Albert Caraco
Albert Caraco

Les maîtres de la France, héritiers de la Monarchie, auront perpétué les vices de la Monarchie sous la façade de la République, ils ont parfait le centralisme et couronné l’œuvre des Rois, changé le Royaume en banlieue à force d’étrangler, l’une après l’autre, ses Provinces. L’esprit de Cour, lequel se renfermait, sous Louis XIV, en un seul château, se répandit sur une

nation et c’est ce qu’on appelle le Système, car le Système est le legs de la Monarchie et c’est l’essence de la République.

Idries Shah
Idries Shah

Il était une fois une ville constituée de deux rues parallèles. Un derviche passa de l'une à l'autre. Quand il entra dans la seconde, les passants remarquèrent que ses yeux ruisselaient de larmes. « Quelqu'un est mort dans l'autre rue! » s'écria l'un deux. Tous les enfants du quartier eurent bientôt repris le cri du passant, qui parvint ainsi aux oreilles des habitants de la première

rue. Or le derviche pleurait pour la seule raison qu'il avait épluché des oignons.

Les adultes des deux rues étaient si affligés et pleins d'appréhension (car les uns et les autres avaient des parents de l'autre côté) qu'ils n'osaient pas approfondir la cause de ce tumulte.

Un sage tenta de les raisonner. Aux habitants de la première rue, il demanda pourquoi ils

n'allaient pas questionner les habitants de l'autre rue sur ce qui s'était passé. Il demanda la même chose à ceux de la seconde. Mais tous étaient trop désorientés pour prendre la moindre décision. Certains dirent au sage: « Nous croyons savoir que les gens d'à côté sont
atteints de la peste. »

La rumeur se répandit comme une traînée de poudre. Chacune des deux

communautés fut bientôt persuadée que sa voisine était condamnée.

Quand le calme fut plus ou moins revenu, il apparut aux uns comme aux autres qu'il n'y avait d'autre issue que la fuite. L'ordre fut donné d'évacuer la population.

Les siècles ont passé, dans la ville désertée il n'y a pas âme qui vive. Non loin se trouvent deux villages. Chacun conserve la

mémoire de sa fondation : dans l’un comme dans l'autre, on vous racontera comment, en des temps anciens, la population d'une ville menacée par un terrible fléau vint s'établir là, au terme d'un exode qui la sauva de la destruction.
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Dashiell Hammett
Dashiell Hammett

« Bon sang de bois !
- Vous n'avez pas oublié que votre chèque devait couvrir les frais de l'enquête sur le crime organisé et la corruption de Personville, n'est-ce pas ?
- Bêtises que tout ça, réfuta-t-il. On s'est un peu emballés la nuit dernière, C'est annulé.
- Pas pour moi. »
Il se répandit en injures variées, puis ajouta :
« C'est mon argent et je

refuse qu'il soit gaspillé à je ne sais quelle sombre ânerie. Si vous n'acceptez pas de l'encaisser pour le travail accompli, vous n'avez qu'à me le rendre.
- Cessez de me crier dessus. Je ne vous rendrai rien, si ce n'est une ville nettoyée de fond en comble. (...) »

Jacques Le Goff
Jacques Le Goff

La toponymie témoigne … Penons l'exemple français. Notons d'abord que les noms propres peuvent être trompeurs puisque la mode se répandit rapidement parmi les Gallo-Romains de donner par snobisme à leurs enfants des noms germaniques et que les envahisseurs, s'ils marquèrent de leur influence le vocabulaire et, de façon plus limitée, la syntaxe (par exemple l'ordre déterminant +

déterminé, tel Carlepont, de Carli ponte et non l'inverse, tel Pontoise, Ponte Isarae), au lieu d'imposer leur langue, adoptèrent le latin, ou plutôt le bas-latin en évolution qui se vulgarisait tout comme l'économie se ruralisait.
Le fait topnymique important, c’est la multiplication des noms en « court » et en « ville » qui, précédés indifféremment d'un nom gallo-romain ou

germanique, trahissent les progrès de la grande propriété, crutis (surtout en Lorraine et en Artois-Picardie), ou villa (dans les mêmes régions et dans l’Île-de-France et la Beauce). Dans l'étymologie de Martinville [Martini Villa (Vosges)] ou de Bouzonville [Bosoni Villa (Moselle, Meurthe-et-Moselle, Loiret)], ce n'est pas le gallo-romain Martin ou le germanique Boson qui importe ; c'est

la villa désignant la grande propriété à laquelle l'un et l'autre ont donné leur nom.

3121 – [Arthaud, p. 55/6] + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

Ismail Kadare
Ismail Kadare

[...] La fumée monte jour et nuit de la fonderie. Dès les premiers jours de leur arrivée, le bruit se répandit qu'ils coulaient une arme nouvelle. On dit que son grondement secoue le sol comme un tremblement de terre, qu'elle crache une flamme aveuglante, et que le déplacement d'air qu'elle provoque rase une maison en un clin d'oeil.

Jean-Claude Carrière
Jean-Claude Carrière

Le bon côté de la tartine

Un homme, un jour, laissa tomber par mégarde sa tartine beurrée et ce jour-là, par extraordinaire,elle ne tomba pas sur le côté où s'étalait le beurre. Contrairement à toutes les habitudes,à toutes les croyances, contrairement à ce qu'affirment les Ecritures, la tartine tomba du côté du pain sec.

Il s'agissait bel et bien d'un

miracle. Le bruit se répandit à toute vitesse dans la petite ville,les gens s'assemblèrent et se lancèrent dans de très profondes discussions. Pourquoi la tartine n'était-elle pas tombée, ce jour -là, du coté du beurre?
On courut à la synagogue,on en parla au rabbin, qui jugea l'affaire très embarrassante et demanda toute une journée et toute une nuit de réflexion et de

prière.
C'était un homme d'une grande réputation de sagesse. Toute la journée, et toute la nuit,il jêuna, réfléchit, pria et consulta les livres saints.
Le lendemain, le visage fatigué mais illuminé par la vérité, il se rendit à la maison où s'était produit le prétendu miracle. Toute la ville l'entourait. Il se fit conduire auprès de l'homme et lui dit :
-La

solution est simple, et je vais te la dire. Ce n'est pas la tartine qui est mal tombée. C'est toi qui a mis le beurre du mauvais côté. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          270

Ann Radcliffe
Ann Radcliffe

Emilie regarda le château avec une sorte d'effroi, quand elle sut que c'était celui de Montoni. Quoique éclairé maintenant par le soleil couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisaient un objet imposant et sinistre. La lumière s'affaiblit insensiblement sur les murs, et ne répandit qu'une teinte de pourpre qui, s'effaçant à son tour,

laissa les montagnes, le château et tous les objets environnants dans la plus profonde obscurité.
Isolé, vaste et massif, il semblait dominer la contrée. Plus la nuit devenait obscure, plus ses tours élevées paraissaient imposantes.

Ann Radcliffe
Ann Radcliffe

Le faible point du jour perçait alors les nuages d'une lueur tremblante et se déployant par degrés sur l'horizon, annonçait le lever du soleil. Enfin le soleil parut et répandit ses torrents de lumière. La beauté de cet instant l'invite à se promener et elle va dans la forêt pour y goûter les délices du matin. Le chœur des oiseaux qui s'éveillent la salue en passant, le frais zéphyr

la caresse, parfumé de l'émanation des fleurs dont les teintes éclataient plus vivement à travers les gouttes de rosée suspendues à leurs feuilles.

Christopher Paolini
Christopher Paolini

Une idée saugrenue traversa la tête d'Eragon :
-J'avais déjà entendu l'expression "dorer la pilule". De là à "dorer le lys", hein ? Ils sont forts, ces esprits, ils nous ont doré le lys !
Et il éclata d'un rire sonore qui se répandit sur la plaine.
Arya pinça les lèvres :
-Cela partait d'une noble intention. Nous aurions tort de nous moquer. Ce n'est pas leur

faute s'ils ignorent les expressions des humains.
-Certes ... mais c'est très drôle... hi, hi, hi, hi !
Arya claqua des doigts et la lumière s'évanouit.
-Nous avons assez bavardé, il est temps de se reposer. L'aube approche, et nous levons le camp dès les premiers rayons.
Eragon s'étendit sur un coin de sol libre de cailloux. Il riait encore lorsqu'il glissa dans

ses rêves éveillés.

Antonio Tabucchi
Antonio Tabucchi

« Qu’est-ce que nous faisons dans ces corps », dit le monsieur qui se préparait à s’étendre sur le lit à côté du mien.
Sa voix n’avait aucun ton interrogatif, peut-être n’était-ce pas une question, c’était seulement une constatation, à sa façon, en tout cas c’était une question à laquelle je n’aurais pas pu répondre. La lumière qui venait des quais de la gare

était jaune et dessinait sur les murs décrépis son ombre maigre qui se déplaçait dans la pièce avec légèreté, avec prudence et discrétion, me sembla-t-il, comme le font généralement les Indiens. De loin parvenait une voix lente et monotone, peut-être une prière ou alors une lamentation solitaire et sans espoir, comme ces lamentations qui n’expriment qu’elles-mêmes, sans rien

demander. Il m’était impossible de la déchiffrer. L’Inde était aussi cela : un univers de sons plats, indifférenciés, impossibles à distinguer.
« Peut-être que nous voyageons dedans », dis-je.
[...] Il demanda : « vous avez dit ? ».
« Je parlais des corps », dis-je, « peut-être sont-ils comme des valises, nous y transportons nous-mêmes. »
Au-dessus de

la porte il y avait une veilleuse bleue, comme dans les wagons des trains de nuit. En se mêlant à la lumière jaune qui venait de la fenêtre elle créait une lumière verdâtre, presque funèbre, je vis le profil d’un visage anguleux, avec un nez légèrement aquilin, les mains sur la poitrine.
[...] La lamentation lointaine reprit avec plus d’intensité, elle était maintenant très

aiguë, je pensai un instant que c’était un chacal.
[...] L’homme respira profondément. Il était vêtu de blanc mais n’était pas musulman, ça je le compris. « J’ai été en Angleterre », dit-il, « mais je parlais aussi le français, si vous préférez on parle en français. » Sa voix était totalement neutre, comme s’il faisait une déclaration au guichet d’une

administration ; et cela, qui sait pourquoi, me perturba. « C’est un jaïn », dit-il après quelques instants, « il pleure à cause de la méchanceté du monde. »
[...] « À Bombay il n’y a pas beaucoup de jaïns », dit-il ensuite avec le ton de quelqu’un qui explique quelque chose à un touriste, « tandis que dans le Sud oui, il y en a encore beaucoup. C’est une religion

très belle et très stupide. » Il dit cela sans aucun mépris, toujours sur le ton neutre d’une déposition.
« Vous, vous êtes quoi ? », demandai-je, « je vous prie d’excuser mon indiscrétion. »
« Je suis jaïn », dit-il.
[...] La respiration de mon compagnon s’était faite calme et lente, comme s’il dormait. Quand il parla de nouveau j’eus une espèce de

sursaut. « Moi je vais à Varanasi », dit-il, « et vous, dans quelle direction allez-vous ? ».
« À Madras », dis-je.
« Madras », répéta-t-il, « oui, oui. »
« Je voudrais voir le lieu où l’on dit que l’apôtre Thomas a subi son martyre, les Portugais y ont construit une église au XVIe siècle, je ne sais pas ce qu’il en reste. Ensuite je dois aller à Goa, je

vais faire des recherches dans une vieille bibliothèque, c’est pour cela que je suis venu en Inde. »
« C’est un pèlerinage ? », demanda-t-il.
Je répondis que non. Ou plutôt, oui, mais pas dans le sens religieux du terme. C’était plutôt un itinéraire privé, comment dire ?, je cherchais juste des traces.
« Vous êtes catholique, je suppose », dit mon

compagnon.
« Tous les Européens sont catholiques d’une certaine façon », dis-je. « Ou tout du moins chrétiens, ce qui est pratiquement la même chose. »
[...] Nous nous tûmes quelque temps, puis mon compagnon me demanda l’autorisation de fumer. Il fouilla dans un sac qu’il gardait près de son lit et dans la chambre se répandit l’odeur de ces petites cigarettes

indiennes parfumées, faites d’une seule feuille de tabac.
« Autrefois j’ai lu les Évangiles », dit-il, « c’est un livre très étrange. »
« Seulement étrange ? », demandai-je.
Il eut une hésitation. « Et aussi plein d’orgueil », dit-il, « soit dit sans méchanceté. »
« Je crains de ne pas très bien comprendre », dis-je.
« Je parlais du

Christ », dit-il.
L’horloge de la gare sonna minuit et demi. Je sentais que le sommeil était en train de s’emparer de moi. Du parc derrière les quais arriva le croassement des corbeaux. « Varanasi c’est Bénarès », dis-je, « c’est une ville sainte, vous aussi vous allez en pèlerinage ? ».
Mon compagnon éteignit sa cigarette et toussa légèrement. « J’y vais pour

mourir », dit-il, « il me reste peu de jours à vivre. » Il arrangea le coussin sous sa tête. « Mais peut-être convient-il de dormir », continua-t-il, « nous n’avons pas beaucoup d’heures de sommeil devant nous, mon train part à cinq heures. »
« Le mien part peu après », dis-je.
« Oh, ne craignez rien », dit-il, « l’employé viendra vous réveiller à temps. Je

suppose que nous n’aurons plus l’occasion de nous voir sous les apparences à travers lesquelles nous nous sommes connus, ces valises que nous sommes actuellement. Je vous souhaite un bon voyage. »
« Bon voyage à vous aussi », répondis-je.

(p. 47-52) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10