André Markowicz
André Markowicz

Les contents

Dans l’extrait d’Apostrophes qui tourne en boucle ces derniers temps sur internet, ce qui me frappe, c’est la toute fin de l’émission. Quand Matzneff est réellement surpris de la violence de l’attaque de Denise Bombardier, mais, en fait, quand il est surpris par deux autres choses. La première, c’est que visiblement à l’inverse de tous les autres

invités, à commencer par Pivot lui-même, elle, elle ne tombe pas sous son charme et elle ne sourit pas quand il parle. Elle ne l’admire pas. Parce que, tous les autres, finalement, ils sourient, d’un sourire gentil : « le gentil farfadet que voilà... » ou « celui-là alors... ». Et puis, il est surpris par l’attaque elle-même : comment se fait-il que la vie, la société, vienne le

juger, lui — pas lui Gabriel Matzneff, non. Lui, l’écrivain. Lui, le grand écrivain. L’esthète. La littérature. « Comment peut-on ne pas m’aimer ? » Evidemment que la littérature justifie tout, dit-il. Et le plus important est la surprise de Matzneff à ce moment-là : que peut-on me vouloir à moi, qui écris aussi bien ? Je dis tout sur moi, je suis sincère, et j’écris bien.

C’est ça, n’est-ce pas, qui justifie l’ensemble, et appelle le sourire de mes convives — il s’agit, réellement, d’une atmosphère de salon, juste avant un dîner. Comment pourrait-il en être autrement ?

Or qui a dit que Matzneff était un écrivain ? Je veux dire, vous avez lu un jour un seul de ses romans, vous avez essayé ? — Ses romans sont publiés, depuis des

décennies, aux éditions de la Table ronde — un éditeur de droite dure. Personne, je crois bien, ne les lit. Mais, ses journaux, ils paraissent tous chez Gallimard, et ce n’est pas aujourd’hui que ça a commencé. C’est-à-dire que, tant qu’à dire les choses, celui qui devrait être poursuivi pour complicité de viol et éloge de la pédophilie, n’est-ce pas, en toute logique, c'est

son éditeur. Mais, bon, pour moi, ici, il ne s’agira pas de morale ou de justice. — Ses journaux, que j’ai feuilletés il y a des années de ça, qu’en dire ? Mais c’est absolument, désespérément nul. Nul, creux, vaniteux, idiot — ça n’existe tout simplement pas. Ça existe, je dirais, parce que c’est tellement ridicule qu’on se sent souillé quand on le lit, — quand on en

est témoin. — Ce sentiment du ridicule senti et qui vous transperce, Dostoïevski en parle. Mais voilà, on dit que, la langue de Matnzeff, « c’est une belle langue ». —Pardon pour l’image. Disons, « C’est bien écrit... »

Un bavardage content, qui existe et qui, aussi bien, pourrait ne pas exister. Où chaque page, chaque journée, effacent la précédente, sans jamais

rien changer. — Avec une constante : le « je » qui parle est content. Content d’être adoré par des jeunes adolescentes, mais pas seulement — par ses collègues écrivains, auxquels, comme le genre l’y invite, il décoche des petites piques, nous dirons de « petites vacheries entre copains », parce que, et oui, l’essentiel est bien là, tout se passe entre copains. Et nous faisons

du style. Et c’est si beau, le style.

C’est ce sourire content qui m’a toujours frappé. Et c’est un sourire que je perçois, sous différentes formes, parfois moins fort, parfois plus fort, chez toute une série d’autres écrivains français. Parce que le sourire peut changer, mais pas le contentement.

Je m’étais déjà interrogé, à propos de d’Ormesson et

des écrivains cités comme modèles de l’esprit français par notre président. Et, bizarrement, je me dis que c’est réellement une caractéristique de ce qu’on appelle l’esprit français, ce contentement à se regarder si beau dans le miroir et faire des phrases dessus. J’ai beau chercher, je ne trouve pas ça dans la littérature russe — non, vraiment. Et Dieu sait Tolstoï a

écrit des journaux... Le seul, peut-être, c’est Edouard Limonov, qui est un vrai fasciste. Mais Limonov, comme écrivain, ce n’est juste rien du tout.

Mais regardez, je ne sais pas, Léautaud — il est, vraiment, considéré comme un écrivain. Il écrit, il écrit, il écrit. Moi je et mes chats. Mais il écrit, et il fait des volumes, et il est un « grand écrivain ». Et lui

aussi, il fait du style. Ou, d’une autre façon, Jouhandeau. Cette espèce de saloperie absolue — là encore, d’ailleurs, publiée chez Gallimard. Matzneff, aujourd’hui, il est très malheureux, nous savons bien, il va même perdre les subsides que le CNL lui donnait tous les ans, parce qu’il est un vieillard nécessiteux (!...) — du fait que personne, dit-il lui-même, n’achète ses

livres. Mais Jouhandeau, lui, il prospère : et Guéret est très très fière de son auteur, et organise, si je ne me trompe pas, un festival de littérature où sont présents beaucoup de mes amis, ou de gens qui sont publiés par les mêmes éditeurs que moi, et, visiblement, ça ne dérange personne que, non seulement ce type soit un antisémite acharné (dans ses livres comme dans ses

lettres), mais qu’il passe son temps à faire des phrases sur sa vie, sur des centaines et des centaines de pages, toujours pareil, à ragoter, à se complaire, à s’admirer, finalement, même en se détestant — mais il ne se déteste guère. Et là encore, comme la crapule qu’il a toujours été, à être content. Absolument certain, comme aujourd’hui Matzneff, que Dieu reconnaîtra les

siens, puisque la littérature est le sommet de la création, et qu’il est lui, un créateur de ce sommet.

Et combien d’autres écrivains, hommes et femmes, chez nous, font ça, une carrière à écrire sur ça — le potin et la joie d’être soi, ou la joie d’être si laid et d’être soi (c’est absolument la même chose), la joie d’avoir pour amis des amis qui vous ont

pour ami et qui sont contents d’être contents et de vous voir content. Oui, l’éternel ragot.

Et, il faut bien le dire, souvent, c’est ça, ce qu’on appelle « notre littérature » et que j’aurais tendance à appeler « notre honte » ...

Source : https://www.facebook.com/andre.markowicz/posts/2599408370271459 + Lire la suiteCommenter

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André Markowicz
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La nuit


Extrait 2

Il est minuit passé, et j’entends sur la ville dormante,
    Sourde et muette, frémir une rumeur ou un glas. –
O vieillard aveugle et voyant qui te dresses dans l’ombre,
    Lare divin, je le sens, tu me présages le deuil. –
Non ! mon cœur ne bat plus comme il eut

coutume de battre ;
    Morts, les larmes, l’ivresse et le bonheur de languir ;
Quand je regarde le ciel, je m’y sens étranger – que de choses
    Cette vie glaciale, oh, m’a déjà enlevées ! –
Tant de choses aimées qui, jadis, dans mon sein frissonnèrent...
    Et mon matin est

passé, puis le milieu de mes jours ;
Le soleil est moins chaud, et le soir déjà qui s’annonce
    Ouvre précocement l’éternité de la nuit.

                                            1818


//Wilhelm Karlovitch Küchelbecker (1797 – 1846)
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André Markowicz
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La lune


Lune, toi qui blanchis le fer
Des froids barreaux de ma cellule,
Astre de neige, calme et clair
Qui, loin, là-haut, sans flamme brûles,

Je te salue de ma douleur,
Reine nocturne, œuvre divine –
La paix me vient de ta blancheur,
C’est l’âme que tu m’illumines.

Comment ! serais-je seul ici,

Comptant sans fin les pas des gardes ?
J’ai des amis qui, eux aussi,
Veillent et songent, te regardent.

Peut-être, ils penseront à moi
En s’endormant, prieront peut-être ;
Volant vers leur séjour de joie,
Mon ombre, se sentant renaître,

Les bénira... Et quand, soudain,
L’aube luira sur les nuages,
L’étoile du premier

matin
Aura dissipé mon image.

1828-1829


//Wilhelm Karlovitch Küchelbecker (1797 – 1846)

André Markowicz
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Facebook permet des rencontres qui font que je ne me sens plus seul devant la page blanche. Dans Partages, je réfléchis à des questions telles que “qu’est-ce que parler une langue ?” ou “qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris mes poèmes ou mes traductions ?”
(...)
Il y a beaucoup de façon de “partager” un texte. L’oralité, la rencontre directe

avec le lecteur, c’est-à-dire la transformation du lecteur en auditeur, c’est aussi de la traduction. Les versions “non traduites” que je donne sur Facebook sous la forme de mot à mot commentés permettent au lecteur d’entrer dans le texte, même (et surtout) s’il ne connaît pas la langue originale, puis d’élaborer lui-même sa propre traduction. Elles sont pour moi une manière

de faire du partageable avec de l’intraduisible.

André Markowicz
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Je me rappelle — instant de grâce …


Je me rappelle — instant de grâce :
Quand tu parus à mes côtés,
Je fus saisis, — vision fugace
Du pur génie de la beauté.

Dans la langueur désespérante,
Dans le fracas des vanités,
Longtemps vibra ta voix pressante,
Longtemps, tes traits m’ont habité.

Les ans

passèrent. Dans l’orage
Mes rêves furent emportés,
Et j’ai perdu ta douce image,
Ta voix pressante m’a quitté.

Claustrés au fond d’un lourd silence,
Paisiblement passaient mes jours,
Sans poésie, sans transcendance,
Sans vie, sans larmes, sans amour.

Mais l’âme a retrouvé la grâce,
Tu reparais à mes côtés,

Divinité, vision fugace
Du pur génie de la beauté.

Et, de nouveau, la renaissance,
Et la lumière est de retour —
La poésie, la transcendance,
La vie, les larmes et l’amour.

//Alexandre Pouchkine

André Markowicz
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Ce que m’offrait la poésie chinoise, c’était précisément cette prodigieuse chance d’aller à la découverte, comme un archéologue reconstitue un monde à partir des indices qui lui sont donnés.

André Markowicz
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              La mort du poète (*)
Extrait 1

                    Vengeance, souverain,

                             vengeance !
         Que ma supplique monte jusqu’à

                                     toi :
                 Soutiens

le droit et punis
                              l’assassin,
         Fais que son châtiment de siècle

                               en siècle
             Proclame ta justice à l’avenir

          Et fasse la frayeur des criminels.

Le poète est tombé ! – prisonnier de l’honneur,
     Tué par des ragots infâmes ;
Le plomb au cœur, la soif de vengeance dans l’âme,
     Il a baissé son front vainqueur.

    L’indignation fut trop profonde.
     Devant les lâches, les retors, ‒
  Il s’est dressé contre les lois du monde.
  Seul comme à chaque fois... et il est mort !
    Mort !... à quoi bon les larmes vaines,
Des louangeurs tardifs le cœur

inopportun
    Le babil des excuses, de la gêne ?
    L’heure a sonné de son destin !
    N’avez-vous pas dès l’origine
    Persécuté son libre don,
    Soufflant sur des flammes mutines,
    Pour vous

distraire, sans raison ?
    Réjouissez-vous... l’offense ultime
    L’aura jeté dans le tombeau :
    C’en est fini du cœur sublime,
    De l’âme fière, du flambeau.
    Le meurtrier reste impavide,
    Il

vise et tire... affreux combat :
    Son souffle est froid, son cœur est vide,
    Son pistolet ne tremble pas.
    Pareil à des centaines d’autres,
    Chassé chez nous de son pays,
    Quêtant la chance et les profits,

    Il méprisait ce qui est nôtre,
    Et notre langue, et nos chemins ;
    Que savait-il de notre gloire ?
    Inscrit au sang dans nos mémoires,
    A-t-il compris pour notre histoire
    Sur quoi il a levé la main

?

  La mort l’a pris, la terre va le prendre,
  Comme l’autre poète obscur et tendre,
    Proie d’une aveugle jalousie –
Lui que si puissamment il avait fait entendre –
Abattu comme lui par un coup sans merci (**).

                        Janvier-février 1837


(*) Il s’agit de Pouchkine.
(**) Allusion au sort de Vladimir Lenski, dans Eugène Onéguine


//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814 – 1841)

Traduit du russe par André Markowicz, + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          50

André Markowicz
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Mes poèmes « non traduits » (pour reprendre l’expression d’Armand Robin) sont construits sur le besoin de faire advenir, en français, des ombres rayonnantes, des présences — ce que j’appelle des « figures ». Le personnage (réel ou inventé) brasille à la limite de l’apparition, comme s’il était juste sous la surface de l’eau, se forme et se dissout, se recompose dans le

passage d’une langue à l’autre, du monde sans parole que chacun porte en soi au monde matériel des mots offerts à lire. À chaque fois, d’une manière ou d’une autre, il s’agit de tracer les contours de cette ombre, de se les approprier pour les éloigner de soi et les rendre sensibles, — partageables.
C’est de la même façon que j’ai voulu tracer les contours de ces

Ombres de Chine, au début pour moi-même, puis, au fur et à mesure qu’une sorte de continent se découvrait à moi, pour partager cette découverte et la prolonger.

André Markowicz
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NOUS


Pauvres de nous ! Notre esprit ? — Une torche éclairant
dans la brume
Notre canot ballotté sur l’océan des douleurs ;
Notre bonheur ? — L’ignorance, le rêve, l’informe démence :
Une bougie pour l’enfant, pour le jeune homme l’amour.


//Anton Delvig

André Markowicz
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Monologue


Non, crois-moi, n’être rien est un bien en ce monde :
À quoi bon le savoir, le désir de la gloire,
Le talent ou l’ardent amour de vivre libre
Si nous ne pouvons pas en faire usage ?
Enfants du Nord, Comme le font nos plantes,
À peine en fleur, nous nous sentons faner...
Soleil d’hiver dans un ciel de grisaille,
C’est

notre morne vie.
Un cours si monotone si fugace...
Et l’on se sent comme étouffer chez nous,
Le cœur est triste, l’âme se morfond...
Sans vivre ni amour ni amitié
En vain orages meurt notre jeunesse,
La haine l’obscurité dès le début,
Et la coupe est amère qu’on nous laisse
Et l’âme est sombres dès qu’elle y a bu.

                               1829.


//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (15/10/1814 – 27/07/1841). Traduit du russe par André Markowicz

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J’ai longtemps regardé les arbres verts


J’ai longtemps regardé les arbres verts.
Le repos emplissait mon âme.
C’est toujours comme avant, pas de grandes pensées globales.
Toujours les mêmes fragments, bribes, par petits bouts.
Soit un désir terrestre qui s’allume.
Soit la main se tend vers un livre intéressant.
Soit

brusquement, je prends une feuille de papier,
Mais là, le doux sommeil me cogne dans la tête.
Je m’installe à la fenêtre dans un fauteuil profond.
Je regarde la pendule, je m’allume une pipe,
Mais, tout de suite, je bondis et me dirige vers la table,
Je m’assieds sur une chaise dure et roule une cigarre ;
Je vois une petite araignée qui court sur

le mur,
Je la suis, elle m’aimante.
Elle m’empêche de prendre la plume.
La tuer, l’araignée !
La flemme de me lever.
Maintenant je regarde à l’intérieur de moi,
Mais c’est vide dans moi, c’est monotone et morne,
Nulle part ne bat la vie intensive,
Tout est fade et somnolent, comme de la paille humide.
Bon, je suis passé

à l’intérieur de moi
Et me revoilà devant vous.
Vous attendez que je vous parle de mon voyage,
Mais je me tais parce que je n’ai rien vu.
Laissez-moi me reposer, regarder – les arbres verts.
Alors peut-être, le repos emplira mon âme.
Alors, peut-être, mon âme s’éveillera,
Et je me réveillerai aussi, et dans moi,
La vie

intensive pourra se mettre à battre.
                              (2 août 1937)

Daniil Charms, traduction d’André Markowicz (chronique du 27 Août 2014)
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André Markowicz
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Poème d'Alexandre Pouchkine de 1823 que vous pouvez écouter, dit par André Markowicz en français et en russe, sur france-culture émission "Du jour au lendemain" du 21 octobre 2011
Tel l'enfant animé d'un espoir enchanteur,
Si je croyais que l'âme, après mille douleurs,
Emportait, échappant à la chair qui empeste,
La mémoire et l'amour vers l'abîme céleste,

J'aurais depuis longtemps quitté ce monde-ci,
J'aurais brisé la vie, idole sans merci,
Volant vers un pays de liberté, de fête,
Vers un pays sans mort, sans forme toute faite,
Où la pure pensée luit dans l'azur bleuté...
Mais je m'abuse en vain de ce rêve exalté,
Ma raison me poursuit, méprise toute ivresse :
A la mort, le néant est la seule

promesse.
Quoi, rien ? ni la pensée, ni le premier amour ?
J'ai peur ! Et je retourne, avide, vers le jour,
Et je veux vivre, et vivre, et qu'une image chère
Se cache, vibre et brûle en mon âme éphémère.

Note de bas de page 170 : Inédit du vivant de Pouchkine. Ce poème, l'un des plus forts sans doute jamais écrit en russe, peut être lu comme une

reprise du sonnet 66 de Shakespeare : "Tired with all these, for restfull death I cry... " Il semble que ce soit après des textes comme celui-ci ou le précédent que Pouchkine ait commencé Eugène Onéguine + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          40

André Markowicz
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              La mort du poète (*)



Extrait 4

Mais vous, les héritiers, vous, arrogante foule
    Que l’infamie des pères couvre d’or,
    Vous dont les pieds d’esclaves foulent
Les débris des lignées

accablées par le sort ;
Pressés autour du trône, assassinant, féroces,
    La Liberté, la Gloire, le Génie ‒
    Vous dont les lois protègent les négoces,
Le juge devant vous frissonne et se renie ;
Pourtant, un autre juge existe, il est terrible ‒
    C’est le Dieu de

Justice, il vous attend :
A l’or et aux honneurs Il demeure insensible,
Il lit au fond des cœurs, Il a le temps.
Devant Lui, plus de fard, Il vous voit, Il vous sonde,
    Mentez encor, vous subirez Sa loi :
Vous ne laverez pas de votre sang immonde
    Le sang du poète au cœur droit.

                    Janvier-février 1837


(*) Il s’agit de Pouchkine.

//Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814 – 1841)
/ Traduit du russe par André Markowicz, + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         

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André Markowicz
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Frère, au revoir ! moi aussi, je suis prêt de goûter à mon terme : c'est pour la mort que je vis, c'est pour la vie que je meurs.
Nikolaï Gnéditch

André Markowicz
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 Le roman n’existe que pour cela, ­finalement, que pour semer le trouble, ­égarer, emporter, faire ­tournoyer, tournoyer, tournoyer,­attraper des éclairs, et, à la fin, après plus de mille pages de cyclone, par ­une ­espèce de bouffonnerie indifférente, pas même grinçante, non, grotesque, ­abandonner le lecteur, essoufflé, avec rien. ­Possédé
(Préface des Démons

de Dostoïevski)

André Markowicz
André Markowicz

Si Pouchkine n’avait écrit, de toute sa vie, que ce qu’il a écrit au cours de ces trois mois d’isolement fiévreux, il serait déjà l’écrivain le plus important de son siècle en Russie
dit André Markowicz !

André Markowicz
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Le souvenir



Lorsque pour le mortel le jour bruyant se tait
Et la cité lassée se plonge
Dans la semi-clarté nocturne et dans la paix
Et trouve le bonheur du songe, –
A ces moments, pour moi, les heures d'insomnie
Se traînent dans un long silence :
Le serpent du remords triomphe et s'ingénie
A torturer ma conscience ;

Les rêvent bouent ; l'esprit succombe sous leur poids,
Ils se bousculent, ils l'accablent ;
Le souvenir muet déroule devant moi
Son parchemin interminable ;
Et, relisant ma vie, je tremble de dégoût,
Je me maudis et je m'indigne,
J'implore amèrement, je crois me rendre fou,
Mais je relis la moindre ligne.

//Alexandre Pouchkine

André Markowicz
André Markowicz

Tout mais ne pas devenir fou…


Extrait 2

J’écouterais hurler la mer,
Je fixerais les cieux déserts
Et je m’enivrerais ;
Je serais libre, fier et fort
Comme le vent qui frappe à mort
Récoltes et forêts.

Mais non ! dès que tu deviens fou,
Ils viennent te jeter au trou -
Tu fais trop peur,

et, tiens !
Vis à la chaîne, pauvre idiot,
Et eux, derrière tes barreaux,
Te narguent comme un chien.

Et, la nuit, j’entendrai au vol
Non pas le chant du rossignol
Non pas le vent hurlant,
Mais les cris de mes compagnons,
Les clés, les chaînes, les jurons
Des gardes somnolents.
1833


//Alexandre

Pouchkine

André Markowicz
André Markowicz

L’AVEU
à Alexandra Ivanovna Ossipova


Extrait 1

Je vous aime, et pourtant je peste,
Pourtant, je sais que je suis fou -
Mais quoi ? ma tocade funeste,
C’est à vos pieds que je l’avoue.
Je n’ai ni l’âge ni la tête...
J’ai d’autres soucis plus pressants,
Mais il faut bien que je l’admette,
Le

mal d’amour est dans mon sang.
Vous êtes loin, - je geins, je bâille ;
Vous êtes près, - je me morfonds ;
Mais je le dis, vaille que vaille :
Ah, je vous aime, nom de nom !
Dès que résonnent dans la salle
Votre froufrou, vos pas légers,
Votre voix pure, virginale,
Muet, je n’ose plus bouger.
Vous souriez ?

- béatitude !
Vous m’oubliez ? - je vois ma mort ;
Pour un long jour de solitude,
Vos doigts fins sont mon réconfort.
Quand je vous vois à votre ouvrage,
Tout absorbée, gentille, sage,
Les yeux pudiquement baissés,
C’est le bonheur qui me ravage
Et je n’en ai jamais assez !…
1826


//Alexandre

Pouchkine

André Markowicz
André Markowicz

La traduction d’Eugène Onéguine, c’est, oui, de loin, de loin, de loin, la chose la plus importante que j’aie faite de ma vie – et je ne dis pas que l’intégrale de Dostoïevski, ce n’est rien du tout… Et je ne peux pas expliquer pourquoi, parce que, soit on comprend, soit on ne comprend pas. Je le dis souvent : une fois qu’on est entré dans Onéguine, qu’on a, non pas «

compris » (il n’y a rien à comprendre, pas de sens caché, rien – tout est à la surface), mais « senti », alors, vraiment, votre vie change, et vous vivez dans ce sourire, ce sourire d’une tristesse infinie, mais dont émane une lumière étonnante : quelque chose d’intime (je veux dire que ça parle à chacun de nous différemment, selon sa vie, son enfance, ses propres souvenirs) et

de totalement universel. Et, je le redis, léger. Et je repense, une fois encore, à cette phrase d’Alexandre Blok, en 1921, avant de se laisser mourir : « Notre mémoire conserve depuis l’enfance un nom joyeux : Pouchkine. Ce nom, ce son emplit de nombreux jours de notre vie. Les sombres noms des empereurs, des chefs de guerre, des inventeurs d’armes de destruction, des bourreaux et des

martyrs de la vie. Et, à côté d’eux, ce nom léger : Pouchkine. »
Cette légèreté-là, c’est ce qui fait que j’aime si fort la langue russe, et la Russie (et que je suis tellement blessé par son histoire). + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20