On a toujours l’impression d’être plus jeune qu’on est.
Je porte en moi tous mes visages passés, comme un arbre ses cernes.
C’est leur somme qui fait de moi ce que je suis.
Le miroir ne reflète que mon dernier visage, pourtant je reconnais tous ceux qui l’ont précédé.
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![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-riccardo-bresciani-307.png)
"Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots
mais pas de langage,
je partis pour l'île recouverte de neige.
L'indomptable n'a pas de mots.
Ses pages blanches s'étalent dans tous les sens!
Je tombe sur les traces de pattes d'un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage."
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-riccardo-bresciani-307.png)
Je suis sur la montagne et contemple la baie.
Les bateaux reposent à la surface de l'été.
« Nous sommes des somnambules. Des lunes à la dérive. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.
« Nous errons dans une maison assoupie.
Nous poussons doucement les portes.
Nous nous appuyons à la liberté. »
Voilà ce que les voiles blanches me
disent.
J'ai vu un jour les volontés du monde s'en aller.
Elles suivaient le même cours - une seule flotte.
« Nous sommes dispersées maintenant. Compagnes de personne. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-marius-venter-165.png)
I
Une lamaserie
et ses jardins suspendus.
Des tableaux de bataille.
*
Le mur de la désespérance...
Les pigeons vont et viennent
sans visage.
*
Les pensées sont à l'arrêt
comme les carreaux de faïence
de la couleur du palais.
*
Suis sur le balcon
dans une cage solaire ---
tel un arc-en-ciel.
*
Fredonne dans la brume.
Au loin un bateau de pêche ---
trophée sur l'eau.
*
Des villes miroitantes;
tons, légendes, mathématiques ---
bien que
différentes.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-daria-shevtsova-161.png)
Un couple de libellules
enchevêtrées
est passé dans un bruit d'ailes.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-elijah-o'donnell-4.png)
La clairière
Il y a, au milieu de la forêt, une clairière insoupçonnée qui ne découvre que celui qui s'égare.
La clairière est cernée par une forêt qui étouffe peu à peu . Des troncs noirs, à la barbe cendrée des lichens. Ces arbres vissés très près sont morts jusqu'à leur cime, où quelques branches vertes effleurent la lumière. En dessous : l'ombre
qui couve de l'ombre, la tourbe qui s'étend.
Mais l'herbe est étrangement vivante sur cette place ouverte. Où gisent de grandes pierres qui semblent alignées. Sans doute les fondations d'une maison, mais je me trompe peut-être. Qui a vécu ici ? Personne ne peut nous renseigner. Les noms sont quelque part, dans des archives que nul n'ouvre plus (seules les archives gardent leur
jeunesse). La tradition orale se perd et, avec elle, les souvenirs. Le clan tzigane se souvient, mais ceux qui savent écrire oublient. Noter pour oublier.
Un bruissement de voix dans la chaumière, c'est le centre du monde. Mais ses habitants meurent ou s'en vont, et la chronique prend fin. La chaumière reste à l'abandon pendant bien des années. Et elle se change en sphinx. A la fin,
tout s'en est allé, si ce n'est les fondations.
Je suis déjà venu ici, d'une certaine façon, mais je dois repartir maintenant. Je plonge dans les taillis. On n'arrive à les traverser qu'en faisant un pas en avant et deux pas sur le côté, comme un cavalier d'un jeu d'échecs. Mais la forêt s'éclaircit peu à peu et la lumière revient. Mes pas s'allongent. Un sentier vient se
blottir contre moi. Je suis de retour dans le réseau de communication.
Sue le pylône bourdonnant d'une ligne à haute tension, un scarabée s'est mis au soleil. Sous ses élytres luisants, les ailes reposent, aussi judicieusement repliées qu'un parachute empaqueté par un spécialiste . + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         200
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-leonie-fahjen-928.png)
LES SOUVENIRS M'OBSERVENT
Un matin de juin, alors qu'il est trop tôt
pour s'éveiller et trop tard pour se rendormir.
Je dois sortir dans la verdure saturée
de souvenirs, et ils me suivent des yeux.
Ils restent invisibles, ils se fondent
dans l'ensemble, parfaits caméléons.
Ils sont si près que j'entends leur haleine,
bien que le chant des oiseaux soit assourdissant.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-marius-venter-165.png)
La conversation téléphonique ruisselait dans la nuit et scintillait sur les campagnes et les faubourgs.
Puis j'ai mal dormi dans ce lit d'hotel.
Je ressemblais à l'aiguille de cette boussole que, le coeur battant, le coureur de cross porte dans la forêt.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-riccardo-bresciani-307.png)
Secrets en chemin
La lumière du jour heurta le visage du dormeur.
Il fit un rêve plus agité
mais ne s'éveilla pas.
L'obscurité frappa le visage de celui qui marchait
parmi tous les autres sous les rayons impatients
d'un intense soleil.
Soudain le ciel noircit comme avant une averse.
J'étais dans un lieu renfermant tous les
instants -
un musée de lépidoptères.
Pourtant le soleil était aussi fort qu'auparavant.
Ses pinceaux impatients peignaient le monde.
![Tomas Tranströmer](images/avatarlar/pexels-daria-shevtsova-161.png)
Les cours de la mort durèrent plusieurs semestres. J’y assistais
avec ces camarades que je ne connaissais pas
(qui êtes-vous donc ?)
— ensuite, chacun partit de son côté, des profils.
Je regardai le ciel et le sol et tout droit
et j’écris depuis lors une longue lettre aux morts
sur une machine qui n’a pas de ruban, seule une ligne
d’horizon,
ainsi, les mots cognent en vain et rien ne reste.