Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

On a toujours l’impression d’être plus jeune qu’on est.
Je porte en moi tous mes visages passés, comme un arbre ses cernes.
C’est leur somme qui fait de moi ce que je suis.
Le miroir ne reflète que mon dernier visage, pourtant je reconnais tous ceux qui l’ont précédé.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

"Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots
mais pas de langage,
je partis pour l'île recouverte de neige.
L'indomptable n'a pas de mots.
Ses pages blanches s'étalent dans tous les sens!
Je tombe sur les traces de pattes d'un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage."

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Merveille que de sentir mon poème qui grandit
alors que je rétrécis.
Il grandit, il prend ma place.
Il m'évince.
Il me jette hors du nid.
Le poème est fini.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Je suis sur la montagne et contemple la baie.
Les bateaux reposent à la surface de l'été.
« Nous sommes des somnambules. Des lunes à la dérive. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.

« Nous errons dans une maison assoupie.
Nous poussons doucement les portes.
Nous nous appuyons à la liberté. »
Voilà ce que les voiles blanches me

disent.

J'ai vu un jour les volontés du monde s'en aller.
Elles suivaient le même cours - une seule flotte.
« Nous sommes dispersées maintenant. Compagnes de personne. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Le goéland à manteau noir, ce marin du soleil,
garde le cap.
Sous lui, la mer.
Le monde sommeille encore, tel
une pierre multicolore qui repose dans l'eau.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

« Un matin d’hiver, je sentis combien cette terre
avance en roulant. Un souffle d’air
venu des tréfonds crépitait
aux murs de la maison. »

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

L'éveil est un saut en parachute hors du rêve.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

" C'est toujours aussi tôt ici, c'est avant la croisée des chemins, avant les décisions irrévocables. Merci pour cette vie ! Je manque pourtant d'alternatives. Toutes mes esquisses veulent devenir réalité."

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Un vent glacial dans les yeux, et des soleils qui dansent
dans le kaléidoscope des larmes lorsque je croise
la rue qui m'a si longtemps suivi, cette rue
où l'été du Groenland brille sur les flaques.

(" La barrière de la vérité ")

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

I

Une lamaserie
et ses jardins suspendus.
Des tableaux de bataille.

*

Le mur de la désespérance...
Les pigeons vont et viennent
sans visage.

*

Les pensées sont à l'arrêt
comme les carreaux de faïence
de la couleur du palais.

*

Suis sur le balcon
dans une cage solaire ---
tel un arc-en-ciel.

*

Fredonne dans la brume.
Au loin un bateau de pêche ---
trophée sur l'eau.

*

Des villes miroitantes;
tons, légendes, mathématiques ---
bien que

différentes.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre ses mesures. Cette visite
s'oublie et la vie continue. Mais le costume
se coud à notre insu.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Un couple de libellules
enchevêtrées
est passé dans un bruit d'ailes.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

La clairière


Il y a, au milieu de la forêt, une clairière insoupçonnée qui ne découvre que celui qui s'égare.
La clairière est cernée par une forêt qui étouffe peu à peu . Des troncs noirs, à la barbe cendrée des lichens. Ces arbres vissés très près sont morts jusqu'à leur cime, où quelques branches vertes effleurent la lumière. En dessous : l'ombre

qui couve de l'ombre, la tourbe qui s'étend.
Mais l'herbe est étrangement vivante sur cette place ouverte. Où gisent de grandes pierres qui semblent alignées. Sans doute les fondations d'une maison, mais je me trompe peut-être. Qui a vécu ici ? Personne ne peut nous renseigner. Les noms sont quelque part, dans des archives que nul n'ouvre plus (seules les archives gardent leur

jeunesse). La tradition orale se perd et, avec elle, les souvenirs. Le clan tzigane se souvient, mais ceux qui savent écrire oublient. Noter pour oublier.
Un bruissement de voix dans la chaumière, c'est le centre du monde. Mais ses habitants meurent ou s'en vont, et la chronique prend fin. La chaumière reste à l'abandon pendant bien des années. Et elle se change en sphinx. A la fin,

tout s'en est allé, si ce n'est les fondations.
Je suis déjà venu ici, d'une certaine façon, mais je dois repartir maintenant. Je plonge dans les taillis. On n'arrive à les traverser qu'en faisant un pas en avant et deux pas sur le côté, comme un cavalier d'un jeu d'échecs. Mais la forêt s'éclaircit peu à peu et la lumière revient. Mes pas s'allongent. Un sentier vient se

blottir contre moi. Je suis de retour dans le réseau de communication.
Sue le pylône bourdonnant d'une ligne à haute tension, un scarabée s'est mis au soleil. Sous ses élytres luisants, les ailes reposent, aussi judicieusement repliées qu'un parachute empaqueté par un spécialiste . + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          200

Tomas Tranströmer
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LES SOUVENIRS M'OBSERVENT

Un matin de juin, alors qu'il est trop tôt
pour s'éveiller et trop tard pour se rendormir.

Je dois sortir dans la verdure saturée
de souvenirs, et ils me suivent des yeux.

Ils restent invisibles, ils se fondent
dans l'ensemble, parfaits caméléons.

Ils sont si près que j'entends leur haleine,

bien que le chant des oiseaux soit assourdissant.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

LA GRANDE ENIGME
VIII

L'herbe se dresse -
son visage, une stèle runique
érigée en souvenir.


Il y a ici une obscure image.
L'indigence repeinte
Des fleurs en habit de forçat.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

La conversation téléphonique ruisselait dans la nuit et scintillait sur les campagnes et les faubourgs.
Puis j'ai mal dormi dans ce lit d'hotel.
Je ressemblais à l'aiguille de cette boussole que, le coeur battant, le coureur de cross porte dans la forêt.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

L'air s'adoucit à l'orée du bois.
De grands sapins, détournés et obscurs,
dont le mufle s'est enfoui dans l'humus de la terre,
lapent l'ombre de la pluie.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Secrets en chemin

La lumière du jour heurta le visage du dormeur.
Il fit un rêve plus agité
mais ne s'éveilla pas.

L'obscurité frappa le visage de celui qui marchait
parmi tous les autres sous les rayons impatients
d'un intense soleil.

Soudain le ciel noircit comme avant une averse.
J'étais dans un lieu renfermant tous les

instants -
un musée de lépidoptères.

Pourtant le soleil était aussi fort qu'auparavant.
Ses pinceaux impatients peignaient le monde.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Il y a un carrefour
dans chaque instant.

Tomas Tranströmer
Tomas Tranströmer

Les cours de la mort durèrent plusieurs semestres. J’y assistais
avec ces camarades que je ne connaissais pas
(qui êtes-vous donc ?)
— ensuite, chacun partit de son côté, des profils.

Je regardai le ciel et le sol et tout droit
et j’écris depuis lors une longue lettre aux morts
sur une machine qui n’a pas de ruban, seule une ligne

d’horizon,
ainsi, les mots cognent en vain et rien ne reste.