensuite tout est allé très simplement. Sans même avoir besoin d'en parler ils avaient dessiné un cadre. Celui des trois unités, lieu, temps, action. Ils étaient institués législateurs de leurs propres univers et la règle était impitoyable.

Aurélie Filippetti
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Tu crois que ce n'est pas la forme moderne de la tyrannie, toi, les petits despotes de l'entreprise, les DRH et managers comme ils disent, tu crois que c'est mieux que les seigneurs du Moyen-âge, toi, les gens qui tremblent du matin au soir pour leur place, qui ne savent pas d'une semaine à l'autre comment ils travailleront et combien ils seront payés ? (p.86)

Aurélie Filippetti
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Exilés d'une patrie absente, ils ne pouvaient abandonner cette terre sans drapeau et sans langue à force d'en changer, cette terre de conquête aux frontières si mouvantes qu'elles en disparaissaient, cette terre que l'on violait comme une femme à chaque soubresaut de l'histoire, pour qui l'on se battait comme pour un amour déshonoré. Ils restèrent en Lorraine et moururent.

Aurélie Filippetti
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Certains professeurs s'évertuaient à faire étudier Germinal, sans réel succès. Manque de dépaysement. Ou simplement l'agacement des histoires cent fois racontées. Pourquoi remuer les terrils d'un vieux siècle quand toute l'histoire du fer était à sauver. La mémoire du passé le cédait à l'urgence du présent. Et peut-être au fatalisme.
Plus tard, une fois coupé le cordon

nourricier reliant cette histoire-là aux plus jeunes, le roman ramènerait avec la mélancolie de l'enfance l'orgueil d'en avoir été.

Aurélie Filippetti
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Elle regrettait la camaraderie que l’on ne retrouvait que dans les troupes de théâtre. Avec sa petite bande sonar: et populaire de militants dévoués, on riait, on organisait des diners sous les pommiers, dans un terrain raté vierge au milieu d’une zone d’aménagement concerté qui avait tout envahi, et on distribuait des tracts. Ces arbres fruitiers et ce barbecue étaient le symbole de

leur résistance joyeuse et simple. Mais il n'y avait personne dans les réunions électorales; c'était un signe, tout se passait ailleurs, sur les réseaux, sur les chaînes d’info, dans ce flux ininterrompu de nouvelles que l’on ne pouvait plus appeler des informations tant elles étaient formatées pour répondre à un seul objectif : retenir l’attention. Une news pour passer la rampe

n'avait pas à être vraie ou fausse, ce n‘était plus la question. Le vrai était un moment du faux.

Aurélie Filippetti
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Entre temps, le Mur était tombé. Tout le pire avait été révélé, avéré. C'était plus qu'un idéal, c'était une vie, c'étaient mille vies, bafouées, réduites à néant. Comment continuer à être communiste après ça, après tout ce gâchis, et comment décider subitement de ne plus l'être quand dans vos tripes, tout crie que votre combat à vous, en France, dans le Pays-Haut, était

juste.

Aurélie Filippetti
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Personne n'avait donc décidé, un jour, l'arrêt de la production, délocalisation, personne n'avait proclamé que désormais, après un siècle de loyaux services, la minette lorraine, teneur en fer, 27-30%, devait être remplacée par une jeunette brésilienne, suédoise, à 60-70%? Les chiffres irréfutables, raides comme l'injustice. L'avenir n'était donc pas le fruit du passé, il n'y

avait pas de responsable, pas de coupables ici, à cet assassinat?

Aurélie Filippetti
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Surtout, on ressentait cette ombre qui planait au-dessus d'eux tous, depuis quelques mois, qui les paniquait : les rédactions tombaient les unes après les autres dans l'escarcelle de grands industriels qui ne s'étaient pas fait remarquer jusque-là pour leur philanthropie ni leur engagement en faveur de la liberté de la presse.

Aurélie Filippetti
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Il n’y avait que les naïfs, les sexagénaires ou les enfants de prolos qui se dévouaient au service public une vie durant avec abnégation et sérieux.

Aurélie Filippetti
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C'est alors bombance, le retour au pays des fils prodigues. Les italiens ne les envient pourtant pas. Ils imaginent la Siberia francese froide et laide et ils n'ont pas tout à fait tort.

Aurélie Filippetti
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Ils ont les pieds liés, comme s'il y avait quelque part où s'enfuir.

Aurélie Filippetti
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Juste les matières techniques, bonne pour le travail, et l'orthographe bien sûr, les lauriers du pauvre, l'orthographe irréprochable, pas une erreur. La police de l'écrit. Être agréable à celui qui vous lit. Ne pas laisser trahir, sauf justement peut-être dans cette obsession-là, de la perfection, dans cet excessif respect de l'autorité d'en face, sinon ne pas laisser trahir l'origine

populaire, et la pauvreté, la misère, non, ne pas mettre mal à l'aise celui qui vous lira.

Aurélie Filippetti
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On apprenait "la rose et le réséda ", et cette plante mystérieuse, par la grâce de l'alliteration, devenait emblème des classes laborieuses luttant pour libérer la liberté.

Aurélie Filippetti
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On peut partir après le premier baiser, s'arrêter là si brutalement la langue tout à coup fait défaut et ne parvient pas à trouver son plaisir dans les lèvres de l'autre

Aurélie Filippetti
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Alors, lorsque l'aînée avait commencé à parler de politique à la maison, elle avait eu peur, elle en redoutait la violence. Pour elle, il fallait avancer le plus loin possible et ne pas se mêler de critiquer les règles du jeu avant de s'être mis à l'abri. Contester, c'était s'exposer à des désillusions, car si les enfants de bourgeois n'avaient rien à craindre, à elles, on le ferait

payer cher. Surtout qu'elles étaient des femmes. On ne tolérait les pauvres que dociles, et celles qui voulaient prendre l'ascenseur social devraient le payer au prix du silence.

Aurélie Filippetti
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Le communisme, c'était toujours ailleurs, toujours demain.

Aurélie Filippetti
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Quand bien même ce serait pour l'aimer encore... je ne sais pas diviser l'amour en tranches, je ne connais pas le bon et le mauvais amour, l'acceptable et l'indécent.

Aurélie Filippetti
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On peut s'enivrer de n'importe quoi» y compris de ménage -, pour effacer la moindre trace de salissure, pour que tout soit nickel, brillant, reluisant, neuf pour ainsi dire, pour effacer toute trace de vie passée, pour rendre aux objets l'illusion d'une renaissance, d'un recommence-à-zéro.

Aurélie Filippetti
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J'avais une telle soif de saisir ma chance, de ne pas laisser passer l'occasion, comme ils disent dans les magazines, de montrer qui j'étais, et puis ? et puis rien. Le vide. Les occasions offertes étaient des planches pourries. Les avenirs envisagés, des miroirs aux alouettes. La réussite professionnelle me fuit Chaque jour qui passe m'éloigne un peu plus de ce pied dans la porte qu'il faut

glisser pour pouvoir la pousser, se faire enfin sa place au soleil, travailler, travailler, je ne pense plus qu'à ça, et à toi, mais dans les deux cas j'ai tout raté. Mes tentatives ont échoué.

Aurélie Filippetti
Aurélie Filippetti

La pauvreté est la proie de toutes les inquisitions. La pauvreté est leur pâture à tous, les grands moralisateurs aux parquets luisants, les beaux discoureurs de réalité, les flamboyants du serrage de ceinture.