Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Qu'elle était belle, notre île, avec de l'amour dans l'air qui ne savait où se poser, une moisson de blés ardents sans moissonneurs!

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Y a-t-il quelque part une fuite du sentiment dans l'infini, pareille à notre course sur la mer, à cette progression constante sur un même élément illimité?

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

La mer me grise comme d'autres le vin.

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Et c'est une sensation étrange, quand on gravit les sentiers blottis entre les bruyères et les myrtes, tandis que le pied écrase la lavande, le fenouil, la germandrée, les cent herbes qui saturent l'atmosphère de leurs effluves amers, c'est un paradoxe délicieux, le contraste de l'air si doux avec cette végétation violente, ces plantes de passion âpre et de fort parfum.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Elle gardait ma noble Hélène, ce calme extérieur des grands chagrins qui fait d'elle une divine statue de la souffrance.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Au fond de l'abîme, sur l'eau d'un bleu de plomb où ces pins versent déjà la nuit, des nuées de mouettes et de goélands tournoient dans la lumière oblique, s'élèvent, replongent; nous voyons luire dans les massifs de feuillage l'éclair fugitif de ces minces papillons blancs; les échos de la ravine répercutent leurs plaintes saccadées, d'une désespérance si lamentablement humaine.

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Abritées entre les coteaux, des vallées se creusent et s'évasent vers la mer, elles lui portent les ruisseaux qui vivifient dans ces fonds tièdes la végétation méridionale : oliviers, amandiers, mûriers, vignes, figuiers.

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Le long des roches à pic, à travers les arbustes cramponnés à leurs parois, le grand froissement sourd des eaux monte du gouffre, creusé à mille pieds au-dessous de nous.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Du premier regard, elle a saisi le secret du charme indéfinissable qui flotte sur Port-Cros, la fluidité aérienne des pins d'Alep, le miroitement subtil des objets sous les fines grisailles verdoyantes e leur feuillage, "de leur plumage", comme elle dit bien mieux; elle compare l'emprisonnement et la décomposition de la lumière dans leurs écheveaux de soie floche au tremblement des

vibrations sur les cordes d'argent d'une harpe.

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Errer au plus épais des bruyères fleuries, s'asseoir sous le dôme des pins où s'insinue le bruit invisible des vagues, atteindre la haute roche qui donne le vertige du gouffre, ces joies l'exaltent et la troublent comme font pour les jeunes femmes de son âge l'atmosphère du bal, l'emportement de la danse.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Le soleil bas plongea, disparut. Les îles où nous allions restaient lumineuses dans le ciel, la mer s'éteignait.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Elle se leva, fit un pas vers moi, d'un mouvement somnambulique, un mouvement involontaire et doux où aboutissait toute la force de toutes les planètes attirées. Ses mains s'abattirent sur mes épaules, sa tête s'inclina, ses yeux éperdus versèrent toute son âme dans les miens; et des lèvres rapprochées à toucher mon front, ces mots qui jaillissaient du plus profond de l'être, de la

première parcelle où s'éveilla notre première lueur de vie au sein de notre mère, ces mots tombèrent, effarés et suppliants :
-- Aimez-moi. Voulez-vous? Je vous attends depuis si longtemps!

Eugène-Melchior de Vogüé
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A la pointe méridionale de Porquerolles, le soleil s'affaisse sur les nuages ourlés d'or, il se couche rouge dans ce lit noir.

Eugène-Melchior de Vogüé
Eugène-Melchior de Vogüé

Ce monde ne nous donne là que ses lignes de beauté, nous nous sentons à l'abri de ses tumultes, de ses tyrannies, de ses misères.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Nos stations de la matinée se prolongent de préférence dans le val Notre-Dame, la coulée déserte, assombrie de forêts, qui s'évase vers la plage du Nord; du sous-bois, la vue fuit sur un large pan de mer, sur la côte de terre ferme et les pentes bleues de la chaîne des Maures.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Où étions-nous? Où allions-nous? A la vie suprême, à une fin meilleure que la vie, à la libération par l'étreinte extasiée dans l'infini?

Eugène-Melchior de Vogüé
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Bientôt les pures profondeurs du ciel s'embrasèrent, du sommet de la voûte jusqu'à sa retombée sur l'horizon : étoiles aux feux magnétiques, aux feux dardés par des mondes en folie, tremblantes de cet éclat fiévreux qu'on leur voit parfois, dans les nuits où le firmament des îles nous écrase de sa magnificence.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Quand nous quittâmes la côte longée depuis le départ, au tournant du cap Bénat, la lumière commença de décroître; ce jour aussi devait finir! D'une chapelle cachée à l'intérieur des terres, le son de la cloche du soir descendit sur la mer; un vieux timbre grêle, voix survivante de morts très anciens.

Eugène-Melchior de Vogüé
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La chaleur venant, l'île se recueillit. Du zénith où il arrivait superbe, le maître de feu versait un enchantement sur les lieux clairs ou sombres, roches, forêts, pins immobiles; romarins et bruyères fumaient vers lui de toutes leurs fleurs, les senteurs montaient dans le bourdonnement des insectes lourds.

Eugène-Melchior de Vogüé
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Les arêtes de roche vive et les panaches de pins isolés qui dentellent les crêtes se profilent toujours sur le même azur, imbibé d'une clarté dorée; le même voile de lumière palpable, semble-t-il, flotte toujours sur les cimes des forêts.