Mario Botta
Mario Botta

Je soutiens l'idée que dans notre société, les pauvres sont doublement punis par les architectes. Une première fois parce qu'ils sont privés de maison, et la deuxième fois parce que quand on la leur donne, elle est moche. Malheureusement, il est fréquent que nous les architectes, nous acceptons ces procédés sans les critiquer. Nous acceptons la laideur avec une espèce de cynisme, comme

si elle était inéluctable. Nous ne faisons rien pour lutter contre cette profusion de maisons médiocres et dans lesquelles il est évident qu'aucun architecte ne voudrait venir habiter.

Hector Berlioz
Hector Berlioz

Ce fut en rentrant chez moi, à la suite d’une de ces excursions où j’avais l’air d’être à la recherche de mon âme, que, trouvant ouvert sur ma table le volume des Mélodies irlandaises de Th. Moore, mes yeux tombèrent sur celle qui commence par ces mots : «Quand celui qui t’adore» (When he who adores thee). Je pris la plume, et tout d’un trait j’écrivis la musique de ce

déchirant adieu, qu’on trouve sous le titre d’Élégie, à la fin de mon recueil intitulé Irlande. C’est la seule fois qu’il me soit arrivé de pouvoir peindre un sentiment pareil, en étant encore sous son influence active et immédiate. Mais je crois que j’ai rarement pu atteindre à une aussi poignante vérité d’accents mélodiques, plongés dans un tel orage de sinistres

harmonies.

Ce morceau est immensément difficile à chanter et à accompagner ; il faut, pour le rendre dans son vrai sens, c’est-à-dire, pour faire renaître, plus ou moins affaibli, le désespoir sombre, fier et tendre, que Moore dut ressentir en écrivant ses vers, et que j’éprouvais en les inondant de ma musique, il faut deux habiles artistes[32], un chanteur surtout, doué

d’une voix sympathique et d’une excessive sensibilité. L’entendre médiocrement interpréter serait pour moi une douleur inexprimable.

Pour ne pas m’y exposer, depuis vingt ans qu’il existe, je n’ai proposé à personne de me le chanter. Une seule fois, Alizard, l’ayant aperçu chez moi, l’essaya sans accompagnement en le transposant (en si) pour sa voix de basse, et

me bouleversa tellement, qu’au milieu je l’interrompis en le priant de cesser. Il le comprenait ; je vis qu’il le chanterait tout à fait bien ; cela me donna l’idée d’instrumenter pour l’orchestre l’accompagnement de piano. Puis réfléchissant que de semblables compositions ne sont pas faites pour le gros public des concerts, et que ce serait une profanation de les exposer à son

indifférence, je suspendis mon travail et brûlai ce que j’avais déjà mis en partition.

Le bonheur veut que cette traduction en prose française soit si fidèle que j’aie pu adapter plus tard sous ma musique les vers anglais de Moore.

Si jamais cette élégie est connue en Angleterre et en Allemagne, elle y trouvera peut-être quelques rares sympathies ; les cœurs

déchirés s’y reconnaîtront. Un tel morceau est incompréhensible pour la plupart des Français, et absurde et insensé pour des Italiens.

En sortant de la représentation d’Hamlet, épouvanté de ce que j’avais ressenti, je m’étais promis formellement de ne pas m’exposer de nouveau à la flamme shakespearienne.

Le lendemain on afficha Romeo and Juliet...

J’avais mes entrées à l’orchestre de l’Odéon ; eh bien, dans la crainte que de nouveaux ordres donnés au concierge du théâtre ne vinssent m’empêcher de m’y introduire comme à l’ordinaire, aussitôt après avoir vu l’annonce du redoutable drame, je courus au bureau de location acheter une stalle, pour m’assurer ainsi doublement de mon entrée. Il n’en fallait pas tant pour

m’achever. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

Pour ne pas m’y exposer, depuis vingt ans qu’il existe, je n’ai proposé à personne de me le chanter. Une seule fois, Alizard, l’ayant aperçu chez moi, l’essaya sans accompagnement en le transposant (en si) pour sa voix de basse, et me bouleversa tellement, qu’au milieu je l’interrompis en le priant de cesser. Il le comprenait ; je vis qu’il le chanterait tout à fait bien ; cela

me donna l’idée d’instrumenter pour l’orchestre l’accompagnement de piano. Puis réfléchissant que de semblables compositions ne sont pas faites pour le gros public des concerts, et que ce serait une profanation de les exposer à son indifférence, je suspendis mon travail et brûlai ce que j’avais déjà mis en partition.

Le bonheur veut que cette traduction en prose

française soit si fidèle que j’aie pu adapter plus tard sous ma musique les vers anglais de Moore.

Si jamais cette élégie est connue en Angleterre et en Allemagne, elle y trouvera peut-être quelques rares sympathies ; les cœurs déchirés s’y reconnaîtront. Un tel morceau est incompréhensible pour la plupart des Français, et absurde et insensé pour des Italiens.

En sortant de la représentation d’Hamlet, épouvanté de ce que j’avais ressenti, je m’étais promis formellement de ne pas m’exposer de nouveau à la flamme shakespearienne.

Le lendemain on afficha Romeo and Juliet... J’avais mes entrées à l’orchestre de l’Odéon ; eh bien, dans la crainte que de nouveaux ordres donnés au concierge du théâtre ne vinssent

m’empêcher de m’y introduire comme à l’ordinaire, aussitôt après avoir vu l’annonce du redoutable drame, je courus au bureau de location acheter une stalle, pour m’assurer ainsi doublement de mon entrée. Il n’en fallait pas tant pour m’achever.

Après la mélancolie, les navrantes douleurs, l’amour éploré, les ironies cruelles, les noires méditations, les

brisements de cœur, la folie, les larmes, les deuils, les catastrophes, les sinistres hasards d’Hamlet, après les sombres nuages, les vents glacés du Danemarck, m’exposer à l’ardent soleil, aux nuits embaumées de l’Italie, assister au spectacle de cet amour prompt comme la pensée, brûlant comme la lave, impérieux, irrésistible, immense, et pur et beau comme le sourire des anges,

à ces scènes furieuses de vengeance, à ces étreintes éperdues, à ces luttes désespérées de l’amour et de la mort, c’était trop. Aussi, dès le troisième acte, respirant à peine, et souffrant comme si une main de fer m’eût étreint le cœur, je me dis avec une entière conviction : Ah ! je suis perdu. — Il faut ajouter que je ne savais pas alors un seul mot d’anglais, que je

n’entrevoyais Shakespeare qu’à travers les brouillards de la traduction de Letourneur, et que je n’apercevais point, en conséquence, la trame poétique qui enveloppe comme un réseau d’or ses merveilleuses, créations. J’ai le malheur qu’il en soit encore à peu près de même aujourd’hui. Il est bien plus difficile à un Français de sonder les profondeurs du style de Shakespeare,

qu’à un Anglais de sentir les finesses et l’originalité de celui de La Fontaine et de Molière. Nos deux poëtes sont de riches continents, Shakespeare est un monde. Mais le jeu des acteurs, celui de l’actrice surtout, la succession des scènes, la pantomime et l’accent des voix, signifiaient pour moi davantage et m’imprégnaient des idées et des passions shakespeariennes mille fois

plus que les mots de ma pâle et infidèle traduction. Un critique anglais disait l’hiver dernier dans les Illustrated London News, qu’après avoir vu jouer Juliette par miss Smithson, je m’étais écrié : «Cette femme je l’épouserai ! et sur ce drame j’écrirai ma plus vaste symphonie !» Je l’ai fait, mais n’ai rien dit de pareil. Mon biographe m’a attribué une ambition plus

grande que nature. On verra dans la suite de ce récit comment, et dans quelles circonstances exceptionnelles, ce que mon âme bouleversée n’avait pas même admis en rêve, est devenu une réalité. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Joseph E. Stiglitz
Joseph E. Stiglitz

Au cours des trois dernières décennies, les sociétés financières américaines ont plaidé avec force en faveur de la libre circulation du capital. Elles se sont faites les championnes des droits du capital - en lui donnant priorité sur les droits des travailleurs ou même sur les droits politiques. Les "droits" précisent simplement ce que divers acteurs économiques sont autorisés à faire

: ceux qu'ont revendiqués les travailleurs comprennent, par exemple, les droits d'association, de syndicalisation, de négociation collective et de grève. Ces droits, de nombreux États non démocratiques les restreignent terriblement, mais même les États démocratiques les limitent. Les propriétaires du capital, eux aussi, peuvent avoir des droits. Le plus fondamental est de ne pas être

privé de ce qu'ils possèdent. Là encore, même dans une société démocratique, il y a des limites. Dans le cadre du droit de domaine éminent, l'État peut toujours prendre à quelqu'un sa propriété au nom de l'intérêt public, mais cela doit se passer "dans les règles" et s'accompagner d'une indemnisation convenable. Ces dernières années, les propriétaires du capital ont exigé de

nouveaux droits, comme la libre circulation de leurs capitaux à l'entrée ou à la sortie d'un pays. Simultanément, ils ont plaidé contre des lois qui permettaient de leur demander des comptes sur les violations des droits humains dans d'autres pays, comme l'Alien Torts Statute, qui autorise les victimes de ces violations à porter plainte aux États-Unis.
   Sur le plan strictement

économique, les gains d'efficacité de la libre circulation du travail sont, pour la production mondiale, infiniment supérieurs à ceux de la libre circulation du capital. les différences de rendement du capital sont minuscules comparés aux écarts de rendement du travail. Mais ce sont les marchés financiers qui ont été la force motrice de la mondialisation, et, si ceux qui y travaillent

ont toujours à la bouche le notion de "gains d'efficacité", ils ont en fait à l'esprit tout autre chose - un ensemble de règles qui leur profite et accentue leur avantage sur les travailleurs. La menace de la fuite des capitaux, au cas où la main-d'œuvre deviendrait trop exigeante sur ses droits et sa rémunération, maintient les salaires à bas niveau. La concurrence entre pays pour

l'investissement prend de nombreuses formes - pas seulement la baisse des salaires et l'affaiblissement des protections des travailleurs. Il y a une course générale " vers le pire", où chacun tente de faire en sorte que la réglementation des entreprises soit légère et leurs impôts aussi. Dans un domaine, la finance, elle s'est révélée particulièrement coûteuse, et cruciale pour la

montée de l'inégalité. Les pays ont fait la course au système financier le moins réglementé, de peur que les sociétés financières ne les quittent pour d'autres marchés. Certains parlementaires du Congrès se sont inquiétés des conséquences de cette déréglementation, mais ils se sont sentis impuissants : l'Amérique allait perdre des emplois et un secteur d'activité majeur si elle

n' obtempérait pas. Avec le recul, ce fut une erreur. Les pertes infligées au pays par la crise qu'a provoquée l'insuffisance de sa réglementation ont été d'un tout autre ordre de grandeur que le nombre d'emplois du secteur financier qu'on avait sauvés au départ...
   Ironie de la situation : dans les crises que provoque la finance, salariés et PME supportent l'essentiel des

coûts. Ces crises s'accompagnent d'un chômage massif qui fait baisser les salaires, donc les travailleurs sont doublement frappés. Lors des crises antérieures, non seulement le FMI a réclamé d'énormes réductions budgétaires dans les pays en difficulté, transformant ainsi l'affaiblissement de leur économie en récession ou en dépression, mais il a aussi exigé la vente à prix bradé

d'entreprises, et les financiers ont aussitôt afflué pour faire des affaires en or. Dans mon livre la Grande Désillusion, j'ai montré que Goldman Sachs avait été l'un des vainqueurs de la crise asiatique en 1997, comme il le serait de la crise de 2008. Quand nous nous demandons comment font les financiers pour gagner tant d'argent, une partie de la réponse est simple : ils ont participé à

la rédaction d'un ensemble de règles qui leur permettent d'en gagner beaucoup, même pendant les crises qu'ils contribuent à créer... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          30

Tchouang-tseu
Tchouang-tseu

Puisque vous n’êtes pas maître de vous, laissez-vous aller et rien de fâcheux n’arrivera. Qui n’est pas maître de soi et se contraint pâtit doublement et ne vit pas vieux.

Karl Ove Knausgard
Karl Ove Knausgard

Face au divin, l'humain a toujours été petit et insignifiant, et c'est probablement en raison de la valeur immense de ce rapport, comparable uniquement à celui qui existe entre connaissance et perte, que la représentation du divin est apparue et qu'elle avait maintenant disparue. Car qui méditait encore sur l'absurdité de la vie? Les adolescents. Ils étaient les seuls à se préoccuper de

ces questions existentielles et par conséquent elles avaient acquis un côté puéril et immature qui empêchait doublement un adulte simplement décent de se les poser. Mais il n'y avait là rien d'étonnant car le sentiment de vivre n'est jamais aussi intense et exaltant qu'à l'adolescence, quand on pénètre le monde pour la première fois et que chaque émotion est une émotion nouvelle.

Épictète
Épictète

Si tu désires être philosophe, prépare-toi dès lors à être ridiculisé et raillé par la foule qui dira: "Il nous est revenu tout à coup philosophe." Et: "D'où lui vient cet orgueilleux sourcil ?" Pour toi, n'aie pas un sourcil orgueilleux. Attache-toi à ce qui te paraît le meilleur, comme si Dieu t'avait désigné pour ce poste. Souviens-toi que, si tu persévères, ceux mêmes qui

d'abord se moquaient de toi t'admireront plus tard. Mais, si tu te laisses abattre, tu te rendras doublement ridicule.

Josiane Balasko
Josiane Balasko

La ressemblance entre les deux sœurs n’en était que plus troublante. Mais cela ne gênait plus du tout Antoine. Au contraire. Il aimait deux fois, doublement plutôt, la même femme, ou presque. À la manière d’un papier carbone très efficace. Il était vraiment le roi du monde.

Pierre Klossowski
Pierre Klossowski

incipit :
Le nom de Nietzsche semble irrémédiablement associé à la notion de volonté de puissance ; pas même à la notion de volonté, mais à la puissance pure et simple.L'interprétation la plus courante est d'y voir une sorte de commentaire métaphysique du fait accompli, une morale du coup de force ; et bientôt tout y passe : les laboratoires aux inavouables expériences, la

suppression des dégénérés, des aliénés et des vieillards, les fours crématoires, les gangsters autant que les bombardements atomiques, tout et tous peuvent se réclamer du père de l'immoralisme moderne ; le superman standard, qu'il soit capitaine d'industrie, explorateur, grand cardiologue, chimiste, ingénieur, bienfaiteur de l'humanité, passe pour le produit du professeur de l'"énergie

vitale". "Qui dont est Nietzsche ?" demande l'innocent, et le Larousse répond : "Ses aphorismes ont eu une grande influence sur les théoriciens du racisme germanique." En vain, semble-t-il, en vain le 377° aphorisme de la Gaya Scienza clame d'une voix lointaine, si lointaine : "Nous autres sans-patrie, nous sommes, quant à la race et à l'origine, trop nuancés, trop mélangés, en tant

qu'hommes modernes, et par conséquent trop peu tentés de prendre part à cette débauche et à ce mensonge de l'idolâtrie raciale, qui aujourd'hui s'exhibe en Allemagne en tant que signe distinctif des vertus allemandes et qui, chez le peuple du "sens historique", donne doublement l'impression de la fausseté et de l'inconvenance." + Lire la suiteCommenter  J’apprécie   

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Ernesto Sábato
Ernesto Sábato

Après, je me mettais à méditer sur le sens général de l'existence, pensant à nos propres inondations, à nos séismes. Et c'est ainsi que j'ai élaboré une série de théories, car l'idée d'un Dieu tout-puissant, omniscient et bienveillant me semblait tellement contraire à tout, que je ne croyais même pas qu'on pût la prendre au sérieux. [...] j'avais déjà conçu les possibilités

suivantes :
1- Dieu n'est pas.
2- Dieu est et est une canaille.
3- Dieu est, mais dort parfois ; ses cauchemars sont notre existence.
4- Dieu est, mais a des crises de folie ; ces crises sont notre existence.
5- Dieu n'est pas omniscient, il ne peut être partout. Il s'absente parfois. Dans d'autres mondes? pour d'autres choses?
6- Dieu est un pauvre bougre en

face d'un problème trop compliqué dépassant ses forces. Il lutte avec la matière comme un artiste avec son oeuvre.
7- Dieu a été vaincu, bien avant l'Histoire, et par le Prince des Ténèbres. Vaincu, mué en un présumé diable, il a doublement perdu son prestige puisqu'on lui a attribué cet univers de calamités. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie     

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