Le charme ! c'était ce qui subjuguait d'abord chez Bella.
- Je comprends votre désir de devenir français; ne soyez pas gêné avec moi. Je sais que les autorités françaises tiennent, comme nous, les juifs tunisiens à l'écart de tous les postes administratifs ou de responsabilité. Pour vous, le protectorat n'aura finalement pas changé grand-chose.
- Pour la majorité d'entre nous, presque rien. On aurait aimé que la loi Crémieux nous
accordât la nationalité française d'office, comme aux juifs algériens. Peut-être que, dans l'avenir, la France se montrera plus généreuse. Pour l'instant, nous nous sentons plutôt entre deux chaises.
- Je comprends votre désir de devenir français; ne soyez pas gêné avec moi. Je sais que les autorités françaises tiennent, comme nous, les juifs tunisiens à l'écart de tous les postes administratifs ou de responsabilité. Pour vous, le protectorat n'aura finalement pas changé grand-chose.
- Pour la majorité d'entre nous, presque rien. On aurait aimé que la loi Crémieux nous accordât la nationalité française d'office, comme aux juifs algériens. Peut-être que, dans l'avenir, la France se montrera plus généreuse. Pour l'instant, nous nous sentons plutôt entre deux chaises.
La vie, hélas, était ainsi faite : les jeunes filles arrivaient au mariage drapées d'innocence, quand les futurs époux connaissaient tout de la femme depuis longtemps.
Les effets du séjour algérois du bey, de l’attitude courtoise et même amicale que Napoléon III lui avait réservée ne se firent pas attendre. Léon Roches obtint rapidement de gros avantages pour son pays, qu’il installait petit à petit dans la Régence. Profitant des circonstances, il envisagea de se faire offrir un nouveau bâtiment comme consulat. Il l’imaginait déjà, blanc et
solidement planté en ville franque, avenue de la Marine, face à l’église Saint-Antoine. C’est que, depuis sa visite à Alger-la-Blanche, il supportait mal la vétusté du fondouk des Français, son humidité, son inconfort. [p. 41]
Cette nuit-là, Jeanne se réveilla en sueur, tandis que son cœur affolé battait du tambour contre ses côtes. Dans son rêve, elle se promenait sur les berges de la Seine avec Carl, main dans la main. Il la regardait en souriant, avec ces belles rides d'expression qu'elle aimait tant, son regard si profond derrière ses lunettes rondes cerclées d'or. Et soudain, comme souvent dans les rêves,
ce n'était plus Carl qu'elle avait face à elle, mais un des morts vivants du Lutetia, avec ses yeux vides et hagards qui ne la voyaient pas... Elle se leva pour aller se passer un peu d'eau fraîche sur le visage. Elle savait bien d'où ce rêve venait. La veille, parmi la foule indistincte des ombres qui erraient dans le Lutetia, un homme avait attiré son regard éveillant en elle une étrange
sensation de familiarité. Mais au lieu d'aller vers lui, elle s'était détournée, sans chercher à démêler ce qui s'agitait confusément en elle. Et lorsque, au moment de se coucher, son fils lui avait signalé qu'un homme était assis par terre sur le trottoir d'en face, elle n'avait pas relevé. Mais le vague sentiment d'oppression qui ne l'avait pas quittée de l'après-midi n'avait fait
que s'amplifier. A présent, elle ne pouvait plus se mentir. Elle devait savoir.
D'un pas lent, Jeanne se dirigea vers la fenêtre, l'ouvrit. L'air frais de la nuit vint lui caresser le visage. Elle scruta la pénombre de la place ; il n'avait pas bougé. Ses genoux croisés, dans cette posture qu'elle avait tant aimée auparavant, il attendait. Elle descendit en courant, elle lui tendit la
main.
Carl se leva en vacillant et la suivit. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         30
On me viole, on me fait mal en m’obligeant à passer des minutes loin de toi. Je ne veux plus respirer que toi, par toi. Toi, moi, toi et moi, notre amour, nos silences, notre pudeur, notre force sombrent dans la mort. Je mange goulûment notre vie, je dévore nos restes. Je nous enferme dans ma mémoire, pour des années, des siècles, pour ce qui me reste à vivre sans toi…
On estime généralement que l'affaiblissement collectif dans la délicatesse privée de vie qui marque ces milieux dans leurs phases tardives est la rançon inévitable des civilisations luxueuses et oisives. Cette interprétation, chargée d'une rancoeur révélatrice, veut ignorer qu'aucune culture ne se maintient intemporellement vivante au sein d'un ensemble statique.
« La vie éclatait alors avec la même intensité que son soleil. Après leur mariage les Enriquez avaient fait construire une petite villa à La Marsa. La présence du Bey, dont le palais occupait une grande partie de la station balnéaire, lui donnait un air aristocratique et décadent. Le résident général de France y possédait aussi, avec La Camillia, le plus beau jardin méditerranéen
qui fût et les grandes familles musulmanes y avaient leur demeure.
Les Tunisois déménageaient massivement dès le mois de juin, désertant la fournaise de la capitale pour le charme ventilé des plages. Maya réservait toujours la même « araba », un grand chariot presque médiéval. Dans son coffre orné de poissons pour le protéger du mauvais œil, le déménageur entassait, en un
désordre connu de lui seul, sommiers, matelas, frigidaire, couscoussiers et chaises-longues. Ce jour-là, Marie portait son maillot sous sa robe pour courir plus vite à la plage.
Les cyprès et les eucalyptus du parc de la Résidence ombrageaient la route torride. L’air de la mer étourdissait Marie, la faisait revivre, la lavait. Elle longeait la grille en bois de la plage privée de la
France pour aller rejoindre, à Sainte-Hélène, ses petits amis. Là, année après année, les mêmes se revoyaient autour de L’Arcouest, le cabanon des Bennys où souvent, on consommait une gazouze. On s’allongeait sur le sable blanc, on ne se baignait pas beaucoup –il suffit à un vrai Tunisien de voir la mer pour être heureux. … » p. 42
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-Ces enfants sont dans une telle misère, Mochée. Rappelle-toi comme nous étions nous-mêmes, à nous disputer un poivron et une tomate. Donne-leur tout ton savoir, toute ton intelligence, toute ta générosité. (...) Et pour toi, quelle satisfaction si tu parviens à en sortir quelques-uns de la Hara!
Marcher dans les souks, c'était un peu comme pénétrer dans la caverne d'Ali Baba : à chaque instant, on découvrait de nouveaux trésors, toujours inattendus. Ici, c'étaient des échoppes regorgeant de lourds satins et de brocarts d'Inde. Là, de l'argenterie, des ouvrages de soie, des tapisseries et des « têtes d'or » : ce velours mélangé de fils d'or
On croit à tort que la grossesse rapproche le mari et la femme, mais c'est généralement le contraire qui se produit. Il en faut, du temps, pour s'habituer à l'idée d'être trois...
Aucune religion ne prévoyait de célébrer la venue des filles, ce qu'elle jugeait aussi absurde qu'injuste. Tradition ou pas, elle résolut donc d'agir comme elle le souhaitait. C'était sa première initiative de femme mariée, et elle comptait symboliquement sur cet événement pour s'affirmer aux yeux du tout-Caire non seulement en tant qu'épouse, mais en tant que femme de son temps, fière
de sa féminité. Il fut entendu qu'Elvira et Allegra n'interviendraient en rien dans l'organisation de la soirée, et qu'elle en assumerait seule l'entière responsabilité. L'enjeu était énorme, elle le mesurait... et elle gagnerait !