Chacun nourrit l'espoir secret que ceux qui lui sont chers s'entendront bien entre eux.
" Pendant qu'elle laissait goutter de l'extrait de menthe dans des gobelets en carton, je me suis tournée vers Sam et j'ai saisi son autre main. Je me suis mise sur la pointe des pieds et je l'ai embrassé prestement sur les lèvres.
- Attaque-surprise!
Sam s'est penché et il m'a embrassé lui aussi, sa bouche s'attardant sur la mienne, et le contact rude de ses dents contre ma
lèvre inférieure m'a fait frémir.
- Attaque-surprise-retour."
C'est tout ce que tu as à proposer? railla-t-elle d'un ton provoquant, mais d'une voix si douce que je posai à nouveau mes levres sur les siennes, dans un baiser tout différent, de six années à rattraper. Ses lèvres parfumées d'orange et de désirs s'animèrent. Ses doigts remontèrent mes pattes, s'enfoncèrent dans mes cheveux, se nouèrent derrière ma nuque, vivants et froids contre la
chaleur de ma peau. Je me sentais et sauvage et apprivoisé, atrocément déchiré et contraint d'exister.
_Tu veux parler, alors parfait, parle! Raconte-moi quelque chose que tu n'as encore jamais dit à personne.
J'ai réfléchi.
_Parmi tous les animaux de la planète, les tortues sont les deuxièmes pour la taille du cerveau.
Isabel a réagi au quart de tour:
_C'est faux!
_Je sais, c'est bien pour ça que je ne l'ai encore jamais dit à personne.
CHAPITRE 36 - Sam - 9°C
" Je me souvenais de l'expression de Shelby lorsqu'elle me proposa :
- Tu veux voir mes cicatrices ?
- Tes cicatrices de quoi ?
- De quand j'ai été attaquée. Par les loups.
- Non.
Elle me les montra tout de même. Son ventre était tout couturé de chéloïdes qui disparaissaient dans son soutien-gorge.
- Je ressemblais à un
hamburger, là où ils m'ont mordue.
Je ne voulais pas entendre.
Shelby ne baissa pas son chemisier.
- Ca doit être l'enfer, pour ceux qu'on tue, commenta-t-elle. Nous sommes sans doute la pire façon de mourir. "
J'étais tout près d'elle à présent. Elle gisait, face à l'immensité du ciel qu'elle fixait d'un air détaché, morte peut-être. J'enfonçais la truffe dans la paume de sa main ; elle sentait bon le sucre, le beurre et le sel, me renvoyant à une autre existence.
Puis je vis ses yeux.
Eveillés. vivants.
Elle les plongea au fond des miens et me dévisagea avec une
atroce franchise.
Je reculai, frissonnant encore – mais, cette fois, ce n'était pas la colère qui ébranlait ma carcasse.
Ses yeux dans les miens. Son sang sur mon museau.
Je me sentais écartelé, au-dedans comme au dehors.
Sa vie.
Ma vie.
La meute, méfiante, me céda la place. Ils grognèrent contre moi, qui n'était plus des leurs, et
retroussèrent leurs babines en direction de leur proie. Je songeai que c'était la plus belle des enfants, un tout petit ange ensanglanté dans la neige, et qu'ils allaient la détruire.
Je le vis. Je la vis, elle, comme je n'avais encore jamais rien vu.
Et j'y mis fin.
Les gens ne devraient pas avoir à mériter la gentillesse, seulement la cruauté.
Je vouais au téléphone en tant que moyen de bavardage une haine particulière. L'appareil ne tolère ni les silences, ni les respirations: c'est parler ou rien, ce qui me semble peu naturel.
J'ai voyagé dans le monde entier, dit-il enfin sans détacher les yeux du paysage. J'ai visité plus d'un pays par année de ma vie. En Europe, en Amérique du Sud... J'ai vu les montagnes les plus hautes, les fleuves les plus larges, les villages les plus pittoresques. Je ne dis pas ça pour me vanter, mais parce que j'essaye de savoir pourquoi, après avoir vécu tout ça, je me sens chez moi
seulement ici. C'est le seul endroit qui est le mien.
"Ceci est l'histoire d'un garçon qui a été loup et d'une fille qui l'est devenue"
- Comment tu fais, pour vivre ?
- Je vis, et c'est tout, Cole ! Je ne fiche pas le camp dans ma tête, je règle les problèmes à mesure qu'ils apparaissent, et ça les fait disparaître. Si on refuse d'y penser, ils restent là pour toujours.