'' Pour moi la mer c'est d'abord une émotion. Quand j'étais petite et que je naviguais c'était exactement ça. (...) Je me sentais citoyenne de la mer. ''
@FranceInter, Boomerang.
L'odeur ne ment pas, c'est le sens le plus instinctif. On peut mentir par le geste ou la parole, et même du regard. On ne peut pas mentir sur l'odeur. Les animaux le savent bien, qui en usent et en abusent pour dire leur peur ou leur désir. Si l'homme a cherché, de tout temps, à s'en écarter en se couvrant de parfum, n'est-ce pas pour cette unique raison ?
Sont-ils, eux, moins doués que ces peuples primitifs ? Sans doute, car les bienfaits de leur civilisation développée les ont coupés de cette compréhension millénaire de la nature, de ces connaissances ancestrales qui permettaient aux hommes de vivre de rien. En se civilisant, ils ont gagné en confort et en longévité, mais cette sophistication leur a fait oublier quelques fondamentaux de
la vie, et voilà qu'ils se retrouvent aujourd'hui sans ressources.
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Elle marche, et la mécanique physique semble remettre en route la mécanique mentale. Dans ce pays simple, de lande et de bourrasques, Louise retrouve cette sensation qu’elle a souvent éprouvée en montagne : le corps et l’esprit ne sont qu’un.
On ne peut pas être perpétuellement sérieux, il faut vivre, au moins une fois, intensément.
Au fond, ce qui fascine Pierre-Yves, c’est que le rêve de Louise et Ludovic, ils sont nombreux à le partager : s’échapper de cette société pesante et pressée, des pollutions des grandes villes, prendre le large et la liberté, retrouver la nature et de vrais rapports humains. Or là, sous ses yeux, cette utopie s’est transformée en cauchemar. Il voudrait comprendre. Est-ce leur faute
? […] La société d’abondance les a-t-elle coupés de réflexes indispensables ?
Je respire à pleins poumons cette odeur de terre et de sel mêlés, si typique de la Patagonie, et elle me lave de l’intérieur. Je m’allonge alors entre les boules de mousse vert tendre, je sens les cailloux me rentrer dans la peau et l’humidité percer ma robe. Je ne veux plus bouger, juste faire corps avec cette terre dont je ne sais pourquoi elle exerce sur moi une telle emprise.
Ils ne sont pas seulement abandonnés sans feu ni lieu, ils sont condamnés l'un avec l'autre, ou l'un contre l'autre.
Quel couple résisterait à ce genre d'enfermement ?
Les jours coulent et je ne compte pas. L’aube nous trouve nichés l’un contre l’autre, économes de notre chaleur, nos corps emboités en S, sa main sur mon sein. Je sens qu’il s’éveille à son sexe qui se déploie contre le bas de mon dos. Il chemine doucement, je l’attends, je frissonne, il m’apaise. Je trouve maintenant des plaisirs à ces embrassements du corps.
Bref, le vent de la prospérité tournait, mais, comme à la veille du mauvais temps, il fallait un œil avisé pour noter les légers nuages d’altitude dans un ciel encore clair.
Il pensa à sa mère, cette femme uniquement attachée à la vie matérielle, dont il aurait pu se remémorer chaque baiser, tant ils avaient été rares. Elle avait dû mourir, sinon la vieille Irina l’aurait évoquée. Depuis quand ? Nul n’avait alors cherché à le joindre. Elle était passée inaperçue dans sa mort comme dans sa vie.
Cet hiver nous avons eu la coqueluche, comme il y a deux ans. Encore au moins quatre-vingts morts. Plus un Indien ne va à la chasse, on dirait qu’ils ne savent plus. Ils se contentent de mendier des petits travaux et l’alcool les affaiblit. Emily, un drame se joue sous nos yeux. J’ai évalué qu’en quinze ans la population yamana a perdu un tiers de ses effectifs. Ce peuple disparait avec
ses coutumes, sa langue. Chez les Onas c’est encore pire. Tout le nord de la Terre de Feu est donné aux éleveurs. Ils font la chasse aux Indiens quand ils chapardent des moutons qu’ils appellent « les guanacos blancs ». On m’a rapporté des atrocités. Le croiras-tu, certains paient des tueurs qui doivent prouver leurs forfaits en ramenant les oreilles ? Une livre par paire ! Tu te rends
compte ! Des oreilles humaines, celles d’hommes, de femmes et même d’enfants !
Je suis nue, abandonnant l’ultime protection des vêtements. Je tremble, ce n’est ni de froid ni d’une pudeur que personne ne peut déranger, mais du sentiment que je ne suis rien, rien d’autre qu’un corps, un amas de peau, de chair, de muscles et d’os. Je suis semblable à ces animaux qui tombent sous la lance d’Aneki, seulement séparée d’eux par mon esprit. Dépouillée de tout
sur cette plage perdue, je suis au stade ultime du détachement de ce qui a fait ma vie d’avant.
Le glacier dévale de là, puissant, rabotant, arrachant tout sur son passage. Il a creusé une large vallée emplie d'un chaos de fin du monde, une cascade figée de blancs, de bleus, de verts insensés. Jamais je n'aurais pensé que la glace puisse avoir tant de couleurs.