La poésie totale, la poésie parfaite, dit Hugo von Hofmannsthal, « c'est le corps d'un elfe, transparent comme l'air, le messager vigilant qui porte à travers les airs une parole magique : en passant il s'empare du mystère de nuages, des étoiles, des cimes, des vents; il transmet la formule magique fidèlement, mêlée cependant aux voix mystérieuses des nuages, des étoiles, des cimes et
des vents ». Le messager ne fait plus qu'un avec le message. Le monde intime du poète rivalise avec l'univers.
C'est près de l'eau que j'ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire d'un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l'eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières, dans un coin de Champagne vallonnée, dans
le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d'un vallon, au bord d'une eau vive, dans l'ombre courte des saules et des osières.
D'après certaines théories, la conscience était un phénomène quantique. La réalité - l'Univers lui-même - tirait son existence des seuls esprits conscients, dans la mesure où ces derniers fondaient les possibilités infinies de chaque fonction d'onde quantique en un évènement unique inscrit dans l'Histoire.
Je lis, rapidement, L'archéofuturisme, de Guillaume Faye. Comme dans tous les livres qui, depuis au moins un siècle, relèvent de la rhétorique de l'urgence, le style est haletant et l'avenir exclusivement conçu sous forme d'apocalypse (la « conjonction des catastrophes »). Ce qui frappe, c'est la façon dont l'auteur ne trouve rien à opposer à l'époque actuelle qui n'en soit pas la
surenchère, qui n'en représente pas l'intensification : contre l'univers de la maîtrise et de l'aliénation de soi, toujours plus de volonté de domination; contre la démonie technicienne, encore plus de déchaînement technicien; contre le primat de l'efficience et le matérialisme pratique, les idées réduites à leur seule valeur instrumentale; contre la montée de l'intolérance, le
recours à l'exclusion généralisée; contre le mouvement pour le mouvement, la fuite en avant. Rien d'« archaïque » ni de « futuriste » ici, ni même de postmoderne, seulement l'exponentielle de la modernité et tous les ingrédients de l'autodestruction. Pour finir, Faye dépeint un univers de fiction où je n'aimerais pas vivre. Prométhée contre Zeus : en termes jüngeriens, un tel
livre se situe du côté des Titans.
Bernhard Riemann obtint le portrait en paysage mathématique d'une "variété topographique en N dimensions", plus connue de ses amis sous le nom d'espace courbé. Einstein pensa qu'il pouvait appliquer cette vision imaginaire du monde à l'univers dans lequel nous vivons : un cosmos doté de trois dimensions tangibles, la hauteur, la largeur et la profondeur, et une dimension supplémentaire : le
temps. (…) Einstein utilisa le modèle mathématique créé par Bernhard Riemann pour tout prédire, de l'énergie atomique au déplacement de la lumière, mais au lieu d'employer des mathématiques pour construire des modèles, nos esprits utilisent le plus souvent des métaphores. Nos cerveaux sont des machines à dessiner des images.
À Paris, on ne vit pas, on se survit. C’est pourquoi la passion des femmes y est si puissante, le désir de la chair si vif : on a toujours la sensation que s’écoule la dernière seconde où la femme est encore à portée de nos mains… où le ciel est visible au-dessus des marronniers… où l’univers conserve un semblant d’apparence avant de s’anéantir. Le matin, sitôt l’aube,
au lieu de voir le jour, on voit, par sa fenêtre, au-dessus de la ville, se traîner de longs pans de brumes indéfinissables, d’interminables écharpes de brouillards effilochés qui cachent les maisons, les rues, les gens, comme une jupe à franges dissimule les cuisses d’une femme, comme les guenilles de son sexe dissimulent le trou caché.
Au héros de Maturin dont Baudelaire disait : « Melmoth est une contradiction vivante. Il est sorti des conditions fondamentales de la vie; ses organes ne supportent plus sa pensée », à ce hérault du mal qui n'a pas assez des siècles ni de l'univers pour répandre sa malédiction, Balzac offre la dépouille d'un caissier de banque parisien qui, pour subvenir à des besoins d'argent
grandissants, vend son âme au diable. La dégringolade est aussi terrible que significative. C'est l'imaginaire vaincu par l'ordre rationnel, c'est la métaphysique ramenée à la niche des religions, c'est la poésie disparaissant pour longtemps du roman, dès lors tout entier acquis au réalisme, c'est-à-dire livré à une surveillance sans relâche qui a pour but de déterminer comme unique
référent l'empire du réel.
L’univers où parut un jour, par accident, l’espèce humaine, est inhumain, c’est un énorme mécanisme plein de défaillance et dont les fautes semblent légion, il règne là le gaspillage le plus insensé, la vie en est le plus souvent absente et quand elle s’y manifeste, elle est toujours en épiphénomène à la limite du parasitisme. Les hommes sont les parasites de la Terre, ils en
épuisent la substance et ce qu’ils ne dévorent, ils le polluent, leur multiplication fut le but de presque toutes les morales et si nous n’abolissons les secondes, instaurant l’immoralité systématique, laquelle est dépeuplante, nous nous immolerons par milliards au nom de ces principes inspirés, où nous cherchons la volonté du Ciel, un Ciel barbu, pourvu d’un sexe masculin, mais
qui n’en use pas, à ce qu’assurent les religions prétendues révélées.