Gaston Bachelard
Gaston Bachelard

La volonté nietzschéenne prend appui sur sa propre vitesse. Elle est une accélération du devenir qui n'a pas besoin de matière. Il semble que l'abîme, comme un arc toujours tendu, serve à Nietzsche à lancer ses flèches vers le haut. Près de l'abîme, le destin humain est de tomber. Près de l'abîme, le destin du surhomme est de jaillir, tel un pin vers le ciel bleu.

Abel Bonnard
Abel Bonnard

Le Destin n'attend pas : dans la vie des nations comme dans celle des individus, il n'y a que de rares moments de choix, dont il faut reconnaître l'insigne importance, si l'on veut profiter pleinement des chances qu'ils nous offrent. L'Occasion est une déesse qui ne s'assied pas.

Loïc Decrauze
Loïc Decrauze

Mon destin et toutes ses fioritures font leurs petites traînées sans grande saillance. Le temps s'échappe comme un rail de poudre en combustion sans que je parvienne à maîtriser mes actions.

Boris Johnson
Boris Johnson

La plupart des hommes politiques sont passifs face à eux (les évènements). Ils constatent ce qui semble inévitable, puis s'alignent sur le destin - ensuite(en général) ils tâchent de présenter les choses à leur avantage en essayant de s'attribuer le mérite de ce qu'il s'est passé.

Emmanuel Le Roy Ladurie
Emmanuel Le Roy Ladurie

La décadence économique, commune au Languedoc et à bien d’autres régions du sud de l’Europe, n’est pourtant ni fatale ni universelle. Dans l’Aquitaine moins développée, Toulouse, comme au XIXe siècle, marche à contre-courant de sa région, et donne depuis quarante ans l’exemple d’une éclatante fortune. Grande ville du Languedoc (155 000 habitants en 1911), elle est aussi en

1914 l’agglomération française la plus éloignée du front. Elle est donc choisie comme zone-refuge pour l’industrie de guerre (explosifs, aviation). Grâce à Latécoère, Daurat, Guillaumat, Mermoz, Saint-Exupéry, elle devient après 1919 la puissante cité française de l’aéronautique, tête de ligne de l’Atlantique-Sud et centre actif de production d’avions. En 1962Sud-Aviation,

société nationale, venait en tête de la production européenne, grâce à la célèbreCaravelle. Quant à l’industrie chimique, fondée en 1924-1928 par l’État pour l’exploitation de brevets allemands dont les industriels français ne voulaient pas, elle détenait la première place en France pour l’azote industriel et ses sous-produits. L’énergie était fournie par les barrages des

Pyrénées et du Massif central, et par le gaz de Saint-Marcet et de Lacq. Ainsi, les capitaux d’État, aidés par l’initiative locale, ont changé le destin de cette ville, que Basville en 1698, jugeait à jamais impropre au commerce et à l’industrie, en raison de « l’indolence espagnole » de ses habitants. L’évolution toulousaine a valeur d’exemple : dans le renouvellement des

structures économiques, le fait urbain doit jouer un rôle aussi important que la reconversion agricole.

Dans cette perspective cependant, le Languedoc tout entier paraît bien placé. La construction d’un axe Rhône-Rhin, les techniques d’avant-garde (canalisation du Bas-Rhône, usines atomiques diverses, certes contestées), le tourisme enfin confèrent un avantage décisif à

cette province voisine de la mer et d’un grand fleuve à vocation européenne.

L’implantation massive des« pieds-noirs »,de 1960, l’a bien montré : mer et autour soleil, au XXe siècle, peuvent être des motifs de peuplement plus importants que vigne et charbon. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          120

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XXXV

Les théâtres de Gênes et de Florence. — I Montecchi ed i Capuletti de Bellini. — Roméo joué par une femme. — La Vestale de Paccini. — Licinius joué par une femme. L’organiste de Florence. — La fête del Corpus Domini — Je rentre à l’Académie.

En repassant à Gênes, j’allai entendre l’Agnese de Paër. Cet opéra fut célèbre à l’époque

de transition crépusculaire qui précéda le lever de Rossini.

L’impression de froid ennui dont il m’accabla tenait sans doute à la détestable exécution qui en paralysait les beautés. Je remarquai d’abord que, suivant la louable habitude de certaines gens qui, bien qu’incapables de rien faire, se croient appelées à tout refaire ou retoucher, et qui de leur coup d’œil

d’aigle aperçoivent tout de suite ce qui manque dans un ouvrage, on avait renforcé d’une grosse caisse l’instrumentation sage et modérée de Paër ; de sorte qu’écrasé sous le tampon du maudit instrument, cet orchestre, qui n’avait pas été écrit de manière à lui résister, disparaissait entièrement. Madame Ferlotti chantait (elle se gardait bien de le jouer) le rôle

d’Agnèse. En cantatrice qui sait, à un franc près, ce que son gosier lui rapporte par an, elle répondait à la douloureuse folie de son père par le plus imperturbable sang-froid, la plus complète insensibilité ; on eût dit qu’elle ne faisait qu’une répétition de son rôle, indiquant à peine les gestes, et chantant sans expression pour ne pas se fatiguer.

L’orchestre

m’a paru passable. C’est une petite troupe fort inoffensive ; mais les violons jouent juste et les instruments à vent suivent assez bien la mesure. À propos de violons... pendant que je m’ennuyais dans sa ville natale, Paganini enthousiasmait tout Paris. Maudissant le mauvais destin qui me privait de l’entendre, je cherchai au moins à obtenir de ses compatriotes quelques renseignements

sur lui ; mais les Génois sont, comme les habitants de toutes les ville de commerce, fort indifférents pour les beaux-arts. Ils me parlèrent très-froidement de l’homme extraordinaire que l’Allemagne, la France et l’Angleterre ont accueilli avec acclamations. Je demandai la maison de son père, on ne put me l’indiquer. À la vérité, je cherchai aussi dans Gênes le temple, la

pyramide, enfin le monument que je pensais avoir été élevé à la mémoire de Colomb, et le buste du grand homme qui découvrit le Nouveau Monde n’a pas même frappé une fois mes regards, pendant que j’errais dans les rues de l’ingrate cité qui lui donna naissance et dont il fit la gloire.

De toutes les capitales d’Italie, aucune ne m’a laissé d’aussi gracieux

souvenirs que Florence. Loin de m’y sentir dévoré de spleen, comme je le fus plus tard à Rome et à Naples, complètement inconnu, ne connaissant personne, avec quelques poignées de piastres à ma disposition, malgré la brèche énorme que la course de Nice avait faite à ma fortune, jouissant en conséquence de la plus entière liberté, j’y ai passé de bien douces journées, soit à

parcourir ses nombreux monuments, en rêvant de Dante et de Michel-Ange, soit à lire Shakespeare dans les bois délicieux qui bordent la rive gauche de l’Arno et dont la solitude profonde me permettait de crier à mon aise d’admiration. Sachant bien que je ne trouverais pas dans la capitale de la Toscane ce que Naples et Milan me faisaient tout au plus espérer, je ne songeais guère à la

musique, quand les conversations de table d’hôte m’apprirent que le nouvel opéra de Bellini (I Montecchi ed i Capuletti) allait être représenté. On disait beaucoup de bien de la musique, mais aussi beaucoup du libretto, ce qui, eu égard au peu de cas que les Italiens font pour l’ordinaire des paroles d’un opéra, me surprenait étrangement. Ah ! ah ! c’est une innovation ! ! ! je

vais donc, après tant de misérables essais lyriques sur ce beau drame, entendre un véritable opéra de Roméo, digne du génie de Shakespeare ! Quel sujet ! comme tout y est dessiné pour la musique !... D’abord le bal éblouissant dans la maison de Capulet, où, au milieu d’un essaim tourbillonnant de beautés, le jeune Montaigu aperçoit pour la première fois la sweet Juliet, dont la

fidélité doit lui coûter la vie ; puis ces combats furieux, dans les rues de Vérone, auxquels le bouillant Tybalt semble présider comme le génie de la colère et de la vengeance ; cette inexprimable scène de nuit au balcon de Juliette, où les deux amants murmurent un concert d’amour tendre, doux et pur comme les rayons de l’astre des nuits qui les regarde en souriant amicalement ; les

piquantes bouffonneries de l’insouciant Mercutio, le naïf caquet de la vieille nourrice, le grave caractère de l’ermite, cherchant inutilement à ramener un peu de calme sur ces flots d’amour et de haine dont le choc tumultueux retentit jusque dans sa modeste cellule... puis l’affreuse catastrophe, l’ivresse du bonheur aux prises avec celle du désespoir, de voluptueux soupirs changés

en râle de mort, et enfin le serment solennel des deux familles ennemies jurant, trop tard, sur le cadavre de leurs malheureux enfants, d’éteindre la haine qui fit verser tant de sang et de larmes. Je courus au théâtre de la Pergola. Les choristes nombreux qui couvraient la scène me parurent assez bons ; leurs voix sonores et mordantes ; il y avait surtout une douzaine de petits garçons de

quatorze à quinze ans, dont les contralti étaient d’un excellent effet. Les personnages se présentèrent successivement et chantèrent tous faux, à l’exception de deux femmes, dont l’une, grande et forte, remplissait le rôle de Juliette, et l’autre, petite et grêle, celui de Roméo. — Pour la troisième ou quatrième fois après Zingarelli et Vaccaï, écrire encore Roméo pour une

femme !... Mais, au nom de Dieu, est-il donc décidé que l’amant de Juliette doit paraître dépourvu des attributs de la virilité ? Est-il un enfant, celui qui, en trois passes, perce le cœur du furieux Tybalt, le héros de l’escrime, et qui, plus tard, après avoir brisé les portes du tombeau de sa maîtresse, d’un bras dédaigneux, étend mort sur les degrés du monument le comte

Pâris qui l’a provoqué ? Et son désespoir au moment de l’exil, sa sombre et terrible résignation en apprenant la mort de Juliette, son délire convulsif après avoir bu le poison, toutes ces passions volcaniques germent-elles d’ordinaire dans l’âme d’un eunuque ?

Trouverait-on que l’effet musical de deux voix féminines est le meilleur ?... Alors, à quoi bon des

ténors, des basses, des barytons ? Faites donc jouer tous les rôles par des soprani ou des contralti, Moïse et Othello ne seront pas beaucoup plus étranges avec une voix flûtée que ne l’est Roméo. Mais il faut en prendre son parti ; la composition de l’ouvrage va me dédommager...

Quel désappointement ! ! ! dans le libretto il n’y a point de bal chez Capulet, point de

Mercutio, point de nourrice babillarde, point d’ermite grave et calme, point de scène au balcon, point de sublime monologue pour Juliette recevant la fiole de l’ermite, point de duo dans la cellule entre Roméo banni et l’ermite désolé ; point de Shakespeare, rien ; un ouvrage manqué. Et c’est un grand poëte, pourtant, c’est Félix Romani, que les habitudes mesquines des théâtres

lyriques d’Italie ont contraint à découper un si pauvre libretto dans le chef-d’œuvre shakespearien !

Le musicien, toutefois, a su rendre fort belle une des principales situations ; à la fin d’un acte, les deux amants, séparés de force par leurs parents furieux, s’échappent un instant des bras qui les retenaient et s’écrient en s’embrassant : «Nous nous reverrons

aux cieux.» Bellini a mis, sur les paroles qui expriment cette idée, une phrase d’un mouvement vif, passionné, pleine d’élan et chantée à l’unisson par les deux personnages. Ces deux voix, vibrant ensemble comme une seule, symbole d’une union parfaite, donnent à la mélodie une force d’impulsion extraordinaire ; et, soit par l’encadrement de la phrase mélodique et la manière

dont elle est ramenée, soit par l’étrangeté bien motivée de cet unisson auquel on est loin de s’attendre, soit enfin par la mélodie elle-même, j’avoue que j’ai été remué à l’improviste et que j’ai applaudi avec transport. On a singulièrement abusé, depuis lors, des duos à l’unisson. — Décidé à boire le calice jusqu’à la lie, je voulus, quelques jours après,

entendre la Vestale de Paccini. Quoique ce que j’en connaissais déjà m’eût bien prouvé qu’elle n’avait de commun avec l’œuvre de Spontini que le titre, je ne m’attendais à rien de pareil... Licinius était encore joué par une femme... Après quelques instants d’une pénible attention, j’ai dû m’écrier, comme Hamlet : «Ceci est de l’absinthe !» et ne me sentant pas

capable d’en avaler davantage, je suis parti au milieu du second acte, donnant un terrible coup de pied dans le parquet, qui m’a si fort endommagé le gros orteil que je m’en suis ressenti pendant trois jours. — Pauvre Italie !... Au moins, va-t-on me dire, dans les églises, la pompe musicale doit-être digne des cérémonies auxquelles elle se rattache. Pauvre Italie !... On verra plus

tard quelle musique on fait à Rome, dans la capitale du monde chrétien : en attendant, voilà ce que j’ai entendu de mes propres oreilles pendant mon séjour à Florence. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

On voit des peuples dont l'éducation première a été si vicieuse, et dont le caractère présente un si étrange mélange de passions, d'ignorance et de notions erronées de toutes choses, qu'ils ne sauraient d'eux-mêmes discerner la cause de leurs misères ; ils succombent sous des maux qu'ils ignorent.
[...] J'ai habité chez des tribus [indiennes] déjà mutilées qui chaque jour

voient décroître leur nombre et disparaître l'éclat de leur gloire sauvage ; j'ai entendu ces Indiens eux-mêmes prévoir le destin final réservé à leur race. Il n'y a pas un Européen, cependant, qui n'aperçoive ce qu'il faudrait faire pour préserver ces peuples infortunés d'une destruction inévitable. Mais eux ne le voient point ; ils sentent les maux qui, chaque année, s'accumulent

sur leurs têtes, et ils périront jusqu'au dernier en rejetant le remède. Il faudrait employer la force pour les contraindre à vivre.

(Livre 1 - Deuxième partie - Chap. V - Du gouvernement de la démocratie en Amérique - p. 318)

Jean Cocteau
Jean Cocteau

LA DANSE DE SOPHOCLE

LE SUBLIME CACHOT
Il y en a (le croirait-on ?) à qui la prison devient si chère, qu'ils
craignent d'en être délivrés !
                         Alfred de VIGNY.


Joie intense

d’un matin chaud,
Prodigue et sublime cachot !
Merci, Destin qui me le donnes !
D’un néant à un autre néant,
Ce ciel, cette eau, ces belladones,
Ce sourire de doux géant,
Épanoui sur la nature,
Cette fraîche et nette peinture,
Que mon œil, chaque nouvel an,
Porte sur son limpide écran ;
Et même l’hivernale neige !

Comment peut-on, comment pourrais-je,
Destin vague et sans horizon,
Ne pas pleurer cette prison,
Que ton obscur vouloir abrège ?

p.1405

John Milton
John Milton

Quoiqu'il puisse arriver, mon destin est le tien,
Je veux avec toi périr ou être sauvé:
Si la mort t'attend, alors la mort est ma vie;
Je sens tant en moi la nature qui nous unit,
Je m'attache à moi-même en m'attachant à toi;
Rien ne peut nous séparer; nos êtres ne font qu'un;
Ton corps est le mien et ta mort sera la mienne.
However I with thee

have fixed my lot,
Certain to undergo like doom; if death
Consort with thee, death is to me as life;
So forcible within my heart I feel
The bond of nature draw me to my own,
My own in thee, for what thou art is mine;
Our state cannot be severed, we are one,
One flesh; to lose thee were to lose myself.
Bk IX, 952-959

John Milton
John Milton

En discours plus doux encore (car l’éloquence charme l’âme, la musique, les sens), d’autres, assis à l’écart sur une montagne solitaire, s’entretiennent de pensées plus élevées, raisonnent hautement sur la Providence, la prescience, la volonté et le destin : destin fixé, volonté libre, prescience absolue ; ils ne trouvent point d’issue, perdus qu’ils sont dans ces tortueux

labyrinthes. Ils argumentent beaucoup du mal et du bien, de la félicité et de la misère finale, de la passion et de l’apathie, de la gloire et de la honte : vaine sagesse ! fausse philosophie ! laquelle cependant peut, par un agréable prestige, charmer un moment leur douleur ou leur angoisse, exciter leur fallacieuse espérance, ou armer leur cœur endurci d’une patience opiniâtre comme

d’un triple acier.