Arthur C. Clarke
Arthur C. Clarke

Les plus célèbres merveilles de Mars étaient tellement gigantesques qu'on ne pouvait les admirer vraiment que de l'espace.

Hector Berlioz
Hector Berlioz

Civitella offre, en outre, aux vagabonds, un précieux avantage dont les autres villages semblables sont totalement dépourvus ; c’est une auberge ou quelque chose d’approchant. On peut y loger et y vivre passablement. L’homme riche du pays, il signor Vincenzo, reçoit et héberge de son mieux les étrangers, les Français surtout, pour lesquels il professe la plus honorable sympathie, mais

qu’il assassine de questions sur la politique. Assez modéré dans ses autres prétentions, ce brave homme est assez insatiable sur ce point. Enveloppé dans une redingote qu’il n’a pas quittée depuis dix ans, accroupi sous sa cheminée enfumée, il commence, en vous voyant entrer, son interrogatoire, et, fussiez-vous exténué, mourant de soif, de faim et de fatigue, vous n’obtiendrez

pas un verre de vin avant de lui avoir répondu sur Lafayette, Louis-Philippe et la garde nationale. Vico-Var, Olevano, Arsoli, Genesano et vingt autres villages dont le nom m’échappe, se présentent presque uniformément sous le même aspect. Ce sont toujours des agglomérations de maisons grisâtres appliquées, comme des nids d’hirondelles, contre des pics stériles presque inabordables ;

toujours de pauvres enfants demi-nus poursuivent les étrangers en criant : Pittore ! pittore ! Inglese ! mezzo baiocco[53] ! (Pour eux, tout étranger qui vient les visiter est peintre ou Anglais). Les chemins, quand il y en a, ne sont que des gradins informes, à peine indiqués dans le rocher. On rencontre des hommes oisifs qui vous regardent d’un air singulier ; des femmes, conduisant des

cochons qui, avec le maïs, forment toute la richesse du pays ; de jeunes filles, la tête chargée d’une lourde cruche de cuivre ou d’un fagot de bois mort ; et tous si misérables, si tristes, si délabrés, si dégoûtants de saleté, que, malgré la beauté naturelle de la race et la coupe pittoresque des vêtements, il est difficile d’éprouver à leur aspect autre chose qu’un

sentiment de pitié. Et pourtant, je trouvais un plaisir extrême à parcourir ces repaires, à pied, le fusil à la main, ou même sans fusil.

Lorsqu’il s’agissait, en effet, de gravir quelque pic inconnu, j’avais soin de laisser en bas ce bel instrument, dont les qualités excitaient assez la convoitise des Abruzzais pour leur donner l’idée d’en détacher le propriétaire,

au moyen de quelques balles envoyées à sa rencontre par d’affreuses carabines embusquées traîtreusement derrière un vieux mur.

À force de fréquenter les villages de ces braves gens, j’avais fini par être très-bien avec eux. Crispino surtout m’avait pris en affection ; il me rendait toutes sortes de services ; il me procurait non-seulement des tuyaux de pipe parfumés,

d’un goût exquis[54], non-seulement du plomb et de la poudre, mais des capsules fulminantes, même des capsules ! dans ce pays perdu, dépourvu de toute idée d’art et d’industrie. De plus, Crispino connaissait toutes les ragazze bien peignées à dix lieues à la ronde, leurs inclinations, leurs relations, leurs ambitions, leurs passions, celles de leurs parents et de leurs amants ; il

avait une note exacte des degrés de vertu et de température de chacune, et ce thermomètre était quelquefois fort amusant à consulter.

Cette affection, du reste, était motivée ; j’avais, une nuit, dirigé une sérénade qu’il donnait à sa maîtresse ; j’avais chanté avec lui pour la jeune louve, en nous accompagnant de la chitarra francese, une chanson alors en vogue,

parmi les élégants de Tivoli ; je lui avais fait présent de deux chemises, d’un pantalon et de trois superbes coups de pied au derrière un jour qu’il me manquait de respect[55].

Crispino n’avait pas eu le temps d’apprendre à lire, et il ne m’écrivait jamais. Quand il avait quelque nouvelle intéressante à me donner hors des montagnes, il venait à Rome. Qu’était-ce,

en effet qu’une trentaine de lieues per un bravo comme lui. Nous avions l’habitude, à l’Académie, de laisser ouvertes les portes de nos chambres. Un matin de janvier (j’avais quitté les montagnes en octobre, je m’ennuyais donc depuis trois mois), en me retournant dans mon lit, j’aperçois devant moi un grand scélérat basané, chapeau pointu, jambes cordées, qui paraissait

attendre très-honnêtement mon réveil.

— Tiens ! Crispino ! qu’es-tu venu faire à Rome ?

— Sono venuto... per vederlo !

— Oui pour me voir, et puis ?

— Crederei mancare al più preciso mio debito, se in questa occasione...

— Quelle occasion ?

— Per dire la verità... mi manca... il danaro.

— À

la bonne heure ! voilà ce qui s’appelle dire vraiment la verità. Ah ! tu n’as pas d’argent ! et que veux-tu que j’y fasse, birbonnaccio ?

— Per Bacco, non sono birbone !

Je finis sa réponse en français :

— «Si vous m’appelez gueux parce que je n’ai pas le sou, vous avez raison ; mais si c’est parce que j’ai été deux ans à

Civita-Vecchia, vous avez bien tort. On ne m’a pas envoyé aux galères pour avoir volé, mais bien pour de bons coups de carabine, pour de fameux coups de couteau donnés dans la montagne à des étrangers (forestieri).»

Mon ami se flattait assurément ; il n’avait peut-être pas tué seulement un moine ; mais enfin, on voit qu’il avait le sentiment de l’honneur. Aussi, dans

son indignation, n’accepta-t-il que trois piastres, une chemise et un foulard, sans vouloir attendre que j’eusse mis mes bottes pour lui donner... le reste. Le pauvre garçon est mort, il y a deux ans, d’un coup de pierre reçu à la tête, dans une rixe.

Nous reverrons-nous dans un monde meilleur ?...

XXXIX

La vie du musicien à Rome. — La musique dans

l’église de Saint-Pierre. — La chapelle Sixtine. — Préjugé sur Palestrina. — La musique religieuse moderne dans l’église de Saint-Louis. — Les théâtres lyriques. — Mozart et Vaccaï. — Les pifferari. — Mes compositions à Rome.

Il fallait bien toujours revenir dans cette éternelle ville de Rome, et s’y convaincre de plus en plus que, de toutes les existences

d’artiste, il n’en est pas de plus triste que celle d’un musicien étranger, condamné à l’habiter, si l’amour de l’art est dans son cœur. Il y éprouve un supplice de tous les instants, dans les premiers temps, en voyant ses illusions poétiques tomber une à une, et le bel édifice musical élevé par son imagination, s’écrouler devant la plus désespérante des réalités ; ce

sont, chaque jour, de nouvelles expériences qui amènent constamment de nouvelles déceptions. Au milieu de tous les autres arts pleins de vie, de grandeur, de majesté, éblouissants de l’éclat du génie, étalant fièrement leurs merveilles diverses, il voit la musique réduite au rôle d’une esclave dégradée, hébétée par la misère et chantant, d’une voix usée, de stupides poëmes

pour lesquels le peuple lui jette à peine un morceau de pain. C’est ce que je reconnus facilement au bout de quelques semaines. À peine arrivé, je cours à Saint-Pierre... immense ! sublime ! écrasant !... voilà Michel-Ange, voilà Raphaël, voilà Canova ; je marche sur les marbres les plus précieux, les mosaïques les plus rares... Ce silence solennel... cette fraîche atmosphère... ces

tons lumineux si riches et si harmonieusement fondus... Ce vieux pèlerin, agenouillé seul, dans la vaste enceinte... Un léger bruit, parti du coin le plus obscur du temple, et roulant sous ces voûtes colossales comme un tonnerre lointain... j’eus peur... il me sembla que c’était là réellement la maison de Dieu et que je n’avais pas le droit d’y entrer. Réfléchissant que de faibles

créatures comme moi étaient parvenues cependant à élever un pareil monument de grandeur et d’audace, je sentis un mouvement de fierté, puis, songeant au rôle magnifique que devait y jouer l’art que je chéris, mon cœur commença à battre à coups redoublés. Oh ! oui, sans doute, me dis-je aussitôt, ces tableaux, ces statues, ces colonnes, cette architecture de géants, tout cela

n’est que le corps du monument ; la musique en est l’âme ; c’est par elle qu’il manifeste son existence, c’est elle qui résume l’hymne incessant des autres arts, et de sa voix puissante le porte brûlant aux pieds de l’Éternel. Où donc est l’orgue ?... L’orgue, un peu plus grand que celui de l’Opéra de Paris, était sur des roulettes ; un pilastre le dérobait à ma vue.

N’importe, ce chétif instrument ne sert peut-être qu’à donner le ton aux voix, et tout effet instrumental étant proscrit, il doit suffire. Quel est le nombre des chanteurs ?... Me rappelant alors la petite salle du Conservatoire, que l’église de Saint-Pierre contiendrait cinquante ou soixante fois au moins, je pensai que si un chœur de quatre-vingt-dix voix y était employé

journellement, les choristes de Saint-Pierre ne devaient se compter que par milliers. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XX

Apparition de Beethoven au Conservatoire. — Réserve haineuse des maîtres français. — Impression produite par la symphonie en ut mineur sur Lesueur. — Persistance de celui-ci dans son opinion systématique.

Les coups de tonnerre se succèdent quelquefois dans la vie de l’artiste, aussi rapidement que dans ces grandes tempêtes, où les nues gorgées de fluide

électrique semblent se renvoyer la foudre et souffler l’ouragan.
Je venais d’apercevoir en deux apparitions Shakespeare et Weber ; aussitôt, à un autre point de l’horizon, je vis se lever l’immense Beethoven. La secousse que j’en reçus fut presque comparable à celle que m’avait donnée Shakespeare. Il m’ouvrait un monde nouveau en musique, comme le poëte m’avait

dévoilé un nouvel univers en poésie.

La société des concerts du Conservatoire venait de se former, sous la direction active et passionnée d’Habeneck. Malgré les graves erreurs de cet artiste et ses négligences à l’égard du grand maître qu’il adorait, il faut reconnaître ses bonnes intentions, son habileté même, et lui rendre la justice de dire qu’à lui seul est

due la glorieuse popularisation des œuvres de Beethoven à Paris. Pour parvenir à fonder la belle institution célèbre aujourd’hui dans le monde civilisé tout entier, il eut bien des efforts à faire ; il eut à échauffer de son ardeur un grand nombre de musiciens dont l’indifférence devenait hostile, quand on leur faisait envisager dans l’avenir de nombreuses répétitions et des

travaux aussi fatigants que peu lucratifs, pour parvenir à une bonne exécution de ces œuvres alors connues seulement par leurs excentriques difficultés.

Il eut à lutter aussi, et ce ne fut pas la moindre de ses peines, contre l’opposition sourde, le blâme plus ou moins déguisé, l’ironie et les réticences des compositeurs français et italiens, fort peu ravis de voir

ériger un temple à un Allemand dont ils considéraient les compositions comme des monstruosités, redoutables néanmoins pour eux et leur école. Que d’abominables sottises j’ai entendu dire aux uns et aux autres sur ces merveilles de savoir et d’inspiration.

Mon maître, Lesueur, homme honnête pourtant, exempt de fiel et de jalousie, aimant son art, mais dévoué à ces

dogmes musicaux que j’ose appeler des préjugés et des folies, laissa échapper à ce sujet un mot caractéristique. Bien qu’il vécût assez retiré et absorbé dans ses travaux, la rumeur produite dans le monde musical de Paris par les premiers concerts du Conservatoire et les symphonies de Beethoven était rapidement parvenue jusqu’à lui. Il s’en étonna d’autant plus, qu’avec la

plupart de ses confrères de l’Institut, il regardait la musique instrumentale comme un genre inférieur, une partie de l’art estimable mais d’une valeur médiocre, et qu’à son avis Haydn et Mozart en avaient posé les bornes qui ne pouvaient être dépassées.

À l’exemple donc de Berton, qui regardait en pitié toute la moderne école allemande, — de Boïeldieu, qui ne

savait trop ce qu’il en fallait penser et manifestait une surprise enfantine aux moindres combinaisons harmoniques s’éloignant tant soit peu des trois accords qu’il avait plaqués toute sa vie, — à l’exemple de Cherubini, qui concentrait sa bile et n’osait la répandre sur un maître dont les succès l’irritaient profondément et sapaient l’édifice de ses théories les plus

chères, — de Paër qui, avec son astuce italienne, racontait sur Beethoven qu’il avait connu, disait-il, des anecdotes plus ou moins défavorables à ce grand homme et flatteuses pour le narrateur, — de Catel, qui boudait la musique et s’intéressait uniquement à son jardin et à son bois de rosiers, — de Kreutzer enfin, qui partageait l’insolent dédain de Berton pour tout ce qui

nous venait d’outre-Rhin ; comme tous ces maîtres, Lesueur, malgré la fièvre d’admiration dont il voyait possédés les artistes en général, et moi en particulier, Lesueur se taisait, faisait le sourd et s’abstenait soigneusement d’assister aux concerts du Conservatoire. Il eût fallu, en y allant, s’y former une opinion sur Beethoven, l’exprimer, être témoin du furieux

enthousiasme qu’il excitait et c’est ce que Lesueur, sans se l’avouer, ne voulait point. Je fis tant, néanmoins, je lui parlai de telle sorte de l’obligation où il était de connaître et d’apprécier personnellement un fait aussi considérable que l’avènement dans notre art de ce nouveau style, de ces formes colossales, qu’il consentit à se laisser entraîner au Conservatoire un

jour où l’on y exécutait la symphonie en ut mineur de Beethoven. Il voulut l’entendre consciencieusement et sans distractions d’aucune espèce. Il alla se placer seul au fond d’une loge de rez-de-chaussée occupée par des inconnus et me renvoya. Quand la symphonie fut terminée, je descendis de l’étage supérieur où je me trouvais pour aller savoir de Lesueur ce qu’il avait

éprouvé et ce qu’il pensait de cette production extraordinaire.

Je le rencontrai dans un couloir ; il était très-rouge et marchait à grands pas : «Eh bien, cher maître, lui dis-je ?... — Ouf ! je sors, j’ai besoin d’air. C’est inouï ! c’est merveilleux ! cela m’a tellement ému, troublé, bouleversé, qu’en sortant de ma loge et voulant remettre mon chapeau,

j’ai cru que je ne pourrais plus retrouver ma tête ! Laissez-moi seul. À demain...» + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

A propos du gouvernement des villes sous l'Ancien Régime :

Au XVIIIème siècle, ce n'est plus le peuple lui-même qui forme l'assemblée générale. Celle-ci est presque toujours représentative. Mais ce qu'il faut bien considérer, c'est que nulle part elle n'est plus élue par la masse du public et n'en reçoit l'esprit. [...]
A mesure qu'on s'avance dans le siècle, le

nombre des notables de droit se multiplie dans cette assemblée [...]. L'assemblée contient seulement des bourgeois et ne reçoit presque plus d'artisans. Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu'on l'imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s'intéresser aux affaires de la commune et vit dans l'intérieur de ses propres murs comme un étranger.

Inutilement ses magistrats essayent de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le moyen-âge : il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville semblent ne plus le toucher. On voudrait qu'il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d'une élection libre : il s'entête à s'abstenir. Rien de plus commun qu'un pareil

spectacle dans l'histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d'abord d'en maintenir les formes : cela s'est vu depuis Auguste jusqu'à nos jours ; ils se flattaient ainsi de réunir à la force morale que donne toujours l'assentiment public les commodités que la puissance absolue peut seule offrir. Presque tous ont échoué dans cette entreprise, et ont bientôt

découvert qu'il était impossible de faire durer longtemps ces menteuses apparences là où la réalité n'était plus.

p113-114 de l'édition Folio. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          214

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

On ne saurait trop le dire : il n'est rien de plus fécond en merveilles que l'art d'être libre ; mais il n'est rien de plus dur que l'apprentissage de la liberté.

(Livre 1 - Deuxième partie - Chap. VI - Quels sont les avantages réels que la société américaine retire du gouvernement de la démocratie - p. 335)

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

...
Une des merveilles du « cante jondo », en plus de la mélodie qui est essentielle, réside dans ses poèmes.
Nous, poètes qui nous occupons actuellement, à plus ou moins grande échelle, de tailler et de soigner l'arbre poétique par trop touffu que nous ont légué les romantiques et les post-romantiques, nous sommes tous éblouis par ces vers.
Les nuances les plus

infinies de la Douleur et de la Peine, mises au service de l'expression la plus pure et la plus exacte, palpitent dans les tercets et les quatrains de la 'siguiriya' et de ses dérivés.
Il n'y a rien, absolument rien de comparable dans toute l'Espagne, tant pour la stylisation, que pour l'atmosphère, ou pour la justesse émotionnelle.
Les métaphores qui peuplent nos chansons

andalouses sont presque toujours placées sur leur orbite ; il n'y a pas de disparité entre les membres spirituels des vers, si bien qu'ils parviennent à prendre possession de notre cœur, de façon définitive.
On est étonné et émerveillé de voir des poètes anonymes du peuple extraire en trois ou quatre vers toute la rare complexité des moments d'émotion les plus intenses de la vie

des hommes. Dans certaines « coplas » la vibration lyrique se place à un degré où seuls de très rares poètes parviennent à se hisser.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Dans ces deux vers populaires il y a beaucoup plus de mystère que dans tous les drames de Maeterlinck, un mystère simple et réel, un mystère clair et sain, sans forêts sombres,

ni bateaux sans gouvernail : l'énigme toujours vive de la mort.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Qu'elles viennent du cœur de la montagne, qu'elles viennent des champs d'orangers sévillans ou des harmonieuses côtes méditerranéennes, les « coplas » ont un fonds commun : l'Amour et la Mort ... ; mais un Amour et une Mort vus à travers la Sybille,

ce personnage si oriental, véritable sphinx d'Andalousie.
Au fond de tous les poèmes, la même question palpite, mais c'est la terrible question qui n'a pas de réponse. Notre peuple met les bras en croix, le regard tourné vers les étoiles et attendra inutilement un signe salvateur. C'est une attitude pathétique, mais sincère. Et de deux choses l'une : ou bien le poème pose un profond

problème émotionnel, sans réalité possible, ou bien il le résout par la Mort, qui est la question des questions.
La plupart des poèmes de notre région ont les caractéristiques citées auparavant. Nous sommes un peuple triste, un peuple extatique.
Ivan Tourgueniev vit ses compatriotes, russes dans le sang et jusqu'à la moelle, transformés en sphinx, et c'est ainsi que je vois

moi aussi de très nombreux poèmes de notre répertoire régional.

« Oh, sphinx des Andalousies ! / Tu devras frapper à ma porte, / je ne devrai pas te l'ouvrir / et tu m'entendras qui sanglote.

Les vers se cachent derrière un voile impénétrable et s'endorment dans l'attente de l’Œdipe qui viendra les déchiffrer afin qu'ils s'éveillent et retournent au silence

...
Une des caractéristiques les plus remarquables des textes du « cante jondo » consiste en l'absence presque totale des 'demis-tons'.
Dans les chants des Asturies, comme dans les castillans, les catalans, les basques et les galiciens, on observe un certain équilibre des sentiments et une pondération poétique qui se prête à l'expression d'états d'esprit modestes et de

sentiments naïfs dont on peut dire que le chant andalou est presque totalement dépourvu.
Nous autres Andalous, percevons rarement le 'demi-ton'. L'Andalou crie vers les étoiles ou baise la poussière rougeâtre des chemins qu'il emprunte. Le demi-ton n'existe pas pour lui. Il l'ignore en dormant. Et lorsque, très exceptionnellement, il y recourt, c'est pour dire :

« A moi

ça me fait pas grand-chose / qu'un oiseau dans la promenade / sur un arbre ou l'autre se pose.

Ceci dit, j'observe dans cette chanson, pour les sentiments qu'elle exprime, et non dans son architecture, une nette filiation asturienne. Le pathétisme est donc la caractéristique la plus forte de notre « cante jondo ».
C'est pourquoi, alors que de nombreux chants de notre

péninsule ont la faculté de nous évoquer les paysages où ils sont chantés, le « cante jondo » chante comme un rossignol aveugle, il chante sans yeux, et c'est pourquoi autant ses textes passionnés que ses mélodies très anciennes ont pour meilleur décor la nuit ... la nuit bleue de notre campagne.
Mais cette faculté d'évocation plastique que possèdent de nombreux chants

populaires espagnols leur ôte l'intimité et la profondeur dont le « cante jondo » est rempli.
Un chant (parmi des milliers d'autres) de la poésie musicale asturienne est un cas typique de cette capacité d'évocation.

« Pauvre de moi, me v'là perdu ; / là, dans cette triste montagne, / pauvre de moi, me v'là perdu ; / laisse-moi donc rentrer l'troupiau / par Dieu du ciel

dans ta cabane. / Dedans l'épaisseur du brouillard, / pauvre de moi, me v'là perdu ! / Laisse-moi donc passer la nuit / avec toi dedans la masure. / Me v'là perdu, / sur le mont, dans l'épaisse bruine, / pauvre de moi, me v'là perdu.

L'évocation de la montagne aux pinèdes bercées par le vent est si merveilleuse, l'impression réelle du chemin, qui monte vers les cimes où la

neige rêve, est si exacte, et l'image de la brume, qui s'élève des abîmes confondant les rochers humidifiés en d'infinies tonalités de gris, est si véritable, que l'on en vient à oublier le « pauv' berger » qui, comme un enfant, demande le gîte à la bergère inconnue du poème. « On en vient à oublier l'essentiel du poème. » La mélodie de ce chant contribue de manière

extraordinaire à une évocation plastique par son rythme monotone et vert-de-gris de paysage embrumé.
En revanche, le « cante jondo » chante toujours dans la nuit. Il n'a ni matin ni soir, ni montagnes ni plaines. Il n'a que la nuit, une nuit large et profondément étoilée. Tout le reste lui est superflu.
C'est un chant sans paysage et, par conséquent, concentré sur lui-même,

et terrible au milieu des ténèbres, il lance ses flèches d'or qui se plantent dans notre cœur. Au milieu des ténèbres, il est comme un formidable archer bleu dont le carquois ne se vide jamais. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          21

Jean Cocteau
Jean Cocteau

Il s'est passé tant de merveilles depuis que Racine écrivait ses préfaces et croyait nécessaire de défendre des chefs-d’œuvre, tant de merveilles se sont produites et ont libéré le théâtre des règles qui le limitaient de toutes parts ou plutôt qui obligeaient un Racine à ne point décider ses propres limites et à se donner pour moraliste, que je crois un autre genre de préfaces

utile en 1937....
(extrait de la préface de "Les chevaliers de la table ronde", pièce contenue dans le recueil paru à la "Nrf" en 1948)

Arthur C. Clarke
Arthur C. Clarke

Déjà, Alarkane […] examinait les classeurs. Chacun contenait des milliers de feuilles d’un matériau fin, résistant, perforé d’innombrables trous et fentes. Le Paladorien s’empara de l’une des cartes et puis le groupe s’en alla. Cette grande salle, qui avait été l’une des merveilles du monde, ne signifiait rien pour eux. Aucun œil vivant ne verrait jamais plus cette

extraordinaire batterie d’analyseurs Hollerith, presque humains, pas plus que les cinq milliards de cartes perforées qui contenaient tout ce qui pouvait être enregistré sur chaque homme, femme et enfant de la planète.

Carl Sagan
Carl Sagan

Ellie adorait l'écouter ; c'était comme pénétrer au Pays des merveilles ou dans la Ville d'émeraude. Même mieux, en réalité, car toutes ses divagations conduisaient à penser que cette idée pouvait être vraie, que les choses avaient une chance de se passer ainsi. Un jour, aimait-elle à croire l'un des grands radiotélescopes recevrait peut-être un message, le rêve deviendrait alors

réalité.

Giorgio Vasari
Giorgio Vasari

Michel Angelo Buonarroti – Peintre, sculpteur et architecte
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Depuis longtemps les successeurs du célèbre Giotto faisaient de vains efforts pour donner au monde le spectacle des merveilles que peut enfanter l'intelligence humaine, en imitant la nature.
Le divin Créateur, voyant l'inutilité des fatigues et des ferventes études de ces artistes, aussi éloignés de la

vérité que les ténèbres le sont de la lumière, daigna enfin jeter un regard de bonté sur la terre, et résolut de nous envoyer un génie universel, capable d'embrasser à la fois et de pousser à toute leur perfection les arts de la peinture, de la sculpture et de l'architecture. Dieu accorda encore à ce mortel privilégié une haute philosophie, et le don de la poésie, pour montrer en lui

le modèle accompli de toutes les choses qui sont le plus en estime et en honneur parmi nous.
La Toscane, par ses travaux, avait bien mérité la faveur de compter cet homme glorieux au nombre de ses citoyens.