Jean Dubuffet
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Sans pain, l’homme meurt de faim, mais sans art, il meurt d’ennui.

Jean Dubuffet
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Ces « Théâtres de mémoire » visent à figurer – ou plutôt à évoquer – cette forme cacophonique dans laquelle nos perceptions et nos souvenirs surgissent pêle-mêle dans le théâtre de notre pensée. Il s'y agit donc de regrouper dans un tableau des scènes et événements appartenant à des lieux différents et à des moments différents (et dans des humeurs différentes) comme

cela se passe dans notre mémoire.

Lettre au journaliste turc Ferit Edgü, 3 février 1979, citée dans le catalogue de l'exposition Dubuffet les dernières années (Jeu de Paume, 1991)

Jean Dubuffet
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Le vrai art est toujours là où on ne l'attend pas.Là où personne ne pense à lui, ni ne prononce son nom. L'art déteste être reconnu et salué par son nom,
il se sauve aussitôt.

Jean Dubuffet
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Les esprits épris de clarté sont sans doute mis mal à l'aise par le parti qui est pris dans ces tableaux de figurations peu particularisées, en telle manière qu'on est embarrassé à y reconnaître des objets bien nommables, et qu'on est incertain s'il s'y trouve évoqué un fait ou un autre, les références y apparaissant constamment équivoques, et font défaut les repères que procure

dans les peintures habituelles la mise en place des objets dans l'ordre requis par la perspective.
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Jean Dubuffet
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C’est librement consenti que l’ordre est le plus débilitant. Le libre consenti est la nouvelle arme des nouveaux empires, ingénieuse formule, et plus opérante que n’était le bâton, de l’ultima ratio regum.

C’est en notre temps de liberté de la presse que celle-ci, avec plus d’empressement qu’elle n’en eut jamais, s’est faite si unanimement la servile

auxiliaire des forces de l’ordre.

Jean Dubuffet
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Il faut bien remarquer que ceux mêmes qui nient le bien-fondé de notions telle que la sauvagerie ou la liberté parce que le lieu précis de ces notions ne cesse de se déplacer, ne peut être une fois pour toutes situé (la culture est éprise de repères fixes et se trouve toute désemparée où le jalonnement doit se faire sur des terres mouvantes) ceux-là pourtant ne manquent pas, sitôt

niées ces notions, de s’y référer de manière au moins implicite; car, chimères qu’elles soient, mirages qu’elles soient, qui se reculent à mesure qu’on avance, elles sont peut-être pour l’esprit, justement à cause de cette non-localisation, bien plus permanents repères que les fixes bornes militaires –à la façon par exemple de la droite et de la gauche, qui changent aussi

pareillement aussitôt qu’on se tourne. La droite et la gauche aussi sont des chimères. Considéré que la pensée est constante mobilité c’est peut-être finalement seules les chimères qui sont pour elle utilisable repère, étoile polaire.

Jean Dubuffet
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C'est le propre de la culture de ne pouvoir supporter les papillons qui volent. Elle n'a de cesse qu'elle les ait immobilisés et étiquetés.

Jean Dubuffet
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Les professeurs sont des écoliers prolongés, des écoliers qui, terminé leur temps de collège, sont sortis de l'école par une porte pour y rentrer par l'autre, comme les militaires qui rengagent. Ce sont des écoliers ceux qui, au lieu d'aspirer à une activité d'adulte, c'est-à-dire créative, se sont cramponnés à la position d'écolier, c'est-à-dire passivement réceptrice en figure

d'éponge. L'humeur créatrice est aussi opposée que possible à a position de professeur. Il y a plus de parenté entre la création (dans les plus communs domaines, de commerce, d'artisanat ou de n'importe quel travail manuel ou autre) qu'il n'y en a de la création à l'attitude purement homologatrice du professeur, lequel est pr définition celui qui n'est animé d'aucun goût créatif et

doit donner sa louange indifféremment à tout ce qui, dans les longs développements du passé, a prévalu. Le professeur est le répertorieur, l'homologueur et le confirmeur du prévaloir, où et en quel temps que ce prévaloir ait eu lieu.

Jean Dubuffet
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La pensée culturelle a pour tous les domaines position de spectatrice, non d'actrice; elle ne considère au lieu de forces, que des formes; au lieu de mouvements, que des objets; au lieu de démarches et trajectoires, que des résidences. Éprise de comparer toutes choses et pour cela les mesurer, éprise capitalement de donner des valeurs et classer ces valeurs, elle ne peut opérer que sur des

objets concrets et tangibles, de mesures stables. Le vent ne lui offre pas de prise; elle n'a pas de balances pour peser le vent, elle peut simplement peser le sable qu'il apporte. De l'art la culture n'a guère de connaissance, sinon par le truchement des oeuvres d'art, qui sont bien autre chose, qui portent l'affaire sur un terrain qui n'est plus celui de l'art, justement comme le sable par

rapport au vent. Par quoi elle vient à fausser la création d'art elle-même, laquelle en effet vient à se dénaturer, à contrefaire sa fonction naturelle de vent pour adopter celle d'apporteuse de sable. Les artistes, pour s'aligner sur la culture, ont changé leur activité, de souffleurs de vent, en amonceleurs de sable. D'aucuns affirment qu'abolie la culture il n'y aura plus d'art. C'est

gravement erroné. L'art, il est vrai, n'aura plus de nom; c'est la notion d'art qui sera révolue, et non pas l'art, lequel de n'être plus nommé, reprendra vie saine. Cessera alors la réfraction dont il est l'objet au moment qu'il paraît aux regards de la culture; cessera le mécanisme de dénaturation qui s'en trouve provoqué par le fait qu'il est impossible d'empêcher que la production

d'art s'aligne sur cette réfraction, opère à sa destination, se constitue son pourvoyeur et contrefasse par là dès sa source même sa vraie spontanée impulsion. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          81

Jean Dubuffet
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L'homme de culture est aussi éloigné de l'artiste que l'historien l'est de l'homme d'action.

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Le public a bien du mérite à ne pas mettre en doute la notion de valeur que les officiers de culture s'emploient à lui inculquer dès lors qu'il n'y a guère d'ouvrages dont la valeur échappe à leurs controverses. Mais il est vrai que de temps à autres et après délibération ils font entre eux l'union sacrée pour le bien du corps, en célébrant unanimement à toutes trompettes un artiste

canonisé, afin que l'idée ne vienne pas au public que leur notion de valeur se fonde sur des critères passablement brumeux.

Jean Dubuffet
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Brume du matin sur la campagne - La matière est comme de couches de limon gluant, couleur d'argile ou d'un vert glauque et brumeux peu nommable, que la pluie aurait fait couler, s'interpénétrer et travailler lentement les unes dans les autres. Le ciel, bleu de lapis profond contraste. Les tracés sont gris sale, tout nuancés de reflets rosâtres et bleutés, illuminés d'éclatants blancs

Jean Dubuffet
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Prospectus et tous écrits suivants
À l'homme du commun la timbale



  Il n'y a plus de grands hommes, plus de génies. Nous voici enfin débarrassés de ces mannequins au mauvais œil : c'était une invention des Grecs, comme les Centaures et Hippogriffes. Pas plus de génies que de licornes. Nous en avons eu si peur pendant trois mille ans !

  Ce n'est pas des hommes qui sont grands. C'est l'homme qui est grand. Ce n'est pas d'être homme d'exception qui est merveilleux. C'est d'être un homme.

Jean Dubuffet
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Qui s’évertue à instituer un nouvel ordre pour remplacer celui qui règne fait absurde besogne, le statut d’un chien attaché ne se trouvant pas changé pour ce qu’on change de place son point d’attache, dès lors que reste la même la longueur de la chaîne.

Jean Dubuffet
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Je suis en tout domaine épris de sauvagerie

Jean Dubuffet
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Pour mes portraits j'aime bien donner à mes personnages le plus possible un petit air de fête. Ce qui m'intéresse c'est leur fête propre à chacun bien sûr, leur spécialité personnelle de fête, mais pour dire la vérité, non, je n'ai pas très fort ce sentiment que chacun soit tellement spécialiste. C'est plutôt comme un sentiment que j'aurais plutôt d'un petit air qui court tout

partout de par le monde et pas seulement dans le visage des personnes mais en même temps aussi bien que la même musique dans les arbres, dans les nuages, dans les eaux et dans le vent.... Je crois bien que le portrait le plus sommaire, le plus informe, mais qui joue tant soit peu cette musique, me fera meilleur service que celui le plus appliqué du monde auquel manquerait ce petit air là

Jean Dubuffet
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Le vrai art est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L'art déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt.

Jean Dubuffet
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La notion de culture, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, essentiellement publicitaire, se trouve naturellement portée à affectionner les oeuvres les plus lourdement significatives pour ce qu'elles se prêtent mieux aux mécanismes de la publicité, puis à transporter le principe de valeur des oeuvres à leur valeur publicitaire.

Jean Dubuffet
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La fleur de barbe



Extrait 10

Barbe des longues veillées
Barbe des fautes inexpiées
Barbe des délibérants consternés
Char de barbe des amants
Barbe des attentes vaines
DEs guetteurs des assiégés
Barbe des occasions manquées
Barbe des renoncements
Puant silo de laine
Barbe empoisonnée d'Isaïe

Barbe des barons de Baltique
Et du cavalier de Hongrie
Surgis muraille maléfique
Au menton des démons d'Asie
Entends la jolie musique
Le fracas des cloches de barbe
Sonne et terrifie

Jean Dubuffet
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La fleur de barbe



Extrait 6

Fils insolent débile enfant
Regarde bien ce que je suis
Cesse tes dires imprudents
Je suis le château de barbe
Je suis la citerne aux échos
La nacelle du vaisseau
Pavoisé de barbe
Je suis le mouvant rideau
La robe de nuit du drapeau
Je suis le stratégique oiseau
Aux

ailes de barbe
A genoux jeune étourdi
Épelle le manuscrit
Du grand corps de barbe
Chaque jour s'y sont inscrits
Mes jeûnes mes appétits
Texte menu géographie
Déchiffre l'arbre de vie
Carte de vœux inassouvis
Déployée comme une prairie
Lis dans le livre de ma barbe