La végétation ne connaît pas de contradiction. Il vient des nuages pour contredire le soleil du solstice. Aucune tempête n'empêche l'arbre, à son heure, de devenir vert.
L'examen de l'imagination nous conduit à ce paradoxe : dans l'imagination de la vision généralisée, l'eau joue un rôle inattendu. L'œil véritable de la terre, c'est l'eau. Dans nos yeux, c'est l'eau qui rêve. Nos yeux ne sont-ils pas « cette flaque inexplorée de lumière liquide que Dieu a mise au fond de nous-mêmes »? [Claudel, L'Oiseau noir dans le Soleil levant].
Cité Soleil a souvent été perçu comme un des endroits les plus dangereux au monde. Depuis 2007, la Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti (Minustah) maintient l'ordre tant bien que mal. Des assauts menés par 700 Casques bleus appuyés par des hélicoptères ont été nécessaires pour sortir les bandits d'ici […] Le quartier est cerné de carcasses de voitures rouillées,
il est composé de cabanes de tôles où les familles dorment à dix à même le sol, entourées de boue et d'ordure. D'énormes cochons pataugent dans des flaques d'eau fétide. Les mouches bourdonnent. Un tiers de million de personnes se partagent 53 points d'eau potable.
Le gardien de la guérite […] ne semblait pas remarquer le couple mère-enfant dont la misère noire contrastait tant avec l'opulence blanche du [P]alais [présidentiel]. Probablement qu'il obéissait à des ordres stricts qui lui interdisent de bouger pour autre chose qu'un coup d'État. Sinon, il attendait le coucher du soleil pour faire disparaître, de manière discrète, cette gênante qui
avait le culot de venir mourir aux pieds du pouvoir officiel. C'est peut-être tout ce qui restait à cette femme, son corps transformé en reproche, en grief contre un ordre des choses où son enfant et elle n'avaient pas leur place.
Dès l’enfance, j’ai eu le plus grand mal à m’arracher au lit. Devenu adulte, homme mûr, homme désormais au seuil vaporeux de la vieillesse, je reste fidèle le plus possible à la station horizontale, aux yeux clos, à la rêverie au lieu de pensée, au rêve remplaçant la réalité, à ce qui fut dit le simulacre de la mort quand il est l’essence de la vie. Sommeil, soleil!
L’homme sait aujourd’hui que la terre n’est qu’une boule animée d’un mouvement multiforme et vertigineux qui court sur un abîme insondable, attirée et dominée par les forces qu’exercent sur elle d’autres corps célestes, incomparablement plus grands et situés à des distances inimaginables; il sait que la terre où il vit n’est qu’un grain de poussière par rapport au
soleil, et que le soleil lui-même n’est qu’un grain au milieu de myriades d’autres astres incandescents; il sait aussi que tout cela bouge. Une simple irrégularité dans cet enchaînement de mouvements sidéraux, l’interférence d’un astre étranger dans le système planétaire, une déviation de la trajectoire normale du soleil, ou tout autre incident cosmique, suffirait pour faire
vaciller la terre au cours de sa révolution, pour troubler la succession des saisons, modifier l’atmosphère et détruire l’humanité. L’homme aujourd’hui sait par ailleurs que le moindre atome renferme des forces qui, si elles étaient déchaînées, pourraient provoquer sur terre une conflagration planétaire presque instantanée. Tout cela, l’infiniment petit” et l’infiniment
grand”, apparaît, du point de vue de la science moderne, comme un mécanisme d’une complexité inimaginable, dont le fonctionnement est dû à des forces aveugles.
Et pourtant, l’homme d’aujourd’hui vit et agit comme si le déroulement normal et habituel des rythmes de la nature lui était garanti. Il ne pense, en effet, ni aux abîmes du monde intersidéral, ni aux forces
terribles que renferme chaque corpuscule de matière. Avec des yeux d’enfant, il regarde au-dessus de lui la voûte céleste avec le soleil et les étoiles, mais le souvenir des théories astronomiques l’empêche d’y voir des signes de Dieu. Le ciel a cessé de représenter pour lui la manifestation naturelle de l’esprit qui englobe le monde et l’éclaire. Le savoir universitaire s’est
substitué en lui à cette vision naïve” et profonde des choses. Non qu’il ait maintenant conscience d’un ordre cosmique supérieur, dont l’homme serait aussi partie intégrante. Non. Il se sent comme abandonné, privé d’appui solide face à ces abîmes qui n’ont plus aucune commune mesure avec lui-même. Car rien ne lui rappelle plus désormais que tout l’univers, en définitive,
est contenu en lui-même, non pas dans son être individuel, certes, mais dans l’esprit qui est en lui et qui, en même temps, le dépasse, lui et tout l’univers visible.
Moite, j’ouvris la fenêtre pour respirer. Gonflé, le cerisier floconnait, dépassé par l’abondance de ses pétales blancs. En face, la voisine souleva le rideau blanc qui retomba lentement. Le soleil médaillait le soldat. Solitaire, la fleur du magnolia éclatait en apothéose blanche. Et la Mort qui marchait là, entre les boules blanches, s’arrêta.