Gaston Bachelard
Gaston Bachelard

La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d'irréalité.

Charles Baudouin
Charles Baudouin

Il ne s'agit pas d'un sentiment d'autocomplaisance, de suffisance, mais d'une connaissance de soi. Lorsqu'on a découvert et rendu consciente en soi la partie de sexe opposé dans sa propre âme, on tient mieux en main ses émotions, ses affects. Cela équivaut en premier lieu à une réelle indépendance, bien qu'en même temps à la solitude, cette solitude de l'homme libre intérieurement,

qu'aucune relation d'amour et d'amitié, qu'aucune association ne peut plus enchaîner, pour qui l'autre sexe n'a plus rien d'inquiétant ni de mystérieux, parce qu'il en a reconnu les traits essentiels dans les tréfonds de sa propre âme. Un tel individu ne pourra plus guère tomber amoureux; il ne peut plus être éperdu, se perdre en un autre; en revanche, il sera capable d'un « amour »

d'autant plus profond, dans le sens d'un don conscient au toi.

Anselme de Cantorbéry
Anselme de Cantorbéry

L'insensé lui-même, en entendant parler d'un être supérieur à tous les autres et au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir, comprend nécessairement ce qu'il entend; or, ce qu'il comprend existe dans son esprit, bien qu'il en ignore l'existence extérieure. Car autre chose est l'existence d'un objet dans l'intelligence, autre chose la notion de l'existence de cet objet. Ainsi quand

un peintre médite un tableau qu'il va bientôt jeter sur la toile, ce tableau existe déjà dans son esprit; mais l'artiste n'a pas encore l'idée de l'existence réelle d'une œuvre qu'il n'a pas encore enfantée; il ne peut avoir cette idée que lorsque l'œuvre conçue dans son imagination prend une forme et s'incarne, pour ainsi dire, sous son pinceau. Dès lors cette œuvre existe à la fois

et dans l'esprit de l'artiste et dans la réalité. L'insensé lui-même est donc forcé d'avouer qu'il existe, du moins dans l'intelligence, quelque chose au-dessus de laquelle la pensée ne peut rien concevoir, puisqu'en entendant parler de cet être suprême, quel qu'il soit, il comprend ce qu'il entend, et que tout ce qui est compris existe dans l'intelligence.

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

Vous découvrez maintenant, Perdita, ce qui fait la réelle bienfaisance du signe. Moi-même, par affinité, je suis amené à me développer conformément au génie magnifique de la plante en laquelle il m’a plu de figurer mes aspirations vers une vie riche et ardente. Cette image végétale de moi-même suffit a m’assurer que mes énergies se déploient toujours selon la nature pour

atteindre naturellement la fin qui leur est assignée. « Natura cosi mi dispone. — Ainsi Nature me dispose », telle est la vincienne épigraphe que je plaçai au frontispice de mon premier livre. Eh bien, le grenadier fleurissant et fructifiant me répète continuellement cette simple parole. Nous n’obéissons qu’aux lois gravées dans notre substance; et, par ce moyen, nous demeurons

intacts au milieu de dissolutions sans nombre, dans une unité et dans une plénitude qui font notre joie. Il n’existe nul désaccord entre mon art et ma vie.

Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock

Avoir des dettes entretenait une gêne physique. Les payer c’était une réelle délivrance.

Hector Berlioz
Hector Berlioz

Je remarquai, à l’occasion de cette malheureuse cantate, combien les chefs d’orchestre qui ne conduisent pas ordinairement le grand opéra, sont inhabiles à se prêter aux allures capricieuses du récitatif. Bloc était dans ce cas ; on ne jouait à l’Odéon que des opéras mêlés de dialogue. Or, quand vint, après le premier air d’Orphée, un récitatif entremêlé de dessins

d’orchestre concertants, il ne put jamais venir à bout d’assurer certaines entrées instrumentales. Ce qui fit dire à un amateur en perruque, présent à la répétition : «Ah ! parlez-moi des anciennes cantates italiennes ! C’est de la musique qui n’embarrasse pas les chefs d’orchestre, elle va toute seule. — Oui, répliquai-je, comme les vieux ânes qui trouvent tout seuls le

chemin de leur moulin !»

C’est ainsi que je commençais à me faire des amis.

Quoi qu’il en soit, la cantate ayant été remplacée par le Resurrexit de ma messe que les choristes et l’orchestre connaissaient, le concert eut lieu. Les deux ouvertures et le Resurrexit furent généralement approuvés et applaudis ; l’air, que Duprez, avec sa voix alors faible et

douce, fit valoir, eut le même bonheur. C’était une invocation au sommeil. Mais le trio avec chœur, pitoyablement chanté, le fut en outre sans chœur ; les choristes ayant manqué leur entrée, se turent prudemment jusqu’à la fin. La scène grecque, dont le style exigeait de grandes masses vocales, laissa le public assez froid.

Elle n’a jamais été exécutée depuis lors et

j’ai fini par la détruire.

En somme pourtant, ce concert me fut d’une utilité réelle ; d’abord en me faisant connaître des artistes et du public ; ce qui, malgré l’avis de Cherubini, commençait à devenir nécessaire ; puis en me mettant aux prises avec les nombreuses difficultés que présente la carrière du compositeur, quand il veut organiser lui-même l’exécution

de ses œuvres. Je vis par cette épreuve combien il me restait à faire pour les surmonter entièrement. Inutile d’ajouter que la recette fut à peine suffisante pour payer l’éclairage, les affiches, le droit des pauvres, et mes impayables choristes qui avaient su se taire si bien.

Plusieurs journaux louèrent chaudement ce concert. Fétis (qui depuis...) Fétis lui-même, dans

un salon, s’exprima à mon sujet en termes extrêmement flatteurs et annonça mon entrée dans la carrière comme un véritable événement.

Mais cette rumeur fut-elle suffisante pour attirer l’attention de miss Smithson, au milieu de l’enivrement que devaient lui causer ses triomphes ?... Hélas ! j’ai su ensuite que tout entière à sa brillante tâche, de mon concert, de mon

succès, de mes efforts, et de moi-même, elle n’avait pas seulement entendu parler..... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Auguste Comte
Auguste Comte

Depuis que l'action réelle de l'Humanité sur le monde extérieur a commencé, chez les modernes, à s'organiser spontanément, elle exige la combinaison continue de deux classes distinctes tris inégales en nombre, mais également indispensables : d'une part, les entrepreneurs proprement dits, toujours peu nombreux, qui, possédant les divers matériaux convenables, y compris l'argent et le

crédit dirigent l'ensemble de chaque opération, en assumant dès lors la principale responsabilité des résultats quelconques; d'une autre part, les opérateurs directs, vivant d'un salaire périodique et formant l'immense majorité des travailleurs, qui exécutent, dans une sorte d'intention abstraite, chacun des actes élémentaires, sans se préoccuper spécialement de leur concours final.

Ces derniers sont seuls immédiatement aux prises avec la nature, tandis que les premiers ont

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

Jusqu’à la Révolution, la paroisse rurale de France conserve dans son gouvernement quelque chose de cet aspect démocratique qu’on lui avait vu dans le moyen âge. S’agit-il d’élire des officiers municipaux ou de discuter quelque affaire commune : la cloche du village appelle les paysans devant le porche de l’église ; là, pauvres comme riches ont le droit de se présenter.

L’assemblée réunie, il n’y a point, il est vrai, de délibération proprement dite ni de vote ; mais chacun peut exprimer son avis, et un notaire requis à cet effet et instrumentant en plein vent recueille les différents dires et les consigne dans un procès-verbal.

Quand on compare ces vaines apparences de la liberté avec l’impuissance réelle qui y était jointe, on

découvre déjà en petit comment le gouvernement le plus absolu peut se combiner avec quelques-unes de formes de la plus extrême démocratie, de telle sorte qu’à l’oppression vienne encore s’ajouter le ridicule de n’avoir pas l’air de la voir. Cette assemblée démocratique de la paroisse pouvait bien exprimer des vœux, mais elle n’avait pas plus le droit de faire sa volonté que

le conseil municipal de la ville. Elle ne pouvait même parler que quand on lui avait ouvert la bouche ; car ce n’était jamais qu’après avoir sollicité la permission expresse de l’intendant, et, comme on le disait alors, appliquant le mot à la chose, sous son bon plaisir, qu’on pouvait la réunir. Fût-elle unanime, elle ne pouvait ni s’imposer, ni vendre, ni acheter, ni louer, ni

plaider, sans que le conseil du roi le lui permît. Il fallait obtenir un arrêt de ce conseil pour réparer le dommage que le vent venait de causer au toit de l’église ou relever le mur croulant du presbytère. La paroisse rurale la plus éloignée de Paris était soumise à cette règle comme les plus proches. J’ai vu des paroisses demander au conseil le droit de dépenser 25 livres.


Les habitants avaient retenu, d’ordinaire, il est vrai, le droit d’élire par vote universel leurs magistrats ; mais il arrivait souvent que l’intendant désignait à ce petit corps électoral un candidat qui ne manquait guère d’être nommé à l’unanimité des suffrages. D’autres fois il cassait l’élection spontanément faite, nommait lui-même le collecteur et le syndic,

et suspendait indéfiniment toute élection nouvelle. J’en ai vu mille exemples.
[…]
Sous l’ancien régime comme de nos jours, il n’y avait ville, bourg, village, ni si petit hameau en France, hôpital, fabrique, couvent ni collège, qui pût avoir une volonté indépendante dans ses affaires particulières, ni administrer à sa volonté propre ses biens. Alors comme

aujourd’hui, l’administration tenait donc tous les Français en tutelle, et si l’insolence du mot ne s’était pas encore produite, on avait du moins déjà la chose.

Livre II Chapitre III Comment ce qu’on appelle aujourd’hui la tutelle administrative est une institution de l’ancien régime + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          150

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

Il y a un préjugé naturel qui porte l’homme à mépriser celui qui a été son inférieur, longtemps encore après qu’il est devenu son égal ; à l’inégalité réelle que produit la fortune ou la loi, succède toujours une inégalité imaginaire qui a ses racines dans les mœurs ; mais chez les anciens, cet effet secondaire de l’esclavage avait un terme. L’affranchi ressemblait si

fort aux hommes d’origine libre, qu’il devenait bientôt impossible de le distinguer au milieu d’eux.

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

...
Une des merveilles du « cante jondo », en plus de la mélodie qui est essentielle, réside dans ses poèmes.
Nous, poètes qui nous occupons actuellement, à plus ou moins grande échelle, de tailler et de soigner l'arbre poétique par trop touffu que nous ont légué les romantiques et les post-romantiques, nous sommes tous éblouis par ces vers.
Les nuances les plus

infinies de la Douleur et de la Peine, mises au service de l'expression la plus pure et la plus exacte, palpitent dans les tercets et les quatrains de la 'siguiriya' et de ses dérivés.
Il n'y a rien, absolument rien de comparable dans toute l'Espagne, tant pour la stylisation, que pour l'atmosphère, ou pour la justesse émotionnelle.
Les métaphores qui peuplent nos chansons

andalouses sont presque toujours placées sur leur orbite ; il n'y a pas de disparité entre les membres spirituels des vers, si bien qu'ils parviennent à prendre possession de notre cœur, de façon définitive.
On est étonné et émerveillé de voir des poètes anonymes du peuple extraire en trois ou quatre vers toute la rare complexité des moments d'émotion les plus intenses de la vie

des hommes. Dans certaines « coplas » la vibration lyrique se place à un degré où seuls de très rares poètes parviennent à se hisser.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Dans ces deux vers populaires il y a beaucoup plus de mystère que dans tous les drames de Maeterlinck, un mystère simple et réel, un mystère clair et sain, sans forêts sombres,

ni bateaux sans gouvernail : l'énigme toujours vive de la mort.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Qu'elles viennent du cœur de la montagne, qu'elles viennent des champs d'orangers sévillans ou des harmonieuses côtes méditerranéennes, les « coplas » ont un fonds commun : l'Amour et la Mort ... ; mais un Amour et une Mort vus à travers la Sybille,

ce personnage si oriental, véritable sphinx d'Andalousie.
Au fond de tous les poèmes, la même question palpite, mais c'est la terrible question qui n'a pas de réponse. Notre peuple met les bras en croix, le regard tourné vers les étoiles et attendra inutilement un signe salvateur. C'est une attitude pathétique, mais sincère. Et de deux choses l'une : ou bien le poème pose un profond

problème émotionnel, sans réalité possible, ou bien il le résout par la Mort, qui est la question des questions.
La plupart des poèmes de notre région ont les caractéristiques citées auparavant. Nous sommes un peuple triste, un peuple extatique.
Ivan Tourgueniev vit ses compatriotes, russes dans le sang et jusqu'à la moelle, transformés en sphinx, et c'est ainsi que je vois

moi aussi de très nombreux poèmes de notre répertoire régional.

« Oh, sphinx des Andalousies ! / Tu devras frapper à ma porte, / je ne devrai pas te l'ouvrir / et tu m'entendras qui sanglote.

Les vers se cachent derrière un voile impénétrable et s'endorment dans l'attente de l’Œdipe qui viendra les déchiffrer afin qu'ils s'éveillent et retournent au silence

...
Une des caractéristiques les plus remarquables des textes du « cante jondo » consiste en l'absence presque totale des 'demis-tons'.
Dans les chants des Asturies, comme dans les castillans, les catalans, les basques et les galiciens, on observe un certain équilibre des sentiments et une pondération poétique qui se prête à l'expression d'états d'esprit modestes et de

sentiments naïfs dont on peut dire que le chant andalou est presque totalement dépourvu.
Nous autres Andalous, percevons rarement le 'demi-ton'. L'Andalou crie vers les étoiles ou baise la poussière rougeâtre des chemins qu'il emprunte. Le demi-ton n'existe pas pour lui. Il l'ignore en dormant. Et lorsque, très exceptionnellement, il y recourt, c'est pour dire :

« A moi

ça me fait pas grand-chose / qu'un oiseau dans la promenade / sur un arbre ou l'autre se pose.

Ceci dit, j'observe dans cette chanson, pour les sentiments qu'elle exprime, et non dans son architecture, une nette filiation asturienne. Le pathétisme est donc la caractéristique la plus forte de notre « cante jondo ».
C'est pourquoi, alors que de nombreux chants de notre

péninsule ont la faculté de nous évoquer les paysages où ils sont chantés, le « cante jondo » chante comme un rossignol aveugle, il chante sans yeux, et c'est pourquoi autant ses textes passionnés que ses mélodies très anciennes ont pour meilleur décor la nuit ... la nuit bleue de notre campagne.
Mais cette faculté d'évocation plastique que possèdent de nombreux chants

populaires espagnols leur ôte l'intimité et la profondeur dont le « cante jondo » est rempli.
Un chant (parmi des milliers d'autres) de la poésie musicale asturienne est un cas typique de cette capacité d'évocation.

« Pauvre de moi, me v'là perdu ; / là, dans cette triste montagne, / pauvre de moi, me v'là perdu ; / laisse-moi donc rentrer l'troupiau / par Dieu du ciel

dans ta cabane. / Dedans l'épaisseur du brouillard, / pauvre de moi, me v'là perdu ! / Laisse-moi donc passer la nuit / avec toi dedans la masure. / Me v'là perdu, / sur le mont, dans l'épaisse bruine, / pauvre de moi, me v'là perdu.

L'évocation de la montagne aux pinèdes bercées par le vent est si merveilleuse, l'impression réelle du chemin, qui monte vers les cimes où la

neige rêve, est si exacte, et l'image de la brume, qui s'élève des abîmes confondant les rochers humidifiés en d'infinies tonalités de gris, est si véritable, que l'on en vient à oublier le « pauv' berger » qui, comme un enfant, demande le gîte à la bergère inconnue du poème. « On en vient à oublier l'essentiel du poème. » La mélodie de ce chant contribue de manière

extraordinaire à une évocation plastique par son rythme monotone et vert-de-gris de paysage embrumé.
En revanche, le « cante jondo » chante toujours dans la nuit. Il n'a ni matin ni soir, ni montagnes ni plaines. Il n'a que la nuit, une nuit large et profondément étoilée. Tout le reste lui est superflu.
C'est un chant sans paysage et, par conséquent, concentré sur lui-même,

et terrible au milieu des ténèbres, il lance ses flèches d'or qui se plantent dans notre cœur. Au milieu des ténèbres, il est comme un formidable archer bleu dont le carquois ne se vide jamais. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          21