Hector Berlioz
Hector Berlioz

Quoi qu’il en soit, les scènes ainsi exécutées, on va au scrutin (je parle au présent, puisque rien n’est changé à cet égard). Le prix est donné. Vous croyez que c’est fini ? Erreur. Huit jours après, toutes les sections de l’Académie des beaux-arts se réunissent pour le jugement définitif. Les peintres, statuaires, architectes, graveurs en médailles et graveurs en

taille-douce, forment cette fois un imposant jury de trente à trente-cinq membres dont les six musiciens cependant ne sont pas exclus. Ces six membres de la section de musique peuvent, jusqu’à un certain point, venir en aide à l’exécution incomplète et perfide du piano, en lisant les partitions ; mais cette ressource ne saurait exister pour les autres académiciens, puisqu’ils ne savent

pas la musique.

Quand les exécuteurs, chanteur et pianiste, ont fait entendre une seconde fois, de la même façon que la première, chaque partition, l’urne fatale circule, on compte les bulletins, et le jugement que la section de musique avait porté huit jours auparavant se trouve, en dernière analyse, confirmé, modifié ou cassé par la majorité.

Ainsi le prix de

musique est donné par des gens qui ne sont pas musiciens, et qui n’ont pas même été mis dans le cas d’entendre, telles qu’elles ont été conçues, les partitions entre lesquelles un absurde règlement les oblige de faire un choix.

Il faut ajouter, pour être juste, que si les peintres, graveurs, etc., jugent les musiciens, ceux-ci leur rendent la pareille au concours de

peinture, de gravure, etc., où les prix sont donnés également à la pluralité des voix, par toutes les sections, réunies de l’Académie des beaux-arts. Je sens pourtant en mon âme et conscience que, si j’avais l’honneur d’appartenir à ce docte corps, il me serait bien difficile de motiver mon vote en donnant le prix à un graveur ou à un architecte, et que je ne pourrais guère

faire preuve d’impartialité qu’en tirant le plus méritant à la courte paille.

Au jour solennel de la distribution des prix, la cantate préférée par les sculpteurs, peintres et graveurs est ensuite exécutée complètement. C’est un peu tard ; il eût mieux valu, sans doute, convoquer l’orchestre avant de se prononcer ; et les dépenses occasionnées par cette exécution

tardive sont assez inutiles, puisqu’il n’y a plus à revenir sur la décision prise ; mais l’Académie est curieuse ; elle veut connaître l’ouvrage qu’elle a couronné... C’est un désir bien naturel !... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

VIII

A. de Pons. — Il me prête 1,200 francs. — On exécute ma messe une première fois dans l’église de Saint-Roch. — Une seconde fois dans l’église de Saint-Eustache. — Je la brûle.

Mon découragement devint donc extrême ; je n’avais rien de spécieux à répliquer aux lettres dont mes parents m’accablaient ; déjà ils menaçaient de me retirer la

modique pension qui me faisait vivre à Paris, quand le hasard me fit rencontrer à une représentation de la Didon de Piccini à l’Opéra, un jeune et savant amateur de musique, d’un caractère généreux et bouillant, qui avait assisté en trépignant de colère à ma débâcle de Saint-Roch. Il appartenait à une famille noble du faubourg Saint-Germain, et jouissait d’une certaine

aisance. Il s’est ruiné depuis lors ; il a épousé, malgré sa mère, une médiocre cantatrice, élève du Conservatoire ; il s’est fait acteur quand elle a débuté ; il l’a suivie en chantant l’opéra dans les provinces de France et en Italie. Abandonné au bout de quelques années par sa prima-donna, il est revenu végéter à Paris en donnant des leçons de chant. J’ai eu

quelquefois l’occasion de lui être utile, dans mes feuilletons du Journal des Débats ; mais c’est un poignant regret pour moi de n’avoir pu faire davantage ; car le service qu’il m’a rendu spontanément a exercé une grande influence sur toute ma carrière, je ne l’oublierai jamais ; il se nommait Augustin de Pons. Il vivait avec bien de la peine, l’an dernier, du produit de ses

leçons ! Qu’est-il devenu après la révolution de Février qui a dû lui enlever tous ses élèves ?... Je tremble d’y songer...

En m’apercevant au foyer de l’Opéra : «Eh bien, s’écria-t-il, de toute la force de ses robustes poumons, et cette messe ! est-elle refaite ? quand l’exécutons-nous tout de bon ? — Mon Dieu, oui, elle est refaite et de plus recopiée. Mais

comment voulez-vous que je la fasse exécuter ? — Comment ! parbleu, en payant les artistes. Que vous faut-il ? voyons ! douze cents francs ? quinze cents francs ? deux mille francs ? je vous les prêterai, moi. — De grâce, ne criez pas si fort. Si vous parlez sérieusement, je serai trop heureux d’accepter votre offre et douze cents francs me suffiront. — C’est dit. Venez chez moi

demain matin, j’aurai votre affaire. Nous engagerons tous les choristes de l’Opéra et un vigoureux orchestre. Il faut que Valentino soit content, il faut que nous soyons contents ; il faut que cela marche, sacrebleu !»

Et de fait cela marcha. Ma messe fut splendidement exécutée dans l’église de Saint-Roch, sous la direction de Valentino, devant un nombreux auditoire ; les

journaux en parlèrent favorablement, et je parvins ainsi, grâce à ce brave de Pons, à m’entendre et à me faire entendre pour la première fois. Tous les compositeurs savent quelle est l’importance et la difficulté, à Paris, de mettre ainsi le pied à l’étrier.

Cette partition fut encore exécutée longtemps après (en 1827) dans l’église de Saint-Eustache, le jour

même de la grande émeute de la rue Saint-Denis.

L’orchestre et les chœurs de l’Odéon m’étaient venus en aide cette fois gratuitement et j’avais osé entreprendre de les diriger moi-même. À part quelques inadvertances causées par l’émotion, je m’en tirai assez bien. Que j’étais loin pourtant de posséder les mille qualités de précision, de souplesse, de

chaleur, de sensibilité et de sang-froid, unies à un instinct indéfinissable, qui constituent le talent du vrai chef d’orchestre ! et qu’il m’a fallu de temps, d’exercices et de réflexions pour en acquérir quelques-unes ! Nous nous plaignons souvent de la rareté de nos bons chanteurs, les bons directeurs d’orchestre sont bien plus rares encore, et leur importance, dans une foule de

cas, est bien autrement grande et redoutable pour les compositeurs.

Après cette nouvelle épreuve, ne pouvant conserver aucun doute sur le peu de valeur de ma messe, j’en détachai le Resurrexit[9] dont j’étais assez content, et je brûlai le reste en compagnie de la scène de Béverley pour laquelle ma passion s’était fort apaisée, de l’opéra d’Estelle et d’un

oratorio latin (le Passage de la mer Rouge) que je venais d’achever. Un froid coup d’œil d’inquisiteur m’avait fait reconnaître ses droits incontestables à figurer dans cet auto-da-fé.

Lugubre coïncidence ! hier, après avoir écrit les lignes qu’on vient de lire, j’allai passer la soirée à l’Opéra-Comique. Un musicien de ma connaissance m’y rencontre dans un

entr’acte et m’aborde avec ces mots : «Depuis quand êtes-vous de retour de Londres ? — Depuis quelques semaines. — Eh bien ! de Pons... vous avez su ?... — Non, quoi donc ? — Il s’est empoisonné volontairement le mois dernier. — Ah ! mon Dieu ! — Oui, il a écrit qu’il était las de la vie ; mais je crains que la vie ne lui ait plus été possible ; il n’avait plus

d’élèves, la révolution les avait tous dispersés, et la vente de ses meubles n’a pas même suffi à payer ce qu’il devait pour son appartement. Oh ! malheureux ! pauvres abandonnés artistes ! République de crocheteurs et de chiffonniers !...

Horrible ! horrible ! most horrible ! Voici maintenant que le Morning-Post vient me donner les détails de la mort du malheureux

prince Lichnowsky, atrocement assassiné aux portes de Francfort par des brutes de paysans allemands, dignes émules de nos héros de Juin ! Ils l’ont lardé de coups de couteau, hâché de coups de faux ; ils lui ont mis les bras et les jambes en lambeaux ! Ils lui ont tiré plus de vingt coups de fusil dirigés de manière à ne pas le tuer ! Ils l’ont dépouillé ensuite et laissé mourant

et nu au pied d’un mur !... Il n’a expiré que cinq heures après, sans proférer une plainte, sans laisser échapper un soupir !... Noble, spirituel, enthousiaste et brave Lichnowsky ! Je l’ai beaucoup connu à Paris ; je l’ai retrouvé l’an dernier à Berlin en revenant de Russie. Ses succès de tribune commençaient alors. Infâme racaille humaine ! plus stupide et plus féroce cent

fois, dans tes soubresauts et tes grimaces révolutionnaires, que les babouins et les orangs-outangs de Bornéo !...

Oh ! il faut que je sorte, que je marche, que je coure, que je crie au grand air !... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

August Strindberg
August Strindberg

Deux pas me conduisent aux grands boulevards, que je descends. L'horloge du Théâtre marque six heures et quart. Justement l'heure de l'apéritif, et mes amis attendent au café Napolitain, comme d'habitude. Je descends, en hâte, oubliant l'hôpital, les chagrins, la pauvreté. Or, en passant devant le café du Cardinal, je heurte une table derrière laquelle un monsieur est assis. Je ne le

connais que de nom ; mais lui me connaît et en seconde ses yeux me disent : « Vous ici ? Vous n'êtes donc pas à l'hôpital ? La bonne blague que la charité ! »
Et je sens que cet homme est un de mes bienfaiteurs anonymes, qu'il m'a fait la charité et que je suis pour lui un mendiant qui n'a pas le droit d'aller au café.
Mendiant ! C'est le mot propre qui sonne aux oreilles, et

me brûle les joues de honte, d'humiliation et de rage.
Pensez donc ! Six semaines auparavant je m'attablais ici : mon directeur de théâtre recevait mes invitations, m'appelait cher Maître ; les journalistes venaient solliciter de moi des interviews, le photographe me demandait l'honneur de vendre mes portraits... Et maintenant : mendiant stigmatisé, banni de la société !

Fouetté, éreinté, réduit aux abois, je longe le boulevard comme un rôdeur de nuit, et me retire en mon repaire chez les pestiférés. Là, enfermé dans ma chambre, je suis chez moi.
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Henri Bergson
Henri Bergson

"Dans l’espace d’une seconde, la lumière rouge, — celle qui a la plus grande longueur d’onde et dont les vibrations sont par conséquent les moins fréquentes, — accomplit 400 trillions de vibrations successives. Veut-on se faire une idée de ce nombre ? On devra écarter les vibrations les unes des autres assez pour que notre conscience puisse les compter ou tout au moins en

enregistrer explicitement la succession, et l’on cherchera combien cette succession occuperait de jours, de mois, ou d’années. Or, le plus petit intervalle de temps vide dont nous ayons conscience est égal, d’après Exner, à 2 millièmes de seconde ; encore est-il douteux que nous puissions percevoir de suite plusieurs intervalles aussi courts. Admettons cependant que nous en soyons

capables indéfiniment. Imaginons, en un mot, une conscience qui assisterait au défilé de 400 trillions de vibrations, toutes instantanées, et seulement séparées les unes des autres par les 2 millièmes de seconde nécessaires pour les distinguer. Un calcul fort simple montre qu’il faudra plus de 25 000 ans pour achever l’opération. Ainsi cette sensation de lumière rouge éprouvée par

nous pendant une seconde correspond, en soi, à une succession de phénomènes qui, déroulés dans notre durée avec la plus grande économie de temps possible, occuperait plus de 250 siècles de notre histoire. Est-ce concevable ?" + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

Auguste Comte
Auguste Comte

La formation d'un plan quelconque d'organisation sociale se compose nécessairement de deux séries de travaux, totalement distinctes par leur objet, ainsi que par le genre de capacité qu'elles exigent. L'une, théorique ou spirituelle, a pour but le développement de l'idée mère du plan, -c'est-à-dire du nouveau principe suivant lequel les relations sociales doivent être coordonnées, et la

formation du système d'idées générales destiné à servir de guide à la société. L'autre, pratique ou temporelle, détermine le mode de répartition du pouvoir et l'ensemble d'institutions administratives les plus conformes à l'esprit du système, tel qu'il a été arrêté par les travaux théoriques. La seconde série étant fondée sur la première, dont elle n'est que la conséquence

et la réalisation, c'est par celle-ci que, de toute nécessité, le travail général doit commencer. Elle en est l'âme, la partie la plus importante et la plus difficile, quoique seulement préliminaire.

Auguste Comte
Auguste Comte

L'intelligence humaine s'est développée au cours des siècles en passant par trois états successifs : l'état théologique, ou fictif, l'état métaphysique, ou abstrait, l'état positif, ou scientifique. Trois états caractérisés par trois méthodes de philosopher de caractère différent et même radicalement opposé. De là trois sortes de philosophies : la première est le point de

départ nécessaire de l'esprit humain, la troisième son état fixe; la seconde marque la transition. Caractéristiques de chacun de ces états.

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

Que, pour sauver la vie d'un homme, on lui coupe le bras, je le comprends ; mais je ne veux point qu'on m'assure qu'il va se montrer aussi adroit que s'il n'était pas manchot.

Seconde partie chapitre VII 15 mai 1848

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

S'il était vrai que les lois et les moeurs fussent insuffisantes au maintien des institutions démocratiques, quel autre refuge resterait-il aux nations, sinon le despotisme d'un seul?
Je sais que de nos jours il y a bien des gens honnêtes que cet avenir n'effraye guère, et qui, fatigués de la liberté, aimeraient à se reposer enfin loin de ses orages.
Mais ceux-là connaissent

bien mal le port vers lequel ils se dirigent. Préoccupés de leurs souvenirs, ils jugent le pouvoir absolu par ce qu'il a été jadis, et non par ce qu'il pourrait être de nos jours.
Si le pouvoir absolu venait à s'établir de nouveau chez les peuples démocratiques de l'Europe, je ne doute pas qu'il n'y prît une forme nouvelle et qu'il ne s'y montrât sous des traits inconnus à nos

pères.

Seconde partie, chap 9, p 421 de l'édition Garnier-Flammarion

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

Les citations ci-dessous ne figurent pas dans les œuvres complètes , tome 1 ou tome 2 , ce sont pour la première un manifeste signé par 300 intellectuels en faveur du Front Populaire , paru dans " Mundo Obrero " en février 1936 , pour la seconde , une déclaration parue en janvier 1931 dans la gazette littéraire et pour la suivante , parue en décembre 1934 dans le journal La Voz une

précision .

"La majorité du peuple espagnol aspire à un régime de liberté et de démocratie et donc , pas individuellement mais comme représentation très large de la classe intellectuelle espagnole , nous confirmons notre adhésion au Front populaire parce que nous voulons que la liberté soit respectée , que le niveau de vie augmente et que la culture soit étendue à toute

les couches sociales "

" La politique consiste à comprendre avec sympathie les persécutés , le gitan , le noir , le juif.... le maure que nous portons en nous "

" Je suis toujours et je serai toujours partisans des pauvres " .

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Greta Thunberg
Greta Thunberg

Comment pouvons nous espérer que des pays comme l’Inde ou le Nigéria s’intéressent aux questions climatiques si nous, qui avons déjà tout, ne sommes pas capables d’y accorder la moindre seconde d’attention ? Ou d’accorder la moindre seconde d’attention à l’Accord de Paris ?