Rhéa Galanaki
Rhéa Galanaki

Des années plus tard, chaque fois que la mélancolie allait précipiter la première peintre grecque sur les récifs escarpés d'un monde troublé, peu d'images produiraient des lignes et des couleurs. Tournant le dos à ses inquiétudes précoces, Eléni ne se demanderait pas alors comment la peinture surgit, mais comment elle se tarit.Sa tentative pour le comprendre la transportait aussitôt

sur la nef des fous. (p.27)

Rhéa Galanaki
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Ces leçons durèrent un bon nombre d'années. Le maître, qui connaissait l'anatomie, enseigna à Eleni la dimension humaine de la statuaire. En fin connaisseur de l'art antique, il apprit à son élève le caractère sacré du nu. Eléni se mit à concevoir le tableau comme un organisme, un réseau de relations et de sentiments dans lequel l'âme humaine se trouvait engagée. (p. 39)

Rhéa Galanaki
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La douleur éprouvée par un sans-abri excède même ce qu'il peut en dire, qu'il ait ou non l'éducation ou un diplôme. Elle est plus profonde, plus sourde, plus sombre que ces mots morts-nés dont nous disposons pour communiquer chaque jour et peut-être aussi que tous les mots dont nous nous servons pour écrire. Ici, nous n'écrivons plus. Nous avons oublié l'écriture. Nous sommes les

représentants d'une culture orale, et peut-être même muette. Nous ne croyons plus aux lettres. Elles n'ont pas su protéger de la chute ceux qui les maîtrisaient.

Rhéa Galanaki
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Elle put le constater une fois adulte et peintre, en voyant certains des portraits de la Dame. Mais elle avait alors compris que la peinture peut rendre un même visage de bien des façons, que ce soit en raison de la liberté propre à l'art ou parce qu'un visage en contient beaucoup d'autres. (p. 17)

Rhéa Galanaki
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Maman, comment les gens pourraient-ils ne pas de révolter - tout comme vous vous êtes révoltés il y a de cela cinquante ans - quand ils sont confrontés au spectacle sans précédent de la ruine du pays. Dis-le-moi en toute sincérité : comment penses-tu que cela soit possible ? Même si le régime actuel n'est pas une dictature militaire, ce que j'ai tendance à penser moi aussi, réfléchis

donc l'espace d'un instant, maman : est-ce pour cette démocratie des nantis et des rares privilégiés, est-ce pour cette toute puissance de l'argent qui détruit tous les peuples d'Europe, qui rogne un à un les droits sociaux acquis au prix de longues luttes, dis-moi maman, est-ce pour cette démocratie que vous avez versé votre sang ? Je ne peux pas le croire.

Rhéa Galanaki
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Des années plus tard, chaque fois que la mélancolie allait précipiter la première peintre grecque sur les récifs escarpés d'un monde troublé, peu d'images produiraient des lignes et des couleurs.
Tournant le dos à ses inquiétudes précoces, Éléni ne se demanderait pas alors comment la peinture surgit, mais comment elle se tarit.

Rhéa Galanaki
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Je me cachais en me révélant, puisque c'est là le seul moyen de se sauver à travers l'art.

Rhéa Galanaki
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A cet instant, j'étais incapable de parler de moi autrement qu'en grec. Mon médecin n'aurait pas compris. Je constatai que chaque évènement entraîne sa langue, de même qu'en arrivant en Égypte j'avais pressenti que chaque paysage requiert la sienne.

Rhéa Galanaki
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Ibrahim ne put s'en approcher, ni même marcher sur elle. Il fut obligé d'accepter la paix, qui donna la Syrie à son père et à lui-même le pachalik d'Adana. Les Grandes Puissances, en effet, avaient décidé que Constantinople demeurerait la capitale d'un empire affaibli.

Rhéa Galanaki
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D'ailleurs, j'étais trop instruite et trop intrépide pour rester enfermée comme une perruche dans la cage de la vie prétendument réservée aux femmes.

Rhéa Galanaki
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Soudain le jeune garçon entendit l'arabe. Il perçut pour la première fois l'idiome de ses maîtres, alors qu'il en était environné depuis des jours. Il mettrait longtemps à comprendre que chaque lieu exige sa langue ; que celle d'un pays nouveau, hermétique au début, peut être rapidement pénétrée grâce aux particularités du paysage ; et qu'en fin la première et la dernière image

d'un lieu parlent avec le même charme, mettant à égalité les langues les plus différentes. Jeune encore, il ne put résister à la séduction mystérieuse des couleurs et des lignes douces.

Rhéa Galanaki
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Il lui plaisait de bâtir le nid de la mémoire avec la paille et les brindilles de civilisations passées. Il disait que ces dernières avaient imprimé le passage du corps de l'homme dans des pierres rongées et le passage de ses idées dans des connaissances dont certaines étaient encore enseignées ou survivaient dans les jeux des enfants dans la rue. C'est là qu'il avait ramassé la paille

et les brindilles, comme autrefois il avait ramassé un poignard dans une grotte. Il parla ensuite à Antonis de cet unique indice de sa première vie. Il lui prêtait diverses significations symboliques, dont il confiait à son frère la pire, à savoir qu'il avait placé sa vie sous le signe des poignards.

Rhéa Galanaki
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Je fixai un petit miroir sur les branches pour me permettre d’ajuster un chapeau d’homme sur ma tête tondue. La vierge peintre s’était absentée, elle était apparemment repartie en Attique, dans cet Orient à laquelle elle appartenait. Je promis de ne pas oublier son visage, pas même les infimes détails qui peuvent échapper aux femmes. Elle devait être en train de courir, d’apporter

à Ceccoli des nouvelles de sa très chère patrie. De lui dire que son élève n’avait pas peur et qu’en se métamorphosant de femme en homme elle entendait ses paroles et ses leçons comme un bourdonnement d’abeilles autour d’elle. Et que je pressentais autant que l’on puisse pressentir en un pareil moment, que, la question de l’art mise à part, la terre promise laisserait en moi

les traces indélébiles de la vie. Je faisais déjà tout mon possible pour penser comme un homme. J’avais déjà commencé à parler en disant je.