Cornelius Castoriadis
Cornelius Castoriadis

Quelles sont ces activités et aptitudes nécessaires pour survivre et monter dans l’Appareil? Il faut savoir mentir astucieusement et efficacement. Pouvoir flairer ceux qui montent et ceux qui descendent, s’attacher aux premiers, s’éloigner des seconds. Flatter les supérieurs, se montrer, selon les cas, protecteur, dédaigneux ou méprisant envers les inférieurs. Bien choisir la clique

à laquelle on va s’agglomérer, y repérer exactement les forts et les faibles. Être prêt à en changer rapidement si le vent tourne, négocier son adhésion aux nouveaux puissants en trahissant, dénonçant, noircissant ses protecteurs et alliés d’hier. Former, quand les temps sont mûrs, sa propre sous-clique; avoir assez de conscience de soi pour pouvoir repérer chez ses propres

protégés les manœuvres qu’on pratique constamment soi-même au sein de sa sur-clique, pour les bloquer ou les écraser dans l’œuf.

Julia Kristeva
Julia Kristeva

[...] Et Colette de repérer chez Landru* une variante de cette "banalité du mal" qu'Arendt devait décrypter plus tard chez le nazi Eichmann, tout aussi méticuleux, obsessionnel et dissocié de sa cruauté par son obéissance de fonctionnaire zélé.

(* Colette, "Landru", in Prisons et Paradis, Pléiade III, pp. 746 - 749.)

Chapitre VI
Le corps métaphorique :

plantes, bêtes et monstres, p. 318

Julia Kristeva
Julia Kristeva

Face aux kamikazes du 13 novembre, il nous est nécessaire de nous interroger sur la façon dont « la pulsion de mort » remplace le besoin de croire, conduisant certains jeunes à une « déliaison » puis à une radicalisation.

La guerre est en France, mais contre qui les Français sont-ils en guerre ? Face aux prétentions totalitaires du djihadisme sanguinaire, un nous est en

train de rassembler les « enfants de la Patrie » autour de La Marseillaise. Un nous debout contre une nouvelle version du nihilisme dont la brutalité et l’ampleur sont sans précédent en France. Le « mal radical » et la « pulsion de mort », portés par les prouesses techniques de l’hyperconnexion, défient les Lumières qui les avaient sous-estimés en s’efforçant, depuis plus de

deux siècles, de rompre le fil avec la tradition religieuse pour fonder les valeurs d’une morale universelle.

Qu’est-ce que ce « mal radical » ? Emmanuel Kant avait employé l’expression pour nommer le désastre de certains humains qui considèrent d’autres humains superflus, et les exterminent froidement. Hannah Arendt avait dénoncé ce mal absolu dans la Shoah.

Pourquoi « la pulsion de mort » remplace-t-elle le besoin pré-religieux, anthropologique de croire chez les adolescents qu’on dit « fragiles » ? Aujourd’hui, les adolescents de nos quartiers, issus pour moitié de familles musulmanes et pour moitié de familles chrétiennes, juives ou sans religion, s’avèrent être le maillon faible où se délite, en abîme du pacte social, le lien

hominien lui-même.

Face au choc des tueries à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher et, plus fortement encore, face aux kamikazes du 13 novembre, il est possible d’analyser des causes géopolitiques et théologiques : la responsabilité du post-colonialisme ; les failles de l’intégration et de la scolarisation ; la faiblesse de « nos valeurs », qui gèrent la globalisation à

coups de pétrodollars appuyés sur des frappes chirurgicales ; le rétrécissement du politique en serviteur de l’économie par une juridiction plus ou moins soft ou hard ; les discours appelant à la « guerre sainte » mais aussi prétendument « quiétistes » qui se contentent, paraît-il, de dresser humblement la listes de nos « impuretés » et, ce faisant, désignent implicitement tout

« infidèle » ou « mécréant » à la vindicte des « purs »… Mais une nouvelle urgence s’impose : la séduction que les religions exercent sur les personnes et les communautés humaines, ainsi que leur rôle de consolateur, éducateur, régulateur et manipulateur des angoisses et des destructivités, attendent d’être élucidés.

Besoin de croire et désir de savoir

Plus précise que la philosophie, et en prise clinique immédiate avec l’expérience singulière, c’est la psychanalyse freudienne qui, depuis seulement cent cinquante ans, aborde l’héritage religieux avec cette ambition. Difficilement, à travers avancées et errances, adulée ou honnie, la psychanalyse a su reprendre l’investigation du « besoin de croire » et du « désir de savoir

», pour sonder les nouvelles maladies de l’âme et les nouveaux messagers du nihilisme.

il ne suffit pas de repérer comment procèdent les djihadistes pour recruter leurs exécuteurs. Il importe d’accompagner les candidats au djihad en voie de radicalisation,

J’entends l’effroi de cette passante qui dépose des fleurs au Bataclan et interroge le micro tendu : «

Comment peut-on être djihadiste ? Quels sont leurs états d’âme ? Peut-on faire quelque chose ? » Ces dimensions de l’état de guerre ne sont pas secondaires. Elles participent de son volet préventif : en amont des mesures punitives, sécuritaires ou militaires, il ne suffit pas de repérer comment procèdent les djihadistes pour recruter leurs exécuteurs. Il importe d’accompagner les

candidats au djihad en voie de radicalisation, avant qu’ils ne rejoignent les camps de Daech pour revenir en kamikazes ou, éventuellement, en repentis plus ou moins sincères.

Il ne suffit pas de
repérer comment
procèdent les
djihadistes pour
recruter leurs
exécuteurs.
Il importe
d’accompagner les
candidats au djihad
en voie

de
radicalisation
Deux expériences psychiques confrontent le clinicien à cette composante anthropologique universelle qu’est le besoin de croire pré-religieux. La première renvoie à ce que Freud, répondant à la sollicitation de Romain Rolland, décrit non sans réticences, dans Malaise dans la civilisation, comme le « sentiment océanique » avec le contenant maternel. La

seconde concerne l’ « investissement » ou l’ « i dentification primaire » avec le « père de la préhistoire individuelle » : amorce de l’Idéal du moi, ce « père aimant », antérieur au père œdipien qui sépare et qui juge, aurait les « qualités des deux parents », écrit-il dans Le Moi et le Ça. Le besoin de croire satisfait et offrant les conditions optimales pour le

développement du langage apparaît comme le fondement sur lequel pourra se développer une autre capacité, corrosive et libératrice : le désir de savoir.

La curiosité insatiable de l’enfant-roi, qui sommeille dans « l’infantile » de chacun de nous (toujours selon Freud dans ses Trois Essais sur la théorie de la sexualité) fait de lui un « chercheur en laboratoire » qui,

avec tous ses sens éveillés, veut découvrir « d’où viennent les enfants ». En revanche, l’éveil de la puberté chez l’adolescent implique une réorganisation psychique sous-tendue par la quête d’un idéal : dépasser les parents, la société, le monde, se dépasser, s’unir à une altérité idéale, ouvrir le temps dans l’instant, l’éternité maintenant.

L’adolescent est un « croyant » qui surplombe le « chercheur en laboratoire » et parfois l’empêche d’être. Il croit dur comme fer que la satisfaction absolue des désirs existe, que l’objet d’amour idéal est à sa portée ; le paradis est une création d’adolescents amoureux : Adam et Ève, Dante et Béatrice, Roméo et Juliette… Croire, au sens de la foi, implique une passion

pour la relation d’objet : la foi veut tout, elle est potentiellement intégriste, comme l’est l’adolescent. Nous sommes tous des adolescents quand nous sommes des passionnés de l’absolu, ou de fervents amoureux. Freud ne s’est pas occupé suffisamment des adolescents parce qu’il était lui-même le plus incroyant, le plus irréligieux des humains qui n’aient jamais existé.


Cependant, cette croyance que le monde idéal existe est continûment menacée, voire mise en échec, car nos pulsions et désirs sont ambivalents, sado-masochiques, et la réalité impose frustrations et contraintes. L’adolescent, qui croit à la relation d’objet idéale, en éprouve cruellement l’impossibilité. Alors, l’échec de la passion en quête d’objet s’inverse en

punition et autopunition, avec le cortège de souffrances que connaît l’adolescence passionnée (dépression, suicide, petite délinquance, toxicomanie, anorexie…).

Structurée par l’idéalisation, l’adolescence est une maladie de l’idéalité : soit l’idéalité lui manque ; soit celle dont elle dispose ne s’adapte pas à la pulsion pubertaire et à son besoin de

partage avec un objet absolument satisfaisant. Nécessairement exigeante et hantée par l’impossible, la croyance adolescente côtoie inexorablement le nihilisme adolescent : le génie de Dostoïevski fut le premier à sonder ces nihilistes possédés. Puisque le paradis existe (pour l’inconscient), mais « il » ou « elle » me déçoit (dans la réalité), je ne peux que « leur » en

vouloir et me venger : la délinquance s’ensuit. Ou bien : puisque ça existe (dans l’inconscient), mais « il » ou « elle » me déçoivent ou me manquent, je ne peux que m’en vouloir et me venger sur moi-même contre eux : les mutilations et les attitudes autodestructrices s’ensuivent.

Endémique et sous-jacente à toute adolescence, la maladie d’idéalité risque

d’aboutir à une désorganisation psychique profonde, si le contexte traumatique, personnel ou socio-historique s’y prête. L’avidité de satisfaction absolue se résout en destruction de tout ce qui n’est pas cette satisfaction, abolissant la frontière entre moi et l’autre, le dedans et le dehors, entre bien et mal. Aucun lien à aucun « objet » ne subsiste pour ces « sujets » qui

n’en sont pas, en proie à ce qu’André Green appelle la déliaison, avec ses deux versants : la désubjectivation et la désobjectalisation. Où seule triomphe la pulsion de mort, la malignité du mal.

Plus de rites d’initiation
Déni ou ignorance, notre civilisation sécularisée n’a plus de rites d’initiation pour les adolescents. Epreuves ou joutes, jeûnes et

mortifications mis en récits et dotés de valeurs symboliques, ces pratiques culturelles et cultuelles, connues depuis la préhistoire et qui demeurent dans les religions constituées, authentifiaient le syndrome d’idéalité des adolescents et aménageaient des passerelles avec la réalité communautaire.

La littérature, en particulier le roman dès qu’il apparaît à la

Renaissance, savait narrer les aventures initiatiques de héros adolescents : le roman européen est un roman adolescent. Aux XIXe et XXe siècles, l’enthousiasme idéologique révolutionnaire, qui « du passé faisait table rase », avait pris le relais de la foi : la « Révolution » a résorbé le besoin de se transcender, et le temps idéal de la promesse s’est ouvert, avec l’espoir que

l’« homme nouveau », femme comprise, saurait jouir enfin d’une satisfaction totale. Avant que le totalitarisme ne mette fin à cette utopie mécanique, à ce messianisme laïc, qui avait expulsé la pulsion de mort dans l’« ennemi de classe », et réprimé la liberté de croire et de savoir.


Prise au dépourvu
par le malaise
des adolescents,
la morale

laïque semble
incapable de satisfaire
leur maladie d’idéalité
Prise au dépourvu par le malaise des adolescents, la morale laïque semble incapable de satisfaire leur maladie d’idéalité. Comment faire face à cet intense retour du besoin de croire et du religieux, qui s’observe partout dans le monde ? + Lire la suiteCommenter  J’apprécie     

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Julia Kristeva
Julia Kristeva

Face aux kamikazes du 13 novembre, il nous est nécessaire de nous interroger sur la façon dont « la pulsion de mort » remplace le besoin de croire, conduisant certains jeunes à une « déliaison » puis à une radicalisation.

La guerre est en France, mais contre qui les Français sont-ils en guerre ? Face aux prétentions totalitaires du djihadisme sanguinaire, un nous est en

train de rassembler les « enfants de la Patrie » autour de La Marseillaise. Un nous debout contre une nouvelle version du nihilisme dont la brutalité et l’ampleur sont sans précédent en France. Le « mal radical » et la « pulsion de mort », portés par les prouesses techniques de l’hyperconnexion, défient les Lumières qui les avaient sous-estimés en s’efforçant, depuis plus de

deux siècles, de rompre le fil avec la tradition religieuse pour fonder les valeurs d’une morale universelle.

Qu’est-ce que ce « mal radical » ? Emmanuel Kant avait employé l’expression pour nommer le désastre de certains humains qui considèrent d’autres humains superflus, et les exterminent froidement. Hannah Arendt avait dénoncé ce mal absolu dans la Shoah.

Pourquoi « la pulsion de mort » remplace-t-elle le besoin pré-religieux, anthropologique de croire chez les adolescents qu’on dit « fragiles » ? Aujourd’hui, les adolescents de nos quartiers, issus pour moitié de familles musulmanes et pour moitié de familles chrétiennes, juives ou sans religion, s’avèrent être le maillon faible où se délite, en abîme du pacte social, le lien

hominien lui-même.

Face au choc des tueries à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher et, plus fortement encore, face aux kamikazes du 13 novembre, il est possible d’analyser des causes géopolitiques et théologiques : la responsabilité du post-colonialisme ; les failles de l’intégration et de la scolarisation ; la faiblesse de « nos valeurs », qui gèrent la globalisation à

coups de pétrodollars appuyés sur des frappes chirurgicales ; le rétrécissement du politique en serviteur de l’économie par une juridiction plus ou moins soft ou hard ; les discours appelant à la « guerre sainte » mais aussi prétendument « quiétistes » qui se contentent, paraît-il, de dresser humblement la listes de nos « impuretés » et, ce faisant, désignent implicitement tout

« infidèle » ou « mécréant » à la vindicte des « purs »… Mais une nouvelle urgence s’impose : la séduction que les religions exercent sur les personnes et les communautés humaines, ainsi que leur rôle de consolateur, éducateur, régulateur et manipulateur des angoisses et des destructivités, attendent d’être élucidés.

Besoin de croire et désir de savoir

Plus précise que la philosophie, et en prise clinique immédiate avec l’expérience singulière, c’est la psychanalyse freudienne qui, depuis seulement cent cinquante ans, aborde l’héritage religieux avec cette ambition. Difficilement, à travers avancées et errances, adulée ou honnie, la psychanalyse a su reprendre l’investigation du « besoin de croire » et du « désir de savoir

», pour sonder les nouvelles maladies de l’âme et les nouveaux messagers du nihilisme.

il ne suffit pas de repérer comment procèdent les djihadistes pour recruter leurs exécuteurs. Il importe d’accompagner les candidats au djihad en voie de radicalisation,

J’entends l’effroi de cette passante qui dépose des fleurs au Bataclan et interroge le micro tendu : «

Comment peut-on être djihadiste ? Quels sont leurs états d’âme ? Peut-on faire quelque chose ? » Ces dimensions de l’état de guerre ne sont pas secondaires. Elles participent de son volet préventif : en amont des mesures punitives, sécuritaires ou militaires, il ne suffit pas de repérer comment procèdent les djihadistes pour recruter leurs exécuteurs. Il importe d’accompagner les

candidats au djihad en voie de radicalisation, avant qu’ils ne rejoignent les camps de Daech pour revenir en kamikazes ou, éventuellement, en repentis plus ou moins sincères.

Il ne suffit pas de
repérer comment
procèdent les
djihadistes pour
recruter leurs
exécuteurs.
Il importe
d’accompagner les
candidats au djihad
en voie

de
radicalisation
Deux expériences psychiques confrontent le clinicien à cette composante anthropologique universelle qu’est le besoin de croire pré-religieux. La première renvoie à ce que Freud, répondant à la sollicitation de Romain Rolland, décrit non sans réticences, dans Malaise dans la civilisation, comme le « sentiment océanique » avec le contenant maternel. La

seconde concerne l’ « investissement » ou l’ « i dentification primaire » avec le « père de la préhistoire individuelle » : amorce de l’Idéal du moi, ce « père aimant », antérieur au père œdipien qui sépare et qui juge, aurait les « qualités des deux parents », écrit-il dans Le Moi et le Ça. Le besoin de croire satisfait et offrant les conditions optimales pour le

développement du langage apparaît comme le fondement sur lequel pourra se développer une autre capacité, corrosive et libératrice : le désir de savoir.

La curiosité insatiable de l’enfant-roi, qui sommeille dans « l’infantile » de chacun de nous (toujours selon Freud dans ses Trois Essais sur la théorie de la sexualité) fait de lui un « chercheur en laboratoire » qui,

avec tous ses sens éveillés, veut découvrir « d’où viennent les enfants ». En revanche, l’éveil de la puberté chez l’adolescent implique une réorganisation psychique sous-tendue par la quête d’un idéal : dépasser les parents, la société, le monde, se dépasser, s’unir à une altérité idéale, ouvrir le temps dans l’instant, l’éternité maintenant.

L’adolescent est un « croyant » qui surplombe le « chercheur en laboratoire » et parfois l’empêche d’être. Il croit dur comme fer que la satisfaction absolue des désirs existe, que l’objet d’amour idéal est à sa portée ; le paradis est une création d’adolescents amoureux : Adam et Ève, Dante et Béatrice, Roméo et Juliette… Croire, au sens de la foi, implique une passion

pour la relation d’objet : la foi veut tout, elle est potentiellement intégriste, comme l’est l’adolescent. Nous sommes tous des adolescents quand nous sommes des passionnés de l’absolu, ou de fervents amoureux. Freud ne s’est pas occupé suffisamment des adolescents parce qu’il était lui-même le plus incroyant, le plus irréligieux des humains qui n’aient jamais existé.


Cependant, cette croyance que le monde idéal existe est continûment menacée, voire mise en échec, car nos pulsions et désirs sont ambivalents, sado-masochiques, et la réalité impose frustrations et contraintes. L’adolescent, qui croit à la relation d’objet idéale, en éprouve cruellement l’impossibilité. Alors, l’échec de la passion en quête d’objet s’inverse en

punition et autopunition, avec le cortège de souffrances que connaît l’adolescence passionnée (dépression, suicide, petite délinquance, toxicomanie, anorexie…).

Structurée par l’idéalisation, l’adolescence est une maladie de l’idéalité : soit l’idéalité lui manque ; soit celle dont elle dispose ne s’adapte pas à la pulsion pubertaire et à son besoin de

partage avec un objet absolument satisfaisant. Nécessairement exigeante et hantée par l’impossible, la croyance adolescente côtoie inexorablement le nihilisme adolescent : le génie de Dostoïevski fut le premier à sonder ces nihilistes possédés. Puisque le paradis existe (pour l’inconscient), mais « il » ou « elle » me déçoit (dans la réalité), je ne peux que « leur » en

vouloir et me venger : la délinquance s’ensuit. Ou bien : puisque ça existe (dans l’inconscient), mais « il » ou « elle » me déçoivent ou me manquent, je ne peux que m’en vouloir et me venger sur moi-même contre eux : les mutilations et les attitudes autodestructrices s’ensuivent.

Endémique et sous-jacente à toute adolescence, la maladie d’idéalité risque

d’aboutir à une désorganisation psychique profonde, si le contexte traumatique, personnel ou socio-historique s’y prête. L’avidité de satisfaction absolue se résout en destruction de tout ce qui n’est pas cette satisfaction, abolissant la frontière entre moi et l’autre, le dedans et le dehors, entre bien et mal. Aucun lien à aucun « objet » ne subsiste pour ces « sujets » qui

n’en sont pas, en proie à ce qu’André Green appelle la déliaison, avec ses deux versants : la désubjectivation et la désobjectalisation. Où seule triomphe la pulsion de mort, la malignité du mal.

Plus de rites d’initiation
Déni ou ignorance, notre civilisation sécularisée n’a plus de rites d’initiation pour les adolescents. Epreuves ou joutes, jeûnes et

mortifications mis en récits et dotés de valeurs symboliques, ces pratiques culturelles et cultuelles, connues depuis la préhistoire et qui demeurent dans les religions constituées, authentifiaient le syndrome d’idéalité des adolescents et aménageaient des passerelles avec la réalité communautaire.

La littérature, en particulier le roman dès qu’il apparaît à la

Renaissance, savait narrer les aventures initiatiques de héros adolescents : le roman européen est un roman adolescent. Aux XIXe et XXe siècles, l’enthousiasme idéologique révolutionnaire, qui « du passé faisait table rase », avait pris le relais de la foi : la « Révolution » a résorbé le besoin de se transcender, et le temps idéal de la promesse s’est ouvert, avec l’espoir que

l’« homme nouveau », femme comprise, saurait jouir enfin d’une satisfaction totale. Avant que le totalitarisme ne mette fin à cette utopie mécanique, à ce messianisme laïc, qui avait expulsé la pulsion de mort dans l’« ennemi de classe », et réprimé la liberté de croire et de savoir.


Prise au dépourvu
par le malaise
des adolescents,
la morale

laïque semble
incapable de satisfaire
leur maladie d’idéalité
Prise au dépourvu par le malaise des adolescents, la morale laïque semble incapable de satisfaire leur maladie d’idéalité. Comment faire face à cet intense retour du besoin de croire et du religieux, qui s’observe partout dans le monde ? La résurgence de jeunes catholiques très « engagés » contre le

mariage pour tous a beaucoup surpris. Le plus so + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Francois Jacob
Francois Jacob

« Ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est que le programme génétique met en place ce qu'on pourrait appeler des structures d'accueil qui permettent à l'enfant de réagir aux stimulus venus de son milieu, de chercher et repérer des régularités, de les mémoriser puis de réassortir les éléments en combinaisons nouvelles. Avec l'apprentissage, s'affinent et s'élaborent peu à peu ces

structures nerveuse. C'est par une interaction constante du biologique et du culturel pendant le développement de l'enfant que peuvent mûrir et s'organiser les structures nerveuses qui sous-tendent les performances mentales. Dans ces conditions, attribuer une fraction de l'organisation finale à l'hérédité et le reste au milieu n'a pas de sens. Pas plus que de demander si le goût de Roméo

pour Juliette est d'origine génétique ou culturelle. Comme tout organisme vivant, l'être humain est génétiquement programmé, mais il est programmé pour apprendre. »

Francois Jacob
Francois Jacob

Tout enfant normal possède à la naissance la capacité de grandir dans n'importe quelle communauté, de parler n'importe quelle langue, d'adopter n'importe quelle religion, n'importe quelle convention sociale. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est que le programme génétique met en place ce qu'on pourrait appeler des structures d'accueil qui permettent à l'enfant de réagir aux stimulus

venus de son milieu, de chercher et repérer des régularités, de les mémoriser puis de réassortir les éléments en combinaisons nouvelles. Avec l'apprentissage, s'affinent et s'élaborent peu à peu ces structures nerveuses. C'est par une interaction constante du biologique et du culturel pendant le développement de l'enfant que peuvent mûrir et s'organiser les structures nerveuses qui

sous-tendent les performances mentales. Dans ces conditions, attribuer une fraction de l'organisation finale à l'hérédité et le reste au milieu n'a pas de sens.

Brian De Palma
Brian De Palma

Question: Carla Gugino semble être la seule référence à Hitchcock dans Snake Eyes. Avec sa perruque blonde et son ensemble blanc elle nous rappelle Kim Novak dans Vertigo. Mais curieusement, on pense davantage à Angie Dickinson dans Pulsions.
Réponse (DePalma): C'est possible. Je ne m'en rends pas compte. A la limite, vous êtes mieux placés pour dire si c’est un truc piqué à

Hitchcock ou pas. Vous avez tellement regardé mes films que vous les connaissez mieux que moi. Je me suis dit qu'il fallait qu'elle soit en blanc car on devait pouvoir la repérer facilement dans la foule. Toujours en suivant la même idée, il valait mieux qu'elle soit blonde, parce que de loin, on remarque mieux les blondes que les brunes. Je voulais aussi qu'elle soit déguisée. J'ai donc

décidé qu'elle porterait une perruque. Elle en a essayé une qui la faisait ressembler à Marylin Monroe. J'aime vraiment le genre que lui donne cette perruque, et pourtant on en a essayé un paquet avant de trouver la bonne. Maintenant vous me dites que c'est un truc hitchcokien... peut-être que ça rappelle Pas de printemps pour Marnie ou je ne sais quoi, mais ça n'était pas volontaire de

ma part. Ça n'est pas comme ça que ça marche. Vous connaissez cette réflexion célèbre que l'on avait fait à Ingmar Bergman à propos du dernier plan du Septième Sceau ? Dans le passage où la Mort entraîne avec elle les sept personnages en haut de la colline, on lui avait demandé pourquoi l'un des personnages importants du film n'était pas du dernier plan. Bergman avait répondu: "Parce

que l'acteur était malade ce jour-là". Les critiques s'étaient creusé la tête pour justifier pourquoi le personnage avait survécu alors qu'en vérité l'acteur était malade ! C'est exactement comme ça que ça marche quand on fait un film. Il y a ce que vous pouvez contrôler et ce qui arrive par accident. Il faut savoir être pragmatique.
P.186 + Lire la suiteCommenter

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Claude Simon
Claude Simon

Une chance de te carapater peinard si i radine une de ces saloperies d'avions à sifflets t'as juste qu'à te foutre dans le fossé ou sous un buisson ni vu ni connu le gars i va lâcher ses crottes plus loin mais qu'est-ce que tu veux faire hein avec une bique qui se met tout droit sur ses pattes de derrière en braillant hihi comme un âne dès que ça commence à dégringoler et toi suspendu

après la bride en train de gigoter comme un polichinelle sans compter que pour te faire repérer avec ton ours bien en vue sur la route y a pas mieux..

S. K  Tremayne
S. K Tremayne

Je les entends toujours bavarder et pouffer. Mon soulagement est inexprimable. Ce n'est pas ce que j'avais en tête; ce n'est pas la scène idyllique dont j'avais rêvé:deux gamines en train de gambader sur notre magnifique île, ramassant des palourdes et des porcelaines, essayant de repérer les phoques qui remontent le courant depuis Kinloch. Non, elles sont toutes les deux captivées par un

iPad, à l'intérieur. Elles pourraient être à Londres, voire n'importe où. Mais peu importe, parce que ce moment pourrait marquer le début d'une renaissance.

Ismail Kadare
Ismail Kadare

Elle gardait les yeux baissés et, en les contemplant, il eut le sentiment qu'en aucun autre point du corps humain la culpabilité ne pouvait mieux se repérer qu'à l'extrémité des cils.