Il ne s'est jamais rien fait de grand dans le monde que par le courage et la fermeté d'un seul homme qui brave les préjugés de la multitude.
Nietzsche a instruit patiemment sa volonté de puissance par ses longues marches dans la montagne, par sa vie en plein vent sur les sommets. Sur les sommets, il a aimé : « L'âpre divinité de la roche sauvage ». La pensée dans le vent; il a fait de la marche un combat. Mieux, la marche est son combat. C'est elle qui donne le rythme énergétique de Zarathoustra. Zarathoustra ne parle pas
assis, il ne parle pas en se promenant, comme un péripatéticien. Il donne sa doctrine en marchant énergiquement. Il la jette aux quatre vents du ciel.
Gaston Bachelard ressemblait moins à un être humain qu'à un chêne rouvre, magnifique, à l'écorce épaisse comme l'arbre de Zeus, entre la terre des hommes et le monde des dieux, qu'on venait consulter à Dodone, en Épire. Les mouvements de son feuillage dans le vent avaient valeur d'oracle. Un chêne, comme il en pousse aussi dans les plus belles futaies de France et d'Amérique, solide sur
ses pattes jusqu'à ses cinq cents ou même mille ans. Sa barbe blanche, échappée de ses joues et de son menton, lui faisait une guirlande pareille à la mousse espagnole dont se brodent les chênes en Louisiane.
La marche contre le vent, la marche dans la montagne est sans doute l'exercice qui aide le mieux à vaincre le complexe d'infériorité. Réciproquement, cette marche qui ne désire pas de but, cette marche pure comme une poésie pure, donne de constantes et d'immédiates impressions de volonté de puissance.
Dans la rêverie d'Edgar Poe, pour un rêveur vivant, fidèle à la clairvoyance du rêve, comme Edgar Poe, une des fonctions du végétal est de produire de l'ombre comme la seiche produit de l'encre. A chaque heure de sa vie la forêt doit aider la nuit à noircir le monde.
La poésie totale, la poésie parfaite, dit Hugo von Hofmannsthal, « c'est le corps d'un elfe, transparent comme l'air, le messager vigilant qui porte à travers les airs une parole magique : en passant il s'empare du mystère de nuages, des étoiles, des cimes, des vents; il transmet la formule magique fidèlement, mêlée cependant aux voix mystérieuses des nuages, des étoiles, des cimes et
des vents ». Le messager ne fait plus qu'un avec le message. Le monde intime du poète rivalise avec l'univers.
C'est près de l'eau que j'ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire d'un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l'eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières, dans un coin de Champagne vallonnée, dans
le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d'un vallon, au bord d'une eau vive, dans l'ombre courte des saules et des osières.