Catherine Baker
Catherine Baker

J’ai longtemps cru que ce qu’on me demandait dans les travaux scolaires, c’était d’être originale sans jamais être personnelle. Il y avait malentendu; ce qu’on attendait de moi était pire : être personnelle sans jamais être originale.

Yves Beauchemin
Yves Beauchemin

Puis elle s’avisa que la lettre pourrait être utile, la défroissa soigneusement sur son couvre—pied et la relut en se rongeant les ongles. Quand elle eut une bonne demi—douzaine de rognures, elle les rassembla entre le pouce et l’index, défit le pommeau de cuivre d’un montant de son lit et les laissa tomber dedans, l’air grave et solennel. Depuis une cinquantaine d’années, elle

accumulait ainsi ses rognures et avait déjà rempli les deux montants du pied. C’était une des rares et modesres joies de son existence solitaire que de se figurer en esprit de temps à autre la masse qu’elles formeraient si on les rassemblait dans un seau. (chapitre 28)

Farida Belghoul
Farida Belghoul

Vincent Peillon n’a pas peur d’affirmer et de répéter que la laïcité est en effet une religion. Alors moi j’avais cru lorsque j’étais enfant, adolescente, même jeune adulte, que la laïcité, c’était un espace neutre dans lequel les différentes religions, les différents courants de pensée, les différents mouvements philosophiques pouvaient cohabiter quotidiennement en paix. Et

bien pas du tout. Monsieur Peillon, je vous remercie de le dire enfin clairement. Il ne s’agit pas de cela. La laïcité est une religion pour abattre toutes les religions révélées; et en particulier, puisque nous sommes en France, et que la France est un pays chrétien, pour abattre le catholicisme.

Saïd Boualam
Saïd Boualam

Hommes égorgés et mutilés, femmes violées avant d’être assassinées, enfants épinglés aux murs au bout de baïonnettes, tels des papillons, bétail mutilé, égorgé. C’était cela la guerre d’Algérie. Ces tueurs qui s’acharnaient sur tout ce qui représentait la France, sa civilisation et surtout sur les familles musulmanes.

Jean-Marie G. Le Clézio
Jean-Marie G. Le Clézio

C’était cela la vie, c’était cette descente continue vers le néant, ce flot qui coulait le long d’un tuyau noir, cette boule qui dévalait vers l’inconnu, et que n’était que sa propre fuite, sa disparition.

- La Fièvre

Jean Cocteau
Jean Cocteau

Cet amour le ravageait d’autant plus qu’il précédait la connaissance de l’amour. C’était un mal vague, intense, contre lequel il n’existe aucun remède, un désir chaste sans sexe et sans but.

Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles
Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles

L’esprit, tel était le lien du salon de Mme de Lambert. C’est par là que, de l’aveu commun, il se distinguait de tous les autres. Point de grandes nuits comme à Sceaux, point de nuits blanches comme à Vaux-Villars, point de soupers suivis ou précédés de séances de jeu comme chez les financiers où « tout était riche, poli, orné, tout hors l’âme du maître. » La santé de Mme

de Lambert lui interdisait les veilles. […] C’était le temps où la duchesse de Vendôme et la duchesse de Berry s’enivraient chaque soir; où la duchesse du Maine faisait le biribi avec ses gens la nuit entière; où la maréchale de La Ferté rassemblait après souper autour d’une grande table tous ses fournisseurs, pour leur regagner au lansquenet, en trichant, ce qu’ils lui avaient

volé; où la fille du Régent, Mlle de Valois, traversant la France pour aller rejoindre le duc de Modène qu’elle venait d’épouser, se faisait préparer des relais de jeu et trouvait à chaque station des partenaires qui l’attendaient.

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

Une clameur nouvelle, plus forte et plus longue, s’éleva d’entre les deux tutélaires colonnes de granit, pendant que la barque royale abordait à la Piazzetta noire de peuple. Quand le bruit cessait, la foule épaisse avait des remous; et les galeries du Palais des Doges s’emplissaient d’une rumeur confuse, pareille au bourdonnement illusoire qui anime les volutes des conques marines.

Puis, tout à coup, la clameur rejaillissait dans l’air limpide, montait se briser contre la légère forêt marmoréenne, franchissait les têtes des hautes statues, atteignait les pinacles et les croix, se dispersait dans le lointain crépusculaire. Puis, c’était une autre pause pendant laquelle, imperturbable, dominant l’agitation inférieure, continuait l’harmonie multiple des

architectures sacrées et profanes où couraient comme une agile mélodie les modulations ioniques de la Bibliothèque et s’élançait comme un cri mystique la cime de la tour nue. Et cette musique silencieuse des lignes immobiles était si puissante qu’elle créait le fantôme presque visible d’une vie plus belle et plus riche, superposé au spectacle de la multitude inquiète. Celle-ci

sentait la divinité de l’heure; et, lorsqu’elle acclamait cette forme nouvelle de la royauté abordant au rivage antique, cette fraîche Reine blonde qu’illuminait un inextinguible sourire, peut-être exhalait-elle son obscure aspiration à dépasser l’étroitesse de la vie vulgaire et à recueillir les dons de l’éternelle Poésie épars sur les pierres et sur les eaux.

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

À cette heure, édifié par les subtils génies du Feu, un temple nouveau s’élevait là même où, dans le crépuscule, on avait cru voir un neptunien palais d’argent dont l’architecture imitait les torsions des conques marines. C’était, agrandi, un de ces labyrinthes construits sur le fer des landiers, demeures aux cent portes habitées par les présages ambigus; un de ces fragiles

châteaux vermeils aux mille fenêtres, où se montrent un moment les princesses salamandres qui rient voluptueusement au poète charmé. Rose comme une lune naissante rayonnait sur la triple loggia la sphère de la Fortune, supportée par les épaules des Atlantes; et ses reflets engendraient un cycle de satellites. Du quai des Esclavons, de la Giudecca, de San Giorgio, avec un crépitement

continu, des faisceaux de tiges enflammées convergeaient au zénith et s’y épanouissaient en roses, en lis, en palmes, formant un jardin aérien qui se détruisait et se renouvelait sans cesse par des floraisons de plus en plus riches et étranges. C’était une rapide succession de printemps et d’automnes à travers l’empyrée. Une immense pluie scintillante de pétales et de feuillages

tombait des dissolutions célestes et enveloppait toutes choses d’un tremblement d’or. Au loin, vers la lagune, par les déchirures ouvertes dans cet or mobile, on voyait s’avancer une flotte pavoisée : une escadre de galères semblables peut-être à celles qui naviguent dans le rêve du luxurieux dormant son dernier sommeil sur un lit imprégné de parfums mortels. Comme celles-là

peut-être, elles avaient des cordages composés avec les chevelures tordues des esclaves capturées dans les villes conquises, ruisselants encore d’une huile suave; comme celles-là, elles avaient leurs cales chargées de myrrhe, de nard, de benjoin, d’éléomiel, de cinnamome, de tous les aromates, et de santal, de cèdre, de térébinthe, de tous les bois odoriférants accumulés en

plusieurs couches. Les indescriptibles couleurs des flammes dont elles apparaissaient pavoisées évoquaient les parfums et les épices. Bleues, vertes, glauques, safranées, violacées, de nuances indistinctes, ces flammes semblaient jaillir d’un incendie intérieur et se colorer de volatilisations inconnues. Ainsi sans doute flamboyèrent, dans les antiques fureurs du saccage, les profonds

réservoirs d’essences qui servaient à macérer les épouses des princes syriens. Telle maintenant, sur l’eau parsemée des matières en fusion qui gémissaient le long des carènes, la flotte magnifique et perdue s’avançait vers le bassin, lentement, comme si des rêves ivres eussent été ses pilotes et qu’ils l’eussent conduite se consumer en face du Lion stylite, gigantesque

bûcher votif dont l’âme de Venise resterait parfumée et stupéfiée pour l’éternité.

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

Ce qui rendait sa peine plus lourde, c’était de reconnaître une vague analogie entre ce sentiment inquiet et l’anxiété qui s’emparait d’elle au moment où elle entrait dans la fiction scénique pour y incarner quelque sublime créature de l’Art. — En effet, ne l’entraînait-il pas à vivre dans cette même zone de vie supérieure; et, pour la rendre capable d’y figurer sans se

ressouvenir de sa personne quotidienne, ne la couvrait-il pas de splendides déguisements? — Mais, tandis qu’il ne lui était donné, à elle, de se soutenir à un tel degré d’intensité que par un pénible effort, elle voyait l’autre y persister aisément, comme dans sa naturelle manière d’être, et jouir sans fin d’un monde prodigieux qu’il renouvelait par un acte de continuelle

création.