Judith Perrignon
Judith Perrignon

Nous étions promis à la classe moyenne, moyenne, c'est déjà haut quand on est tout en bas.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Ma ville en ruine et moi, on se ressemble, on est deux vieilles mal en point, on suffoque en août et on grelotte en hiver, on a les mêmes souvenirs, les mêmes fantômes, la même nostalgie, on a cru trouver de l'or, connu la folie des grandeurs et des cadences infernales, ici Ford, General Motors et Chrysler ont dicté la taille du capot et des routes, ici a été calibré le rêve américain,

ici la fièvre des modernes fomentait les cancers des maris, hommes-machines soudés à l'usine douze heures par jour et brisés lorsqu'ils rentraient chez eux, mais jamais nous ne l'avouerons, ma ville en ruine et moi, nous sommes trop fières. Et moi, plus que ma mère, plus que ma fille, j'ai pu me poser quelque part, c'était au coin de Cochrane et Butternut Street à Detroit, et j'y habite

encore.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Étrange tableau autour du lit qui prend toute la place dans la petite chambre. Ils tournent, piétinent, penchés, inquiets, ils se tiennent à deux pas du malade ou bien tout près, ils portent la marque de la tendresse qu’il leur a prodiguée ou bien celle de son autorité sur eux, et ils n’ont plus de mots aux lèvres sinon pour lui répondre quand il parle. Tous ont toujours laissé sa

voix les remplir des secousses du pays, du monde. Ils restent sourds désormais aux bruits de la rue. Ils reviennent à l’échelle de leur vie, aux épreuves traversées ensemble, à tous ces drames, tous ces morts chez cet ogre qui a enterré femme et enfants, à ces longues années d’exil sur ordre de l’Histoire. La chambre est comme une presqu’île fouettée une dernière fois par les

tempêtes et les fièvres d’un seul homme. Chacun mesure son souffle sur son existence.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Tu m'as écrit que dans la vie du peintre, la mort n'est pas ce qu'il y a de plus difficile. Tu disais qu'un peintre qui s'en va parle à une génération suivante. Sache que la mort est plus noire que l'image que tu en avais.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

À cette première exposition de Vincent, on ne chemine pas de toile en toile, en observant là les courbes et les grâces féminines, là les harmonies de gris, les subtilités du ciel, ici le puits de la lumière, ou encore, la patte de l'artiste. C'est un assaut, c'est brutal c'est bouillant comme le feu du soleil, la sève impatiente de la nature, les rêves et les émotions d'un peintre sans

école dont la main était une torche, qui trouvait plus de lumière dans les yeux des hommes que dans les cathédrales.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

J'envie les japonais, l'extrême clarté de leur travail. Le japonais dessine vite, très vite comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple. Tu ne peux pas étudier l'art japonais sans devenir plus gai et plus joyeux.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Car c'est dans l'enfance qu'on rencontre Hugo, il faut avoir le coeur encore tendre, des voix autour de soi qui vous parlent du monde, de ses luttes. Pour Louise (Michel), ce fut un grand-père épris de révolution et de Voltaire, il égrenait les jours épiques les larmes aux yeux, en posant sa main sur les cheveux de sa petite-fille comme pour faire descendre sa mémoire de vieil homme dans sa

tête à elle. (p.62)

Judith Perrignon
Judith Perrignon

La peinture est un monde en soi. J'ai lu quelque part, l'année dernière, qu'écrire un livre ou faire un tableau, c'est comme avoir un enfant. Je n'ose pourtant pas m'approprier le propos. J'ai toujours trouvé que la dernière de ces trois choses était la plus naturelle et la meilleure, en admettant que le propos soit vrai, et que les trois choses soient égales.

Judith Perrignon
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Mort, cet homme-là parlera encore.

Judith Perrignon
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Tu te souviens peut-être que nous avons discuté cet été avec une sorte d'amertume, le problème des femmes. Que nous avons senti, ou cru sentir, que : la femme est la désolation du juste. Et nous étions, moi en tout cas, toi aussi peut-être, un petit peu ce monsieur le juste en question.

Judith Perrignon
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Il était homme irrésolu qui fournissait les mots de la révolte, mais écrivait comme on recoud les hommes.

Judith Perrignon
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Papa Bell, c'était le plus grand joueur des Negro Leagues au base-ball, mon père disait que ce type-là, s'il sortait de son lit et allait éteindre la lumière de sa chambre, il était de retour sous ses couvertures avant même qu'il fasse noir.

Judith Perrignon
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Il regarde (Lisbonne) la foule depuis la fosse jusqu'au dernier balcon, certains sont jeunes encore mais ne le savent pas, ils ont le corps, le visage et les mains comme s'ils avaient vécu le double, ils s'épuisent à l'usine la journée, exultent ici le soir, qu'ils dansent ou fomentent la révolte. Le nom du poète les met en joie, mais qu'a donc fait cet homme pour ainsi pénétrer leurs

esprits ? Il les a vus, racontés, c'est vrai et ce n'est pas courant chez les gens de son rang, mais ce n'était que des mots, les ont-ils seulement lus , Il y eut toujours tant d'illettrés aux barricades comme au bagne, tant d'enfances sans tendresse ni école. Lui les a lus, tous et depuis longtemps. Il les a aimés, les aime encore, certains même il les a appris par cœur. (p; 89)

Judith Perrignon
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Monsieur, le poids de ces enfants, la taille de leurs biceps, la longueur et la largeur de la rivière où ils se baignaient, n'ont aucune importance. Il suffisait de leur apprendre à nager pour qu'ils nagent. Ce qui pèse lourd, c'est la peur.

Judith Perrignon
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Il savait qu'il ne devait sa grandeur qu'à la colère du proscrit, ces longues années de Guernesey où il s'était senti seul et avec tous, qu'à Jean Valjean le voleur de pain, qu'à Fantine la fille publique, qu'à ces bas-fonds qu'il observait et écoutait, qu'à leur argot copinant dans ses livres avec sa plume superbe, il leur devait bien plus qu'à ces puissants qui plastronneraient

derrière sa dépouille et tiendraient discours en tribune. Ce sont les faibles qui l'ont fait important, ce sont eux qui font les grands hommes, il faut avoir troublé les consciences, tissé les fils secrets de l'humanité, pour rassembler tant de monde, creuser le temps, les siècles, jusqu'au futur. (p. 190)

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Ce sont les faibles qui l’ont fait important, ce sont eux qui font les grands hommes, il faut avoir troublé les consciences, tissé les fils secrets de l’humanité, pour rassembler tant de monde, creuser le temps, les siècles, jusqu’au futur.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

La foule grossit devant chez lui. Un curieux mélange de gens qui s’attardent ou ne font que passer. Ils sont venus écouter le récit de l’agonie. Ils lèvent les yeux vers les fenêtres fermées où ils l’ont aperçu, déjà, debout, saluant, ils palpent l’absence, le silence, la mort qui œuvre à l’intérieur et les laisse vivants, vaguement effarés, avec ou sans chapeau, avec ou

sans rang, comme des personnages en quête d’auteur.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

J'en aurais pleuré de voir ce vieil homme [Camille Pissarro ] s'interroger encore au sujet de mon frère. J'articule quelques mots :
"J'ai mis du temps à comprendre combien il était en avance et que jamais il ne verrait les fruits de son travail, car il fallait se détacher de toute convention pour comprendre sa manière de voir le monde". (p. 87)

Judith Perrignon
Judith Perrignon

Paris est un corps fiévreux tandis que le poète lutte contre l’attraction de la terre. On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville. Comme dans ses livres. Danger les Misérables, le peuple de Paris.

Judith Perrignon
Judith Perrignon

La statue de la liberté vient de partir pour New York, mise en pièces dans des caisses, c'était le jour même de la mort du poète...
Et maintenant, Jeanne l'évoque, jeune fille gâtée que son grand-père emmena la visiter dans les ateliers il y a quelques mois...
...il était comme toujours enthousiaste de l'œuvre, du symbole, et il avait voulu monter les cent soixante-huit

marches intérieures qui mènent à la tête de la dame.