Hector Berlioz
Hector Berlioz

XXXV

Les théâtres de Gênes et de Florence. — I Montecchi ed i Capuletti de Bellini. — Roméo joué par une femme. — La Vestale de Paccini. — Licinius joué par une femme. L’organiste de Florence. — La fête del Corpus Domini — Je rentre à l’Académie.

En repassant à Gênes, j’allai entendre l’Agnese de Paër. Cet opéra fut célèbre à l’époque

de transition crépusculaire qui précéda le lever de Rossini.

L’impression de froid ennui dont il m’accabla tenait sans doute à la détestable exécution qui en paralysait les beautés. Je remarquai d’abord que, suivant la louable habitude de certaines gens qui, bien qu’incapables de rien faire, se croient appelées à tout refaire ou retoucher, et qui de leur coup d’œil

d’aigle aperçoivent tout de suite ce qui manque dans un ouvrage, on avait renforcé d’une grosse caisse l’instrumentation sage et modérée de Paër ; de sorte qu’écrasé sous le tampon du maudit instrument, cet orchestre, qui n’avait pas été écrit de manière à lui résister, disparaissait entièrement. Madame Ferlotti chantait (elle se gardait bien de le jouer) le rôle

d’Agnèse. En cantatrice qui sait, à un franc près, ce que son gosier lui rapporte par an, elle répondait à la douloureuse folie de son père par le plus imperturbable sang-froid, la plus complète insensibilité ; on eût dit qu’elle ne faisait qu’une répétition de son rôle, indiquant à peine les gestes, et chantant sans expression pour ne pas se fatiguer.

L’orchestre

m’a paru passable. C’est une petite troupe fort inoffensive ; mais les violons jouent juste et les instruments à vent suivent assez bien la mesure. À propos de violons... pendant que je m’ennuyais dans sa ville natale, Paganini enthousiasmait tout Paris. Maudissant le mauvais destin qui me privait de l’entendre, je cherchai au moins à obtenir de ses compatriotes quelques renseignements

sur lui ; mais les Génois sont, comme les habitants de toutes les ville de commerce, fort indifférents pour les beaux-arts. Ils me parlèrent très-froidement de l’homme extraordinaire que l’Allemagne, la France et l’Angleterre ont accueilli avec acclamations. Je demandai la maison de son père, on ne put me l’indiquer. À la vérité, je cherchai aussi dans Gênes le temple, la

pyramide, enfin le monument que je pensais avoir été élevé à la mémoire de Colomb, et le buste du grand homme qui découvrit le Nouveau Monde n’a pas même frappé une fois mes regards, pendant que j’errais dans les rues de l’ingrate cité qui lui donna naissance et dont il fit la gloire.

De toutes les capitales d’Italie, aucune ne m’a laissé d’aussi gracieux

souvenirs que Florence. Loin de m’y sentir dévoré de spleen, comme je le fus plus tard à Rome et à Naples, complètement inconnu, ne connaissant personne, avec quelques poignées de piastres à ma disposition, malgré la brèche énorme que la course de Nice avait faite à ma fortune, jouissant en conséquence de la plus entière liberté, j’y ai passé de bien douces journées, soit à

parcourir ses nombreux monuments, en rêvant de Dante et de Michel-Ange, soit à lire Shakespeare dans les bois délicieux qui bordent la rive gauche de l’Arno et dont la solitude profonde me permettait de crier à mon aise d’admiration. Sachant bien que je ne trouverais pas dans la capitale de la Toscane ce que Naples et Milan me faisaient tout au plus espérer, je ne songeais guère à la

musique, quand les conversations de table d’hôte m’apprirent que le nouvel opéra de Bellini (I Montecchi ed i Capuletti) allait être représenté. On disait beaucoup de bien de la musique, mais aussi beaucoup du libretto, ce qui, eu égard au peu de cas que les Italiens font pour l’ordinaire des paroles d’un opéra, me surprenait étrangement. Ah ! ah ! c’est une innovation ! ! ! je

vais donc, après tant de misérables essais lyriques sur ce beau drame, entendre un véritable opéra de Roméo, digne du génie de Shakespeare ! Quel sujet ! comme tout y est dessiné pour la musique !... D’abord le bal éblouissant dans la maison de Capulet, où, au milieu d’un essaim tourbillonnant de beautés, le jeune Montaigu aperçoit pour la première fois la sweet Juliet, dont la

fidélité doit lui coûter la vie ; puis ces combats furieux, dans les rues de Vérone, auxquels le bouillant Tybalt semble présider comme le génie de la colère et de la vengeance ; cette inexprimable scène de nuit au balcon de Juliette, où les deux amants murmurent un concert d’amour tendre, doux et pur comme les rayons de l’astre des nuits qui les regarde en souriant amicalement ; les

piquantes bouffonneries de l’insouciant Mercutio, le naïf caquet de la vieille nourrice, le grave caractère de l’ermite, cherchant inutilement à ramener un peu de calme sur ces flots d’amour et de haine dont le choc tumultueux retentit jusque dans sa modeste cellule... puis l’affreuse catastrophe, l’ivresse du bonheur aux prises avec celle du désespoir, de voluptueux soupirs changés

en râle de mort, et enfin le serment solennel des deux familles ennemies jurant, trop tard, sur le cadavre de leurs malheureux enfants, d’éteindre la haine qui fit verser tant de sang et de larmes. Je courus au théâtre de la Pergola. Les choristes nombreux qui couvraient la scène me parurent assez bons ; leurs voix sonores et mordantes ; il y avait surtout une douzaine de petits garçons de

quatorze à quinze ans, dont les contralti étaient d’un excellent effet. Les personnages se présentèrent successivement et chantèrent tous faux, à l’exception de deux femmes, dont l’une, grande et forte, remplissait le rôle de Juliette, et l’autre, petite et grêle, celui de Roméo. — Pour la troisième ou quatrième fois après Zingarelli et Vaccaï, écrire encore Roméo pour une

femme !... Mais, au nom de Dieu, est-il donc décidé que l’amant de Juliette doit paraître dépourvu des attributs de la virilité ? Est-il un enfant, celui qui, en trois passes, perce le cœur du furieux Tybalt, le héros de l’escrime, et qui, plus tard, après avoir brisé les portes du tombeau de sa maîtresse, d’un bras dédaigneux, étend mort sur les degrés du monument le comte

Pâris qui l’a provoqué ? Et son désespoir au moment de l’exil, sa sombre et terrible résignation en apprenant la mort de Juliette, son délire convulsif après avoir bu le poison, toutes ces passions volcaniques germent-elles d’ordinaire dans l’âme d’un eunuque ?

Trouverait-on que l’effet musical de deux voix féminines est le meilleur ?... Alors, à quoi bon des

ténors, des basses, des barytons ? Faites donc jouer tous les rôles par des soprani ou des contralti, Moïse et Othello ne seront pas beaucoup plus étranges avec une voix flûtée que ne l’est Roméo. Mais il faut en prendre son parti ; la composition de l’ouvrage va me dédommager...

Quel désappointement ! ! ! dans le libretto il n’y a point de bal chez Capulet, point de

Mercutio, point de nourrice babillarde, point d’ermite grave et calme, point de scène au balcon, point de sublime monologue pour Juliette recevant la fiole de l’ermite, point de duo dans la cellule entre Roméo banni et l’ermite désolé ; point de Shakespeare, rien ; un ouvrage manqué. Et c’est un grand poëte, pourtant, c’est Félix Romani, que les habitudes mesquines des théâtres

lyriques d’Italie ont contraint à découper un si pauvre libretto dans le chef-d’œuvre shakespearien !

Le musicien, toutefois, a su rendre fort belle une des principales situations ; à la fin d’un acte, les deux amants, séparés de force par leurs parents furieux, s’échappent un instant des bras qui les retenaient et s’écrient en s’embrassant : «Nous nous reverrons

aux cieux.» Bellini a mis, sur les paroles qui expriment cette idée, une phrase d’un mouvement vif, passionné, pleine d’élan et chantée à l’unisson par les deux personnages. Ces deux voix, vibrant ensemble comme une seule, symbole d’une union parfaite, donnent à la mélodie une force d’impulsion extraordinaire ; et, soit par l’encadrement de la phrase mélodique et la manière

dont elle est ramenée, soit par l’étrangeté bien motivée de cet unisson auquel on est loin de s’attendre, soit enfin par la mélodie elle-même, j’avoue que j’ai été remué à l’improviste et que j’ai applaudi avec transport. On a singulièrement abusé, depuis lors, des duos à l’unisson. — Décidé à boire le calice jusqu’à la lie, je voulus, quelques jours après,

entendre la Vestale de Paccini. Quoique ce que j’en connaissais déjà m’eût bien prouvé qu’elle n’avait de commun avec l’œuvre de Spontini que le titre, je ne m’attendais à rien de pareil... Licinius était encore joué par une femme... Après quelques instants d’une pénible attention, j’ai dû m’écrier, comme Hamlet : «Ceci est de l’absinthe !» et ne me sentant pas

capable d’en avaler davantage, je suis parti au milieu du second acte, donnant un terrible coup de pied dans le parquet, qui m’a si fort endommagé le gros orteil que je m’en suis ressenti pendant trois jours. — Pauvre Italie !... Au moins, va-t-on me dire, dans les églises, la pompe musicale doit-être digne des cérémonies auxquelles elle se rattache. Pauvre Italie !... On verra plus

tard quelle musique on fait à Rome, dans la capitale du monde chrétien : en attendant, voilà ce que j’ai entendu de mes propres oreilles pendant mon séjour à Florence. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Saint Thomas d`Aquin
Saint Thomas d`Aquin

Il paraît qu'on n'assigne pas convenablement les vertus conjointes à la justice. 1° Cicéron, Rhet., II, compte parmi ces vertus « la religion, la piété filiale, la reconnaissance, la vindication, le respect et la vérité. » Or la vindication, comme nous l'avons dit ailleurs , est l'espèce de la justice commutative par laquelle on tire vengeance des injures reçues. Donc on ne doit pas la

placer parmi les vertus conjointes à la justice.

Jacques Derrida
Jacques Derrida

En ce lieu de jalousie, en ce lieu partagé de vengeance et de ressentiment, en ce corps passionné par sa propre « division », avant toute autre mémoire, l'écriture se destine comme d'elle-même à l'anamnèse.

John Milton
John Milton

Ne pourrions-nous trouver quelque entreprise plus aisée ? Si l’ancienne et prophétique tradition du ciel n’est pas mensongère, il est un lieu, un autre monde, heureux séjour d’une nouvelle créature appelée l’Homme. À peu près dans ce temps, elle a dû être créée semblable à nous, bien que moindre en pouvoir et en excellence ; mais elle est plus favorisée de celui qui règle

tout là-haut. Telle a été la volonté du Tout-Puissant prononcée parmi les dieux, et qu’un serment, dont fut ébranlée toute la circonférence du ciel, confirma. Là doivent tendre toutes nos pensées, afin d’apprendre quelles créatures habitent ce monde, quelle est leur forme et leur substance ; comment douées ; quelle est leur force et où est leur faiblesse ; si elles peuvent le

mieux être attaquées par la force ou par la ruse. Quoique le ciel soit fermé et que souverain arbitre siège en sûreté dans sa propre force, le nouveau séjour peut demeurer exposé aux confins les plus reculés du royaume de ce Monarque, et abandonné à la défense de ceux qui l’habitent : là peut-être pourrons-nous achever quelque aventure profitable, par une attaque soudaine ; soit

qu’avec le feu de l’enfer nous dévastions toute sa création entière, soit que nous nous en emparions comme de notre propre bien, et que nous en chassions (ainsi que nous avons été chassés) les faibles possesseurs. Ou si nous ne les chassons pas, nous pourrons les attirer à notre parti, de manière que leur Dieu deviendra leur ennemi, et d’une main repentante détruira son propre

ouvrage. Ceci surpasserait une vengeance ordinaire et interromprait la joie que le vainqueur éprouve de notre confusion : notre joie naîtrait de son trouble, alors que ses enfants chéris, précipités pour souffrir avec nous, maudiraient leur frêle naissance, leur bonheur flétri, flétri si tôt. Avisez si cela vaut la peine d’être tenté, ou si nous devons, accroupis ici dans les

ténèbres, couver de chimériques empires. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

Gotthold Ephraim Lessing
Gotthold Ephraim Lessing

Spence fait les notions les plus étranges de la similitude entre la poésie et la peinture. Il croit que les deux arts étaient si étroitement liés aux anciens qu'ils allaient constamment de pair, et que le poète n'a jamais perdu de vue le peintre, le peintre n'a jamais perdu de vue le poète. Cette poésie est un art supplémentaire, qu'elle a à sa disposition des beautés que la peinture ne

peut atteindre; qu'il peut souvent avoir des raisons de préférer les beautés non peintes au pittoresque: il semble n'avoir jamais pensé à cela, et est donc gêné de la moindre différence qu'il remarque chez les vieux poètes et artistes, ce qui le rend étrangement Apporte des excuses du monde.

La plupart des anciens poètes ont donné des cornes de Bacchus. C'est donc

merveilleux, dit Spence, que ces cornes soient si rarement vues sur ses statues Polymetis Dial. p. 129.. Il tombe sur celui-ci, il tombe sur une autre cause; sur l'ignorance des antiquaires, sur la petitesse des cornes elles-mêmes, qui auraient pu se cacher sous les raisins et les feuilles de lierre, la coiffe constante du dieu. Il se tord autour de la vraie cause sans s'en douter. Les cornes de

Bacchus n'étaient pas des cornes naturelles comme l'étaient les faunes et les satyres. C'était un ornement de front qu'il pouvait mettre et enlever.

- Tibi, cum sine cornibus adstas
Virgineum caput est: - -
il dit dans l'invocation solennelle de Bacchus à Ovid Metamorph. lib. IV. V. 19. 20.. Pour qu'il puisse se montrer sans cornes; et se montra sans cornes quand il

voulait apparaître dans sa beauté vierge. Les artistes voulaient le représenter en cela et devaient donc éviter tout ajout de mauvais effet à lui. Un tel ajout aurait été les cornes qui étaient attachées au diadème, comme on peut le voir sur une tête dans le cabinet royal à Berlin Begeri Thes. Brandenb. Vol III. p. 240.. L'un de ces ajouts était le diadème lui-même, qui couvrait le

beau front, et apparaît donc aussi rarement sur les statues de Bacchus que les cornes, bien qu'il lui soit tout aussi souvent ajouté par les poètes que son inventeur. Les cornes et le diadème donnaient au poète de belles allusions aux actes et au caractère du dieu: pour l'artiste, en revanche, ils devenaient un obstacle à montrer de plus grandes beautés, et si Bacchus, comme je le crois,

était surnommé Biformis, Δίμορφος, parce que lui-même pouvait montrer à la fois beau et terrible, il était donc naturel que l'artiste préfère choisir la figure qui convenait le mieux au but de son art.

Minerva et Juno jettent souvent des éclairs avec les poètes romains. Mais pourquoi pas dans leurs illustrations aussi? demande Spence

Polymetis Dial VI. p. 63.. Il répond: c'était un privilège spécial de ces deux déesses, dont la raison a peut-être été apprise pour la première fois dans les mystères samothraciens; mais parce que les artistes étaient considérés comme des gens ordinaires par les anciens Romains, et étaient donc rarement admis à ces secrets, ils ne savaient sans doute rien d'eux, et ce qu'ils ne

savaient pas, ils ne pouvaient pas l'imaginer. Je voudrais demander à Spencen, au contraire: ces gens ordinaires travaillaient-ils devant leur tête, ou sur ordre de messieurs qui pourraient être informés des secrets? Les artistes avaient-ils aussi ce mépris chez les Grecs? Les artistes romains n'étaient-ils pas principalement d'origine grecque? Etc.

Statius et Valerius Flaccus

dépeignent une Vénus enragée, et avec des traits si terribles qu'à ce moment, elle devrait être prise pour une fureur plutôt que pour la déesse de l'amour. Spence cherche en vain une telle Vénus dans les anciennes œuvres d'art. Qu'est-ce qu'il en conclut? Que le poète est autorisé plus que le sculpteur et peintre? Il aurait dû en conclure cela; mais une fois pour toutes il l'a accepté

comme principe que rien n'est bon dans une description poétique qui serait impropre si elle était présentée dans un tableau ou sur une statue Polymetis Dialogue XX. p. 31 1. Rares sont les choses qui peuvent être bonnes dans une description poétique, qui semblerait absurde si elle est représentée dans une statue ou un tableau.. Les poètes devaient donc être absents. «Statius et Valerius

sont d'une époque où la poésie romaine était déjà en déclin. En cela aussi, ils montrent leur goût gâté et leur mauvais jugement. De tellesrépudiations contre l'expression picturale ne se trouveront pas chez les poètes d'un temps meilleur . Polymetis Dial. VII. P. 74."

Pour dire quelque chose comme ça, il faut vraiment peu de distinction. Dans ce cas, cependant, je ne

traiterai pas de Statius ou de Valerius, mais je ferai seulement une remarque générale. Les dieux et les êtres spirituels représentés par l'artiste ne sont pas exactement les mêmes que les besoins du poète. Dans le cas de l'artiste, ce sont des résumés personnifiés qui doivent constamment conserver la même caractérisation pour être reconnaissables. Dans le cas du poète, au contraire,

ce sont de véritables êtres agissants qui, outre leur caractère général, ont d'autres propriétés et affections qui, selon les circonstances, peuvent se démarquer devant eux. Vénus n'est pour le sculpteur que de l'amour; il doit donc lui donner toute la beauté modeste et timide, tous les charmants charmes qui nous enchantent dans les objets aimés, et que nous apportons donc avec nous

dans le concept séparé de l'amour. Le moindre écart par rapport à cet idéal nous fait mal comprendre son image. La beauté, mais avec plus de majesté que de honte, n'est pas une Vénus, mais un Junon. Une Minerve au lieu d'une Vénus donne des charmes, mais plus impérieux, masculins que de beaux charmes. Une Vénus complètement en colère, une Vénus animée par la vengeance et la colère,

est une véritable contradiction pour le sculpteur; parce que l'amour, en tant qu'amour, ne se met jamais en colère, ne se venge jamais. Dans le cas du poète, en revanche, Vénus est aussi amour, mais la déesse de l'amour, qui, en plus de ce caractère, a sa propre individualité, et par conséquent doit être tout aussi capable des pulsions de répulsion que d'affection. Alors pourquoi est-ce

qu'elle est allumée de colère et de rage en lui, surtout quand c'est l'amour offensé lui-même qui lui en fait envie?

Il est vrai que l'artiste, lui aussi, peut introduire Vénus ou toute autre divinité, en dehors de son caractère, comme un véritable être acteur, au même titre que le poète, dans des œuvres composites. Mais alors au moins leurs actions ne doivent pas

contredire leur caractère, si elles n'en sont pas des conséquences immédiates. Vénus remet les armes divines à son fils: cet acte peut être imaginé aussi bien par l'artiste que par le poète. Ici, rien ne l'empêche de donner à Vénus toute la grâce et la beauté qu'elle mérite en tant que déesse de l'amour; c'est plutôt à cause de cela qu'il devient tellement plus reconnaissable dans

son œuvre. Mais quand vous voyez Vénus se venger de ses détracteurs, les hommes de Lemnos, sous une forme élargie et sauvage, aux joues tachetées, aux cheveux emmêlés, une robe noire se jette autour de lui et s'abat sur un nuage sombre: ce n'est pas un moment pour l'artiste, car il ne peut la rendre reconnaissable à rien à ce moment. Ce n'est qu'un moment pour le poète, car il a le

privilège d'en relier un autre, chez qui la déesse est entièrement Vénus, si proche, si précisément qu'on ne perd pas de vue Vénus même dans la fureur. Flaccus fait ceci:

- - Neque enim alma videri
Jam tumet; aut tereti crinem subnectitur auro,
Sidereos diffusa sinus. Eadem effera et ingens
Et maculis suffecta genas; pinumque sonantem
Virginibus Stygiis,

nigramque simillima pallam Argonaut. Lib. II. V. 102-106. .
C'est exactement ce que fait Statius:

Illa Paphon veterem centumque altaria linquens,
Nec vultu nec crine prior, solvisse jugalem
Ceston, et Idalias procul leggasse volucres
Fertur. Erant certe, media qui noctis in umbra
Divam, alios ignes majoraque tela gerentem,
Tartarias inter thalamis

volitasse sorores
Vulgarent: utque implicitis arcana domorum
Anguibus et saeva formidine cuncta replerit
Limina Thebaid . Lib. V. c. 61-69. . -
Ou on peut dire: le poète seul a l'astuce de décrire avec des traits négatifs et, en mélangeant ces traits négatifs avec des traits positifs, de réunir deux phénomènes en un seul. Plus belle Vénus; les cheveux ne sont plus

attachés avec des pinces en or; pas flotté par des robes azur; sans sa ceinture; avec d'autres flammes, armées de flèches plus grosses; en compagnie de fureurs comme elle. Mais parce que l'artiste doit se passer de cet exploit, le poète doit-il s'en abstenir? Si la peinture veut être la sœur de la poésie, au moins ce n'est pas une sœur jalouse; et les plus jeunes n'interdisent pas aux

plus âgés tout le plâtre qui ne les habille pas eux-mêmes. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

James Fenimore Cooper
James Fenimore Cooper

Non, dit Magua après s'être assuré que le captif n'était pas blessé ; il fautque le soleil brille sur sa honte ; il faut que les squaws voient sa chairtrembler, et prennent part à son supplice, sans quoi notre vengeance neserait qu'un jeu d'enfant.

James Fenimore Cooper
James Fenimore Cooper

Cependant la soif de vengeance des Hurons ne se ralentissait pas, et ils sepréparaient à l'assouvir avec tous les raffinements de cruauté que lapratique de plusieurs siècles avait rendus familiers à leur nation. Les unscoupaient des branches pour en former des bûchers autour de leursvictimes ; les autres taillaient des chevilles de bois pour les enfoncer dansla chair des prisonniers quand

ils seraient exposés à l'action d'un feu lent

Pierre Abelard
Pierre Abelard

Une nuit donc, alors que je dormais tranquillement dans l'intimité de ma chambre, ils pénétrèrent chez moi grâce à la complicité d'un serviteur qu'ils avaient corrompu à prix d'argent, et me châtièrent par la plus cruelle et la plus honteuse des vengeances, vengeance que le monde allait apprendre avec stupéfaction, puisqu'ils me coupèrent les parties de mon corps qu'ils rendaient

responsables de leur déshonneur. Aussitôt ils prirent la fuite, mais on réussit tout de même à en retrouver deux, dont le serviteur cupide qu'ils avaient amené à me trahir, alors même qu'il faisait partie des gens de ma maison: tous deux en perdirent les yeux et les parties génitales.

Julia Kristeva
Julia Kristeva

« Écrire sur la mélancolie n'aurait de sens, pour ceux que la mélancolie ravage, que si l'écrit venait de la mélancolie. J'essaie de vous parler d'un gouffre de tristesse, douleur incommunicable qui nous absorbe parfois, et souvent durablement, jusqu'à nous faire perdre le goût de toute parole, de tout acte, le goût même de la vie. Ce désespoir n'est pas un dégoût qui supposerait que

je sois capable de désir et de création, négatifs certes, mais existants. Dans la dépression, si mon existence est prête à basculer, son non-sens n'est pas tragique : il m'apparaît évident, éclatant et inéluctable.
(...)
La liste est infinie des malheurs qui nous accablent tous les jours... Tout ceci me donne brusquement une autre vie. Une vie invivable, chargée de peines

quotidiennes, de larmes avalées ou versées, de désespoir sans partage, parfois brûlant, parfois incolore et vide. Une existence dévitalisée, en somme, qui, quoique parfois exaltée par l'effort que je fais pour la continuer, est prête à basculer à chaque instant dans la mort. Mort vengeance ou mort délivrance, elle est désormais le seuil interne de mon accablement, le sens impossible de

cette vie dont le fardeau me paraît à chaque instant intenable, hormis les moments où je me mobilise pour faire face au désastre. Je vis une mort vivante, chair coupée, saignante, cadavérisée, rythme ralenti ou suspendu, temps effacé ou boursoufflé, résorbé dans la peine... Absente du sens des autres, étrangère, accidentelle au bonheur naïf, je tiens de ma déprime une lucidité

suprême, métaphysique. Aux frontières de la vie et de la mort, j'ai parfois le sentiment orgueilleux d'être le témoin du non-sens de l’Être, de révéler l'absurdité des liens et des êtres."

Julia KRISTEVA, Soleil Noir, incipit. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          142

V. S. Naipaul
V. S. Naipaul

L’Islam iranien, Islam chi’a, était une affaire bien embrouillée. Pour cultiver d’anciennes querelles, pour que survive le désir de vengeance personnelle même après mille ans, pour que reste dans les mémoires une liste particulière de héros, de martyrs et de traîtres, l’instruction était une nécessité.