Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

Les jours où le paternel rentrait bourré, je peux te dire qu'on les entendait de loin, ses kaaa. En pleine nuit. Parce qu'en chantant, il rajoutait toujours un ka au cul des mots dans ses chansons : les larmes kaaa...
Et les voisins de s'exclamer : "Encore ce Kikujirô qui a bu ! Décidément , c'est un bon à rien."
Quand elle le voyait débarquer dans cet état, ma mère râlait

:
- Qu'est-ce qui t'arrive ? T'en fais un boucan, espèce de vieux détraqué ! Tu t'es encore saoulé, hein ?
- Détraquée toi-même ! Qu'est-ce que t'as à hurler comme ça ? répliquait-il en la tabassant.
Alors, elle se mettait à pleurer et immanquablement, elle nous appelait :
- Takeshi ! Masaru ! Venez près de moi. Venez par ici, mes petits.
Moi, je n'en

avais aucune envie, mais ma mère me tenait par le cou et j'étais bien obligé de la suivre. Je n'étais ni son allié ni rien d'autre dans ce genre. Dans la pièce voisine, elle continuait de pleurer. Mais moi, je restais froid et distant. Eh oui !

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

J'aime bien les libellules, les grandes surtout. En vol, elles ont l'air distant et arrogant. A mes yeux, elles symbolisent tous les genres d'insectes aux ailes transparentes qui vivent à proximité de l'eau.
A l'époque, elles me semblaient immenses. De la taille d'un avion. Je les trouvais impressionnantes, effrayantes même, tiens ! comme les B29 qui larguaient des bombes sur le pays

pendant la guerre. Les copains qui osaient les tenir dans la main, pour moi, c'étaient des héros. Et ces libellules, de très précieux trésors.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

C'est ce jour-là, j'en suis à peu près certain, que j'ai vu mon premier étranger. A l'époque, après la fin de la guerre, dès qu'on en croisait un, pour nous, ça ne pouvait être qu'un occupant américain. Il allait aussi à Tôkyô.
Nous, on était debout, le paternel et moi, quand cet homme, eh bien, il m'a offert sa place assise. Aussitôt, je ne sais pourquoi, mon père s'est

prosterné devant lui pour s'excuser. Je restais les yeux fixé sur cet inconnu qui m'apparaissait comme un dieu, uniquement parce qu'il était étranger. Donc, j'ai trouvé normal que mon paternel se confonde en excuses vis-à-vis d'un personnage de cette importance. Mais je me suis senti quand même tout bizarre.
Puis l'homme m'a donné des biscuits. Une boite entière. Et super bons en

plus. Alors, je me suis dit : "Pas de doute, c'est un dieu." Et pourtant, c'était encore l'époque où les enfants demandaient 'give me gum' aux soldats américains.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

Cette nuit-là, papa nous a expliqué à quelle distance les étoiles sont de la Terre et quelle taille elles ont. Il y avait des étoiles situées à des milliers d'années-lumière dont chacune correspond à la distance parcourue par la lumière en une année. J'avais pensé à ce mot que je venais d'apprendre : "infini". Mais ce n'était pas l'infini comme dans "ce serait bien d'avoir une

quantité infinie de chips". C'était un infini qui, quand j'y réfléchissais, me donnait mal à la tête. Un infini qui faisait peur. Je m'étais agrippé au cou de papa.
C'était ma première rencontre avec une étoile.

Takeshi Kitano
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Dans ce monde bizarre dans lequel nous vivons, j'ignore si je suis en enfer ou au paradis.

Takeshi Kitano
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Je voudrais préserver indéfiniment ma sensibilité d’enfant. Aussi mature, aussi riche que je devienne, je veux rester intègre, fidèle à moi-même, à ma vérité. (p.127)

Takeshi Kitano
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Quand on est arrivé à la maison, le paternel était en train de frapper notre mère. Une banale habitude dans leurs disputes conjugales.
Pitoyable. Vraiment affligeant, ce genre de scène.
Comme c'était dimanche et qu'il pleuvait, mon père n'avait pas pu aller travailler, et ma mère l'avait sans doute engueulé parce qu'il ne fichait rien. Pour toute réponse, il l'avait bourrée

de coups de pied tout en buvant près de deux litres de saké. Et mon frère qui chialait, déçu de ne pas avoir pu acheter le gant. Je me suis senti obligé de pleurer, moi aussi. Quelle misère, je te dis pas !

Takeshi Kitano
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Quand on est arrivés à la maison, le paternel était en train de frapper notre mère. Une banale habitude dans leurs disputes conjugales. Pitoyable, vraiment affligeant ce genre de scène. (p.73)

Takeshi Kitano
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La piscine : On mettait la tête sous l’eau, on nageait, on faisait la brasse papillon. Un jour, au milieu de toute cette agitation, il y en a un qui a fait caca.

-C’est dégoûtant ! a crié un habitué. Hé ! Quelqu’un a fait caca !
Le surveillant est arrivé avec une sorte de seau, mais il n’a récupéré que ce qui flottait à la surface. "Voilà c’st propre. Ca va

maintenant", et il a remué l’eau.

Tout le monde a fait comme si de rien n’était. Les clients sont retournés dans le bain, l’air fataliste: "Bah c’est pas si grave."
Un vieux bonhomme a rincé son dentier. Beurk, les bains publics vraiment dégueulasses.

Takeshi Kitano
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Sache que si on lui en donne l'occasion, un être humain peut accomplir ce qui lui paraissait impensable. Il y croit, et il le réalise. Cette vieille femme a été témoin de plusieurs de nos guérisons. Y croire lui a suffi pour guérir.

Takeshi Kitano
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Au début je n’avais aucune idée de ce qu’ils allaient faire. Donc, une fois, je les ai suivis. J’ai vu mon frère, accroupi sous un lampadaire, qui lisait un livre. Et elle, derrière lui, qui dirigeait sur les pages le faisceau de sa fameuse lampe. De temps à autre, il avalait une bouchée de riz. En découvrant la scène, je suis resté sur le cul ! Imagine ma mère à l’éclairer

comme ça. Quand j’y repense, je trouve que c’était une famille vraiment démente. Donc, sans bien savoir pourquoi, je me suis dit que moi aussi, je devais me mettre aux études. Je suis rentrée à la maison et j’ai pris un manga au hasard. Et j’ai commencé à lire, comme mon frère.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

A un moment précis de sa vie, on peut basculer du paradis à l'enfer. Ou le contraire. [...]
L'homme est décidément un drôle d'oiseau. Jamais il ne sombre définitivement dans le chagrin, ni ne baigne définitivement dans le bonheur. Le moindre changement de situation peut le faire passer d'un extrême à l'autre. Et dieu. De qu'el côté se trouve-t-il, s'interrogeait-il.

Takeshi Kitano
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-Comment vas-tu t'en sortir si tu es aussi mou? Voilà combien d'années que la religion te fait bouffer?Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des fidèles sont bourrés de désir qu'il suffit de susciter à fond. Il n'y a aucun lien entre la vérité divine et la vie des gens ordinaires. Dieu, c'est un exercice mental, un point c'est tout.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

Bien sûr, comme la plupart des réalisateurs, je pense avoir ma fierté de cinéaste. J’aimerais au moins qu’on me reconnaisse trois vertus. Qu’on dise : un, Kitano est quelqu’un qui aime le cinéma ; deux, qui aime faire des films ; trois, qui a fait quelques bons films… Mais je le répète, je déteste mes films. Tous, sans exception. Aucun de mes films ne trouve grâce à mes yeux.

Pas un !

Takeshi Kitano
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Tant que tu continueras à vivre dans la crainte de l'échec, ta liberté restera du domaine de l'utopie.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

L'art d'utiliser les imbéciles, c'est comme utiliser une paire de ciseaux : même mal aiguisés, ils peuvent couper si on sait bien s'en servir ; manipulés correctement, les imbéciles aussi peuvent être efficaces.

Takeshi Kitano
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Dans ce temps-là, il neigeait souvent à Tôkyô. Avec mon attirail, je passais des heures dehors la nuit à m’amuser. Si j’arrivais à glisser sur deux mètres, c’était un exploit. Un gosse, tu sais ce que c’est hein? À la moindre descente sur une petite pente, je m’écriais : « Whaou, j’ai réussi! » (p.65)

Takeshi Kitano
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La religion est un commerce : on reçoit du palpable et on donne de l'invisible.

Takeshi Kitano
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Il n'y a aucun lien entre la vérité divine et la vie quotidienne des gens ordinaires. Dieu, c'est un exercice mental, un point c'est tout. Cela n'a absolument rien à voir avec le fait de vouloir améliorer son existence, de devenir heureux. Ce n'est pas parce que tu as compris la vérité divine que ton salaire mensuel va augmenter à partir de demain. Au contraire, plus tu connais la

vérité, moins tu réussis socialement. Depuis la nuit des temps, jamais les revenus d'une personne pieuse n'ont augmenté. Celui qui a envie de prospérer ne croit pas en dieu, il ne croit qu'en l'argent.

Takeshi Kitano
Takeshi Kitano

Quand quelqu'un se moque de toi ou te traite d'imbécile, même si c'est pour rigoler, tu n'as qu'une envie, c'est de hurler :
- Kono yarô ! Espèce de salopard !
Car on est hypersensible à cet âge-là. En plus, moi, eh bien, je suis suis un enfant de la honte. Mon vieux avait la cinquantaine passée lorsque j'ai débarqué sur terre. Quelle misère !