Tahar Djaout
Tahar Djaout

Comme il va être dur de devoir désormais parler de toi au passé! Quelques heures après ta mort, que ta famille et tes amis ignoraient encore, un universitaire qui venait d’assister à ce colloque d’Oujda d’où tu revenais toi aussi m’entretenait de toi. Il me disait, entre autres, que tu avais passé sept heures à la frontière; trois heures et demie du coté algérien et autant du

coté marocain.

En dépit de ce que tu as donné à la culture maghrébine, tu demeurais un citoyen comme les autres, un homme qui n’a jamais demandé de privilèges qui a, au contraire, refusé tous ceux qui lui ont été proposés.

Depuis le prix littéraire qui a couronné ton premier roman et que tu as refusé d’aller recevoir, tu t’es méfié de toutes les

récompenses parce que tu savais qu’elles demandaient des contreparties. Tu n’étais pas de ces écrivains qui voyagent dans les délégations officielles, dans les bagages des ministres ou des présidents, et qui poussent parfois le cynisme jusqu’a écrire, une fois rentrés, des articles contre les intellectuels aux ordres des pouvoirs !

Tes rapports avec le pouvoir (tous les

pouvoirs) ont été très clairs; une distance souveraine. Tu étais, au lendemain de l’indépendance, président de la première Union d’écrivains algériens. Mais le jour où l’on était venu t’informer que l’Union allait passer sous l’autorité du Parti, tu avais remis le tablier avec cette courtoisie seigneuriale qui t’est coutumière. Tu n’acceptais aucune contrainte, aucun

boulet à ton pied, aucune laisse a ton cou. Tu étais par excellence, UN HOMME LIBRE. Et c’est ce que AMAZIGH veut dire. Cette liberté t’a coûté cher.

De toutes façons, tu en savais le prix et tu l’as toujours accepté. Tu as été peut-être le plus persécuté des intellectuels algériens, toi l’un des fils les plus valeureux que cette nation ait jamais engendré. Le

soir où la télévision avait annoncé laconiquement et brutalement ta mort, je ne pus m’empêcher, en dépit de l’indicible émotion, de remarquer que c’était la deuxième fois qu’elle parlait de toi; la première fois pour t’insulter lorsque, en 1980, une campagne honteusement diffamatoire a été déclenchée contre toi et la deuxième fois, neuf ans plus tard, pour nous annoncer ta

disparition.

La télévision de ton pays n’avait aucun document à nous montrer sur toi. Elle ne t’avait jamais filmé, elle ne t’avait jamais donné la parole, elle qui a pérennisé en des kilomètres de pellicule tant d’intellectuels approximatifs, tant de manieurs de plume aux ordres du pouvoir. Mais je vais clore là le chapitre navrant et long des brimades. Ce serait

faire affront à ta générosité et à ta noblesse d’âme que de m’attarder à l’énumération des injustices, des diffamations qui glissaient sur toi comme de simples égratignures, qui te faisaient peut-être mal à l’intérieur mais ne transparaissaient pas.

Tes préoccupations étaient ailleurs, tu avais autre chose à faire. Et puis, tu respectais trop les autres, même

lorsqu’ils te faisaient du mal. Sans avoir jamais prétendu donner de leçon, ta vie, ton comportement, ton courage et ton intégrité constituaient en eux-mêmes un exemple et une leçon. C’est pourquoi, toi l’homme modeste et brillant qui ne se montre gêné et pris de court que lorsqu’il s’agit de lui-même, tu as toujours été au cœur de ce qui fait ce pays.

Et les 200

000 personnes venues de toute l’Algérie escalader ces “chemins qui montent” pour t’accompagner à ton ultime demeure au cœur du Djurdjura témoignent en quelque sorte de cela. Toi l’homme pacifique et courtois, toi qui ne claques les portes que lorsqu’un pouvoir ou une chapelle quelconque tente de t’embrigader, tu as aidé, non par des déclarations fracassantes, mais par ta

lucidité, par ton travail intellectuel minutieux et soutenu, au lent cheminement de la tolérance et de la liberté.

Qui peut oublier les débuts de l’année 80 ? Des hommes qui nient une partie de la culture de ce peuple (tout le monde heureusement a oublié leurs noms, car ce ne sont pas des noms que l’histoire retient) t’interdisent de prononcer une conférence sur la poésie

kabyle. De partout, de Bejaia, de Bouira, de Tizi-Ouzou, la Kabylie se lève pour défendre ses poètes. Et c’est toute l’Algérie qui, peu a peu, année après année, rejettera les baillons, les exclusions, les intolérances, la médiocrité et qui un jour d’octobre descendra dans la rue pour l’affirmer en versant une fois encore son sang. Toi, l’humaniste sceptique et indépendant qui

n’a jamais assené de vérité, qui n’a jamais jugé personne, tu étais, presque malgré toi, en amont d’une prise de conscience.

Et voici que nous devons désormais nous passer de ta présence chaleureuse et brillante, de ta superbe intelligence, de ta bonne humeur à toute épreuve, de ton endurance physique (on peut difficilement t’imaginer malade, par exemple) qui te

faisait faire des centaines de kilomètres par jour pour aller donner bénévolement une conférence et remonter tout de suite après dans ta voiture. Tu es mort au volant de ta 205 (une voiture de jeune) comme le jeune homme fougueux que tu as toujours été. Sois rassuré, Da Lmulud, la dernière image que je garderai de toi ce n’est pas celle, émouvante, du mort accidenté que j’ai vu mais

celle de ce jeudi 16 février ou nous nous étions retrouvés avec d’autres amis a Ighil-Bwamas pour discuter du tournage d’un film. Tu étais élégant et alerte comme toujours, en tennis. Tu étais le premier au rendez-vous. Tu nous plaisantais sur notre retard, disant que tu croyais te tromper de jour. Tu étais aussi le premier à repartir, toujours disponible et toujours pressé.

Tu avais beaucoup de choses à faire, à donner à cette culture que tu as servie généreusement, sans rien demander en retour, supportant au contraire avec dignité les brimades que ton travail t’attirait. Tu étais impatient en ce jeudi 16 février comme si tu savais déjà que le temps pressait. Je te vois monter dans ta 205 et démarrer bruyamment sur la route difficile tandis que nous

étions encore à bavarder.

C’était la dernière fois que je devais te voir vivant. La jeunesse assoiffée de culture et de liberté t’a toujours reconnu comme l’une de ses figures symboliques, quelques intellectuels et artistes t’ont toujours témoigné amitié, respect ou admiration dans les moments les plus difficiles.

Mais ces derniers mois, c’est tout le

monde intellectuel et médiatique algérien qui a commencé à comprendre ton importance et qui a recherché ton point de vue. C’est vrai que certains médias, qui avaient peur de “se compromettre”, te sont demeurés fermés jusqu’à ta mort. Mais que de projets auxquels des gens voulaient t’associer ! que de journaux t’ont interviewé ! Et toi, porté et comme enivré par cette brise

de liberté, tu te démenais, tu prenais ta voiture, sillonnais les routes et te rendais partout ou l’on te sollicitait.

Oran, Ain-El-Hammam (où tu devais rendre hommage a Si Mohand ou Mhand et où l’on t’avait offert un burnous), Bejaia. Et enfin Oujda. Au mois de janvier, à Bejaia, ta conférence sur la culture berbère a drainé tellement de monde qu’aucun édifice ne

pouvait le contenir. Et c’est dans le stade de la ville que des milliers de gens t’ont écouté et ont discuté de leur culture. Quelle belle revanche sur l’interdiction de ta conférence en 1980 ! Quel trajet parcouru depuis cette date sur le chemin de l’expression libre !

Je te revois à cette époque ou nous préparions l’entretien qui allait paraître aux éditions

Laphomic. Je me rappelle la vivacité de ton intelligence, ton sens de la répartie, ta pudeur et ta gêne lorsque nous sortions du domaine de l’esthétique ou des idées et que je te demandais de parler de toi-même (ton combat nationaliste, par exemple, ton militantisme au MTLD, ce que tu as souffert durant la guerre, tu ne les évoquais jamais même lorsqu’on te contestait ton passé ou

qu’on t’en fabriquait un autre). Je me rappelle surtout ta jeunesse indéfectible. Je nous revois prenant des glaces dans l’un de ces innombrables salons de thé qui encombrent la rue Ben Mhidi ou dans le café “Le Véronèse” a Paris.

Tu seras toujours près de nous, éternel jeune homme des Ath Yenni et d’Algérie….

Qim di lehna

Cette lettre a

été écrite par Tahar Djaout après la mort (le 25 février 1989) de Mouloud Mammeri, et publiée dans le journal Algérie Actualités. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          401

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Je sais l'oiseau, rire embusqué
Au coeur de chaque saule qui tremble.

Je sais l'oiseau sur l'olivier
Et la bigarrure de sa queue.

Je sais l'oiseau-ma main s'y brûle -
Fléché comme une flamme dans l'azur.

Je sais l'oiseau au coeur qui bat,
L'oiseau posé comme une plainte
Sur l'arbre assailli de chasseurs.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Il s'était même demandé un jour, par simple désir d'argumenter, pourquoi les femmes, elles, ne quittaient pas les hommes stériles. Sans doute parce que,
avait-il conclu, les enfants n'étaient jamais perçus comme une descendance de femme, mais seulement comme une descendance d'homme. La femme n'a pas de postérité.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Ce qui est effrayant chez cette nouvelle génération de dévots zélés, c'est sa négation même de toute joie, son refus de toute opinion différente, son rêve de soumettre le monde aux rigueurs d'un dogme inflexible.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

L'indépendance recouvrée du pays ainsi que son statut de combattant libérateur, qui lui ont permis de s'installer aux abords de la capitale
convoitée, l'ont du même coup arraché à ses pacages et aux odeurs champêtres de son enfance. Une fois dissipés la fierté d'habiter à proximité du pouvoir, l'émerveillement devant le carrelage, l'électricité et l'eau courante, il se sentit

comme un fauve en cage, comme une plante coincée dans le béton. Il se mit à éprouver un besoin douloureux de buissons, la nostalgie de voir grandir les poussins et les agneaux, de humer les odeurs fortes de l'étable, des brebis qui ont mis bas, des boucs au poil mouillé et fumant. Il rêvait aussi d'un feu de bois, de la terre profonde et moite où macéraient les feuilles mortes. Il parlait

beaucoup de la campagne, il y allait même parfois. Mais les visites ne lui suffisaient pas, il aurait aimé y reprendre racine, s'y enfoncer jusqu'à la taille, sentir monter en lui la rumeur des insectes et des germinations, les frémissements des bêtes tapies qui attendent de bondir
sur la proie ou de détaler devant le prédateur. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie 

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Tahar Djaout
Tahar Djaout

Notre religion récuse les créateurs pour leur ambition et leur manque
d'humilité; oui , elle les récuse par souci de préserver la société des tourments qu'apporte l'innovation. Vous savez en outre, comme moi , que nous constituons aujourd'hui un peuple de consommateurs effrénés et de farceurs à la petite semaine. Des combinards, oui, il en existe, des bricoleurs aussi qui font

dans le trompe-l'œil et immédiatement utilitaire. Mais l'inventeur - auquel se rattachent des notions aussi dépaysantes que l'effort, la patience, le génie, le désintéressement - relève d'une race encore inconnue chez nous.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Ils ont compris le danger des mots, de tous les mots qu'ils n'arrivent pas à domestiquer et à anesthésier. Car les mots, mis bout à bout, portent le doute, le changement. Il ne faut surtout pas que les mots entretiennent l'utopie d'une autre forme de vérité, de chemins insoupçonnés, d'un autre lieu de la pensée. On ne se défait pas facilement de l'utopie: c'est un acide qui creuse, dans

l'opacité du dogme, des trous où se loge la controverse, où prolifèrent les questions. Ceux qui, défiant l'injonction, s'agrippent aux mots incontrôlés, doivent être mis hors d'état de nuire. Par le baillonnement, la liquidation si nécessaire. Car le monde appartient désormais aux thérapeutes de l'esprit, la ville retentit de leurs oraisons et de leurs pas cadencé.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Il faudra arriver à ce que les journalistes fassent leur travail et les policiers le leur, sans interférence et sans confusion.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

On ne peut pas agir en dehors du droit. Ce n'est pas à nous de supplanter les forces de l'ordre, même si notre cause est juste.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

RAISON DU CRI


s’il n’y avait ce cri,
en forme de pierre aiguë
et son entêtement à bourgeonner

s’il n’y avait cette colère,
ses élancements génésiques
et son soc constellant,

s’il n’y avait l’outrage,
ses limaces perforantes
et ses insondables dépotoirs,

l’évocation ne serait plus

qu’une canonnade de nostalgies,
qu’une bouffonnerie gluante,

le pays ne serait plus
qu’un souvenir-compost,
qu’un guet-apens

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Lui qui espérait enfin se reposer et éprouver, dans le paradis des commodités urbaines, ce bonheur providentiel auquel rien ne le prédisposait , il ne réussit jamais à se sentir chez lui et à s'enraciner dans ce terreau inhospitalier. A défaut d'y pouvoir s'enfoncer avec la lourdeur et la confiance d'un olivier, il s'était
contenté de s'y incruster avec la fragilité du lichen.

Ses racines inexpugnables, son feuillage sensible et bruissant, la solidarité de ses branches étaient toujours tendus vers le village, vers la région natale.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Seules les mathématiques sont un refuge .Refuge contre l'amour,refuge contre la naissance de ce sentiment qui vous fait voir le monde plat...
...Non, je ne serai jamais mathématicien :car la vérité ne veut rien dire.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Demain , il fera peut-être plus beau.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Les peuples, en période de paix, instaurent des procédures compliquées, un chapelet d'arguties pour légiférer sur l'inutile, noyer le poisson dans l'eau et
permettre ainsi à des coupables méritant châtiment de passer à travers les ailles de byzantines législations.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Ce qu'il faudrait promouvoir, c'est une éthique du suicide. Apprendre aux gens à franchir le pas, à transcender cette lâcheté qui les empêche de s'accomplir dans le néant définitif.

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Au lendemain de la guerre de l’indépendance, un village reculé dans le nord de l’Algérie cache entre ses montagnes une blessure irréfutable de ses jeunes hommes braves qui ont été cisaillés par la guerre en pleine floraison et les vieillards de ce village qui n’acceptent jamais cette morte-formalité qui d’après eux ne sert à rien et n’apitoie personne, alors que la djamaa

c’est tout ce qui leur reste et ce qu’ils exigent qui on les y laisse somnoler en paix et en même temps ils ont crée une nouvelle habitude dans le village un sentiment de gène intenable et leurs discussions tournent autour les jeunes qui sont tombés en batail, ils revendiquèrent jusqu'à leurs derniers souffle une sépulture digne à ses morts c’est la seule chose qui peut les consoler.

Une famille de ce village renvoie deux émissaires à la recherche des ossements de leur fils ainé, le narrateur de cette histoire est un adolescent kabyle et d’ailleurs c’est son frère qui est tombé aux champs d’honneur. Le narrateur et son compagnon qui ne connaissaient rien de cette vie absurde aient farfouillé dans les registres de morts. Cette histoire se présente sous forme

d’une trame linéaire avec la dimension de l’hybridité ; un appel au contexte socioculturel, économique …etc. avec beaucoup de poésie. Il décrit la nature, les environs, l’immobilisation de la société et l’abus du pouvoir dans un style sérieux et ironique, à l’aide d’une formule d’humour noir qui souligné avec cruauté, amertume et désespoir contre ce village tyrannique

et surtout un contraste contre ce voyage inutile. Cette supercherie qui a posé beaucoup d’interrogations ; pourquoi faire ce voyage pour ramener les cendres de ce qui ont souvent choisit la guerre pour s’échapper de leurs village natal. Un voyage qui s’est réalisé sous un appel digne et qu’il s’est clôturé sur une suspension ! Maintenant nous avons les os, ils s’entrechoquent

comme des pièces de monnaie à chaque fois que l’âne trébuche ou borde les chemins encaissés.ils ont pénétré le village mais juste l’âne qu’est en vie. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          40

Tahar Djaout
Tahar Djaout

Le moindre petit cul qui frétille dans la rue , et les voilà tous derrière.La femme est faite pour la maison; dès qu'elle sort elle ne peut ramener que déshonneur.,