Pierre Bourgault
Pierre Bourgault

Les Anglais en Angleterre sont unilingues anglais, les Suédois en Suède sont unilingues suédois, les Allemands en Allemagne sont unilingues allemands et les Anglais au Québec sont unilingues anglais.

Jacques Delors
Jacques Delors

Tous les Allemands ne croient pas en Dieu, mais tous croient en la Bundesbank.

Emmanuel Le Roy Ladurie
Emmanuel Le Roy Ladurie

La décadence économique, commune au Languedoc et à bien d’autres régions du sud de l’Europe, n’est pourtant ni fatale ni universelle. Dans l’Aquitaine moins développée, Toulouse, comme au XIXe siècle, marche à contre-courant de sa région, et donne depuis quarante ans l’exemple d’une éclatante fortune. Grande ville du Languedoc (155 000 habitants en 1911), elle est aussi en

1914 l’agglomération française la plus éloignée du front. Elle est donc choisie comme zone-refuge pour l’industrie de guerre (explosifs, aviation). Grâce à Latécoère, Daurat, Guillaumat, Mermoz, Saint-Exupéry, elle devient après 1919 la puissante cité française de l’aéronautique, tête de ligne de l’Atlantique-Sud et centre actif de production d’avions. En 1962Sud-Aviation,

société nationale, venait en tête de la production européenne, grâce à la célèbreCaravelle. Quant à l’industrie chimique, fondée en 1924-1928 par l’État pour l’exploitation de brevets allemands dont les industriels français ne voulaient pas, elle détenait la première place en France pour l’azote industriel et ses sous-produits. L’énergie était fournie par les barrages des

Pyrénées et du Massif central, et par le gaz de Saint-Marcet et de Lacq. Ainsi, les capitaux d’État, aidés par l’initiative locale, ont changé le destin de cette ville, que Basville en 1698, jugeait à jamais impropre au commerce et à l’industrie, en raison de « l’indolence espagnole » de ses habitants. L’évolution toulousaine a valeur d’exemple : dans le renouvellement des

structures économiques, le fait urbain doit jouer un rôle aussi important que la reconversion agricole.

Dans cette perspective cependant, le Languedoc tout entier paraît bien placé. La construction d’un axe Rhône-Rhin, les techniques d’avant-garde (canalisation du Bas-Rhône, usines atomiques diverses, certes contestées), le tourisme enfin confèrent un avantage décisif à

cette province voisine de la mer et d’un grand fleuve à vocation européenne.

L’implantation massive des« pieds-noirs »,de 1960, l’a bien montré : mer et autour soleil, au XXe siècle, peuvent être des motifs de peuplement plus importants que vigne et charbon. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          120

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XXXVI

La vie de l’Académie. — Mes courses dans les Abruzzes. — Saint-Pierre. — Le spleen. — Excursions dans la campagne de Rome. — Le carnaval. — La place Navone.

J’étais déjà au fait des habitudes du dedans et du dehors de l’Académie. Une cloche, parcourant les divers corridors et les allées du jardin, annonce l’heure des repas. Chacun

d’accourir alors dans le costume où il se trouve ; en chapeau de paille, en blouse déchirée ou couverte de terre glaise, les pieds en pantoufles, sans cravate, enfin dans le délabrement complet d’une parure d’atelier. Après le déjeuner, nous perdions ordinairement une heure ou deux dans le jardin, à jouer au disque, à la paume, à tirer le pistolet, à fusiller les malheureux merles

qui habitent le bois de lauriers ou à dresser de jeunes chiens. Tous exercices auxquels M. Horace Vernet, dont les rapports avec nous étaient plutôt d’un excellent camarade que d’un sévère directeur, prenait part fort souvent. Le soir, c’était la visite obligée au café Greco, où les artistes français non attachés à l’Académie, que nous appelions les hommes d’en bas, fumaient

avec nous le cigare de l’amitié, en buvant le punch du patriotisme. Après quoi, tous se dispersaient... Ceux qui rentraient vertueusement à la caserne académique, se réunissaient quelquefois sous le grand vestibule qui donne sur le jardin. Quand je m’y trouvais, ma mauvaise voix et ma misérable guitare étaient mises à contribution, et assis tous ensemble autour d’un petit jet d’eau

qui, en retombant dans une coupe de marbre, rafraîchit ce portique retentissant, nous chantions au clair de lune les rêveuses mélodies du Freyschütz, d’Obéron, les chœurs énergiques d’Euryanthe, ou des actes entiers d’Iphigénie en Tauride, de la Vestale ou de Don Juan ; car je dois dire, à la louange de mes commensaux de l’Académie, que leur goût musical était des moins

vulgaires.

Nous avions, en revanche, un genre de concerts que nous appelions concerts anglais, et qui ne manquait pas d’agrément, après les dîners un peu échevelés. Les buveurs, plus ou moins chanteurs, mais possédant tant bien que mal quelque air favori, s’arrangeaient de manière à en avoir tous un différent ; pour obtenir la plus grande variété possible, chacun

d’ailleurs chantait dans un autre ton que son voisin. Duc, le spirituel et savant architecte, chantait sa chanson de la Colonne, Dantan celle du Sultan Saladin, Montfort triomphait dans la marche de la Vestale, Signol était plein de charmes dans la romance Fleuve du Tage, et j’avais quelque succès dans l’air si tendre et si naïf Il pleut bergère. À un signal donné, les concertants

partaient les uns après les autres, et ce vaste morceau d’ensemble à vingt-quatre parties s’exécutait en crescendo, accompagné, sur la promenade du Pincio, par les hurlements douloureux des chiens épouvantés, pendant que les barbiers de la place d’Espagne, souriant d’un air narquois sur le seuil de leur boutique, se renvoyaient l’un à l’autre cette naïve exclamation : Musica

francese !

Le jeudi était le jour de grande réception chez le directeur. La plus brillante société de Rome se réunissait alors aux soirées fashionables que madame et mademoiselle Vernet présidaient avec tant de goût. On pense bien que les pensionnaires n’avaient garde d’y manquer. La journée du dimanche, au contraire, était presque toujours consacrée à des courses plus

ou moins longues dans les environs de Rome. C’étaient Ponte Molle, où l’on va boire une sorte de drogue douceâtre et huileuse, liqueur favorite des Romains, qu’on appelle vin d’Orvieto ; la villa Pamphili ; Saint-Laurent hors les murs ; et surtout le magnifique tombeau de Cecilia Metella, dont il est de rigueur d’interroger longuement le curieux écho, pour s’enrouer et avoir le

prétexte d’aller se rafraîchir dans une osteria qu’on trouve à quelques pas de la, avec un gros vin noir rempli de moucherons.

Avec la permission du directeur, les pensionnaires peuvent entreprendre de plus longs voyages, d’une durée indéterminée, à la condition seulement de ne pas sortir des États romains, jusqu’au moment où le règlement les autorise à visiter

toutes les parties de l’Italie. Voilà pourquoi le nombre des pensionnaires de l’Académie n’est que fort rarement complet. Il y en a presque toujours au moins deux en tournée à Naples, à Venise, à Florence, à Palerme ou à Milan. Les peintres et les sculpteurs trouvant Raphaël et Michel-Ange à Rome, sont ordinairement les moins pressés d’en sortir ; les temples de Pestum, Pompéi,

la Sicile, excitent vivement, au contraire, la curiosité des architectes ; les paysagistes passent la plus grande partie de leur temps dans les montagnes. Pour les musiciens, comme les différentes capitales de l’Italie leur offrent toutes a peu près le même degré d’intérêt, ils n’ont pour quitter Rome d’autres motifs que le désir de voir et l’humeur inquiète, et rien que leurs

sympathies personnelles ne peut influer sur la direction ou la durée de leurs voyages. Usant de la liberté qui nous était accordée, je cédais a mon penchant pour les explorations aventureuses, et me sauvais aux Abruzzes quand l’ennui de Rome me desséchait le sang. Sans cela, je ne sais trop comment j’aurais pu résister à la monotonie d’une pareille existence. On conçoit, en effet,

que la gaieté de nos réunions d’artistes, les bals élégants de l’Académie et de l’Ambassade, le laisser-aller de l’estaminet, n’aient guère pu me faire oublier que j’arrivais de Paris, du centre de la civilisation, et que je me trouvais tous d’un coup sevré de musique, de théâtre[47], de littérature[48], d’agitations, de tout enfin ce qui composait ma vie.

Il

ne faut pas s’étonner que la grande ombre de la Rome antique, qui, seule, poétise la nouvelle, n’ait pas suffi pour me dédommager de ce qui me manquait. On se familiarise bien vite avec les objets qu’on a sans cesse sous les yeux, et ils finissent par ne plus éveiller dans l’âme que des impressions et des idées ordinaires. Je dois pourtant en excepter le Colysée ; le jour ou la

nuit, je ne le voyais jamais de sang-froid. Saint-Pierre me faisait aussi toujours éprouver un frisson d’admiration. C’est si grand ! si noble ! si beau ! si majestueusement calme ! ! ! J’aimais à y passer la journée pendant les intolérables chaleurs de l’été. Je portais avec moi un volume de Byron, et m’établissant commodément dans un confessionnal, jouissant d’une fraîche

atmosphère, d’un silence religieux, interrompu seulement à longs intervalles par l’harmonieux murmure des deux fontaines de la grande place de Saint-Pierre, que des bouffées de vent apportaient jusqu’à mon oreille, je dévorais à loisir cette ardente poésie ; je suivais sur les ondes les courses audacieuses du Corsaire ; j’adorais profondément ce caractère à la fois inexorable et

tendre, impitoyable et généreux, composé bizarre de deux sentiments opposés en apparence, la haine de l’espèce et l’amour d’une femme.

Parfois, quittant mon livre pour réfléchir, je promenais mes regards autour de moi ; mes yeux, attirés par la lumière, se levaient vers la sublime coupole de Michel-Ange. Quelle brusque transition d’idées ! ! ! Des cris de rage des

pirates, de leurs orgies sanglantes, je passais tout à coup aux concerts des Séraphins, à la paix de la vertu, à la quiétude infinie du ciel... Puis, ma pensée, abaissant son vol, se plaisait à chercher, sur le parvis du temple, la trace des pas du noble poëte...

— Il a dû venir contempler ce groupe de Canova, me disais-je ; ses pieds ont foulé ce marbre, ses mains se sont

promenées sur les contours de ce bronze ; il a respiré cet air, ces échos ont répété ses paroles... paroles de tendresse et d’amour peut-être... Eh ! oui ! ne peut-il pas être venu visiter le monument avec son amie, madame Guiccioli[49] ? femme admirable et rare, de qui il a été si complètement compris, si profondément aimé ! ! !... aimé ! ! !... poëte !... libre !... riche !...

Il a été tout cela, lui !... Et le confessionnal retentissait d’un grincement de dents à faire frémir les damnés.

Un jour, en de telles dispositions, je me levai spontanément, comme pour prendre ma course, et, après quelques pas précipités, m’arrêtant tout à coup, au milieu de l’église, je demeurai silencieux et immobile. Un paysan entra et vint tranquillement baiser

l’orteil de saint Pierre.

— Heureux bipède ! murmurai-je avec amertume que te manque-t-il ? tu crois et espères ; ce bronze que tu adores et dont la main droite tient aujourd’hui, au lieu de foudres, les clefs du Paradis, était jadis un Jupiter tonnant ; tu l’ignores, point de désenchantement. En sortant, que vas-tu chercher ? de l’ombre et du sommeil ; les madones des

champs te sont ouvertes, tu y trouveras l’une et l’autre. Quelles richesses rêves-tu ?... la poignée de piastres nécessaire pour acheter un âne ou te marier, les économies de trois ans y suffiront. Qu’est une femme pour toi ?... un autre sexe... Que cherches-tu dans l’art ?... un moyen de matérialiser les objets de ton culte et de t’exciter au rire ou à la danse. À toi, la Vierge

enluminée de rouge et de vert, c’est la peinture ; à toi, les marionnettes et Polichinelle, c’est le drame ; à toi, la musette et le tambour de basque, c’est la musique ; à moi, le désespoir et la haine, car je manque de tout ce que je cherche, et n’espère plus l’obtenir.

Après avoir quelque temps écouté rugir ma tempête intérieure, je m’aperçus que le jour

baissait. Le paysan était parti ; j’étais seul dans Saint-Pierre... je sortis. Je rencontrai des peintres allemands qui m’entraînèrent dans une osteria, hors des portes de la ville, où nous bûmes je ne sais combien de bouteilles d’orvieto, en disant des absurdités, fumant, et mangeant crus de petits oiseaux que nous avions achetés d’un chasseur.

Ces messieurs trouvaient

ce mets sauvage très-bon, et je fus bientôt de leur avis, malgré le dégoût que j’en avais ressenti d’abord.

Nous rentrâmes à Rome, en chantant des chœurs de Weber qui nous rappelèrent des jouissances musicales auxquelles il ne + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Emile Durkheim
Emile Durkheim

Il n’était pas très facile de motiver une déclaration que ne justifiait aucun conflit direct entre les deux pays. On se borna à alléguer que des aviateurs français avaient commis des actes d’hostilité en territoire allemand. L’un aurait essayé de détruire des constructions près de Wesel, d’autres auraient été aperçus sur la région de l’Eifel, un autre enfin aurait jeté des

bombes sur le chemin de fer près de Karlsruhe et de Nuremberg. La manière même dont ces accusations étaient énoncées suffit à prouver qu’elles étaient de simples et pauvres inventions. Aucun témoignage n’était cité, aucune précision n’était donnée sur les endroits exacts où ces faits auraient eu lieu, sur leur date, sur la manière dont ils se seraient produits, sur la nature

et l’étendue des dommages causés. Tous ces incidents étaient présentés comme s’ils s’étaient produits en dehors du temps et de l’espace, ce qui est la meilleure preuve de leur irréalité
Ces inventions étaient d’autant plus audacieuses que, dès le 2 août, M. Viviani avait signalé au gouvernement de Berlin des faits de guerre caractérisés qui avaient été commis par

les troupes allemandes sur le territoire français. Elles avaient passé la frontière à Cirey ainsi que près de Longwy ; elles marchaient sur le fort qui porte ce dernier nom. À Delle, le poste de douaniers avait été, à deux reprises, l’objet d’une fusillade de la part d’un détachement de soldats allemands. Au nord de la même localité, deux patrouilles allemandes du 5e chasseurs à

cheval avaient pénétré jusqu’aux villages de Jonchery et de Baron, à plus de 10 kilomètres de la frontière. L’officier qui commandait la première avait brûlé la cervelle à un soldat français. Les cavaliers allemands avaient emmené des chevaux que le maire de Suarce était en train de réunir et que les habitants de la commune furent forcés de conduire eux-mêmes]. Cette fois, la

précision des griefs en permettait le contrôle. Au reste, à ce même moment, le Luxembourg était déjà envahi : il est vrai que M. de Schoen envoya à M. Viviani une note où il était dit que celte invasion, contraire aux traités internationaux, ne constituait cependant pas une agression, mais n’était qu’une simple mesure préventive ! + Lire la suiteCommenter

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Jean Cocteau
Jean Cocteau

On ne pouvait comprendre qui étaient les allemands et qui les nôtres. Une grande stupeur les mariait. (p.39).

Chrystine Brouillet
Chrystine Brouillet

Une paire est hors de prix aujourd’hui. Ils achètent tout avec leurs marks et il y a des naïfs comme Louis Bourget qui croient réaliser de bonnes affaires parce que les Allemands paient comptant. Au taux qu’ils ont imposé, ils grugent tous nos commerces.

François Mauriac
François Mauriac

A l'heure où j'écris (novembre 1941), tant d'autres Français sont mus par une passion élémentaire : la peur ! Ils ne l'avouent pas, rendent au Maréchal un culte d'hyperdulie, invoquent Jeanne d'Arc, mais dans le secret tout pour eux se ramène à l'unique nécessaire : sauver leurs privilèges, éviter le règlement de comptes, "tant que les Allemands seront là..."

Louis Althusser
Louis Althusser

En France, ce fut Duclos qui prit la direction du Parti clandestin (dont les députés avaient été arrêtés en 1939-1940). Il commença par appliquer la théorie de la guerre impérialiste, sans discerner qu'elle était en même temps une "guerre de libération" (thèse qui ne fut admise que plus tard). En conséquence, des ordres furent donnés après la défaite non seulement pour prendre

contact avec les autorités allemandes d'occupation, pour la parution de l'Humanité par les soins de Marcel Cachin, mais, ce qui fut infiniment plus grave, la direction clandestine du Parti ordonna sans appel à ses militants responsables et surtout connus des masses ouvrières et populaires, responsables syndicaux et politiques, maires, etc., de se montrer au grand jour, de tenir des meetings.

Incroyable décision ! qui eut tout simplement le résultat suivant : les grands militants du Parti, comme Hénaff, Timbaud, Michels, et d'autres, furent repérés par les Allemands qui les arrêtèrent, et les embarquèrent à Châteaubriant où ils devaient les fusiller plus tard. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

Louis Althusser
Louis Althusser

Les troupes allemandes approchaient en rafale. Paul Reynaud avait annoncé qu'on se battrait dans le "réduit breton" mais, les une après les autres, les villes furent déclarées "ouvertes", dont Vannes. Nos officiers [étaient] sous le commandement du sinistre traître le général Lebleu, qui par peur des "communistes" que nous pourrions être ou devenir, nous empêcha de faire mouvement vers

la Loire, alors libre à Nantes, et de passer au Sud. Il nous tint reclus dans notre caserne, SOUS NOTRE PROPRE GARDE, même quand les Allemands furent arrivés avec leurs chars. "Si vous abandonnez votre poste, vous serez tenus pour déserteurs et fusillés !"