Je possédais un excellent tourne-disques, don de ma mère, sans compter une centaine de disques. Mais qui n'a jamais pu dire que la musique agit de toute façon, se fait écouter, pour ainsi dire de force, même par la personne la plus distraite ? Celui qui a dit cela a dit une chose inexacte. En réalité mes oreilles refusaient non seulement d'écouter mais d'entendre. Et puis, au moment de
choisir un disque, cette pensée me paralysait : quelle est la musique qu'on peut écouter dans les moments d'ennui ? Alors je refermais le tourne-disques, je me jetais sur le divan et me mettais à penser à ce que j'allais pouvoir faire.
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Moi-même j’ai été jeune, et j’aimais Amaryllis : j’en oubliais le manger et le boire, je refusais le sommeil. Mon âme souffrait, mon cœur s’agitait, mon corps se glaçait. Je criais comme si on me battait, je restais muet comme si j’étais mort, je me jetais dans les rivières comme si j’avais le feu sur moi. J’appelais Pan à mon secours, puisqu’il avait lui-même aimé Pitys
; je remerciais Echo de crier après moi le nom d’Amaryllis ; je brisais mes syrinx, car elles attiraient mes vaches sans faire venir Amaryllis. En effet contre Eros il n’y a pas de remède qui se prenne en buvant, en mangeant ou en récitant des litanies, sinon s’embrasser, s’enlacer et coucher nus ensemble.
Je jetais un oeil dans les livres de morale, qui ne parlaient que de la vanité des choses de ce monde, et c'est pourquoi je les haïssais. Ce qui m'attirait, c'étaient les jeux, la liberté des champs, le soleil, le vent et l'eau, les gamins. Le monde n'était pas vain, mais d'une beauté inouïe et plein de joie.