L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-leonie-fahjen-928.png)
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-marius-venter-165.png)
Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences.
Dans cet extrême j'ai vu en quelque sorte la négation du noir.
Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir
de peindre.
Mon instrument n'était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-elijah-o'donnell-4.png)
Enfant, j'aimais peindre, dessiner. On me donnait des couleurs mais je préférais tremper mon pinceau dans l'encrier.
"Que dessines-tu ?" m'avait demandé ma mère, en me voyant peindre à l'encre noire. J'avais répondu "De la neige."
Tout le monde avait bien ri, mais j'avais saisi quelque chose, le contraste.
(Interview "Le Monde" du 25 Novembre 2019)
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-elijah-o'donnell-4.png)
Dans la centième année, j’ai toujours plaisir à peindre.
(Très bon anniversaire, Monsieur Soulages.
Et un joyeux Noël à tous)
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Outrenoir : le noir devient émetteur de clarté. Ce sont des différences de textures, lisses, fibreuses, calmes, tendues ou agitées qui captant ou refusant la lumière font naître les noirs gris ou les noirs profonds. Le reflet est pris en compte et devient partie intégrante de l'oeuvre : il y intègre la lumière que reçoit la peinture et la restitue avec sa couleur transmutée par le noir.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-elijah-o'donnell-4.png)
Dans ces peintures, les Outrenoirs, la toile se fait devant vous, en fonction de vous, au moment de votre regard et à l’endroit où vous la découvrez. Si vous faites un pas de côté, ou si l’éclairage change, que le soleil tourne ou que le soir tombe, la lumière et son espace s’en trouvent complètement transformés.
(p.113)
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-simon-migaj-747.png)
(...) je peins d'abord pour moi ; je ne crains pas de le dire, c'est pour que ma vie soit possible. Je peins parce que j'ai besoin de peindre. Mais je considère que ma peinture ne devient de l'art qu'à partir du moment où elle est vue, où elle est regardée par d'autres et où elle est comme une oeuvre d'art c'est à dire comme une chose que d'autres regardent et vivent à leur manière.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-elijah-o'donnell-4.png)
Un jour de janvier 1979, je peignais et la couleur noire avait envahi la toile. Cela me paraissait sans issue, sans espoir. Depuis des heures, je peinais, je déposais une sorte de pâte noire, je la retirais, j’en ajoutais encore et je la retirais. J’étais perdu dans un marécage, j’y pataugeais. Cela s’organisait par moments et aussitôt m’échappait.
Cela a duré des heures, mais puisque je continuais, je me suis dit qu’il devait y avoir là quelque chose de particulier qui se produisait dont je n’étais pas conscient [...]. Je suis allé dormir. Et quand, deux heures plus tard, je suis allé interroger ce que j’avais fait, j’ai vu un autre fonctionnement de la peinture : elle ne reposait plus sur des accords
ou des contrastes fixes de couleurs, de clair et foncé, de noir et de couleur ou de noir et blanc. Mais plus que ce sentiment de nouveauté, ce que j’éprouvais touchait en moi des régions secrètes et essentielles. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         71
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-riccardo-bresciani-307.png)
Ces peintures ont d'abord été appelées Noir-Lumière, désignant ainsi une lumière inséparable du noir qui la reflète. Pour ne pas les limiter à un phénomène optique, j'ai inventé le mot outrenoir, au-delà du noir, une lumière transmutée par le noir et, comme outre-Rhin et outre-Manche désignent un autre pays, outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du
simple noir.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-daria-shevtsova-161.png)
En éprouvant, en vivant les rapports de couleurs, de formes, l'espace, les structures, les rythmes qui sont propres à un artiste, on est introduit à une nouvelle manière de réagir, d'éprouver et de comprendre le monde ; ainsi naissent entre les hommes et le monde de nouveaux rapports, une nouvelle réalité. Cette peinture qui a l'air coupée du monde est cernée par le monde et lui doit son
sens.
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-leonie-fahjen-928.png)
Pierre Soulages: Le sacré n'est pas le religieux, tout le monde le porte en soi
Charles Juliet: La réalisation des cent quatre vitraux de Conques vous a mobilisé de 1986 à 1994. Etait-ce une parenthèse dans votre oeuvre ou sa continuité ?
Sa continuité, car j'ai toujours travaillé la lumière. La lumière se reflète sur la surface fibreuse, lisse ou tourmentée de
mes peintures noires, de même qu'elle traverse mes vitraux à Conques. Son rôle est primordial dans l'architecture de l'abbatiale. Pour respecter rigoureusement cet espace, j'ai inventé un verre incolore, qui coupe le regard de l'extérieur — il peut ainsi se concentrer sur la beauté de l'endroit. Mais ce n'est pas un verre uniforme : ses grains sont variés et ces variations créent un
chromatisme. Ainsi, des changements se produisent du matin au soir : dans un tel lieu, il convient de marquer l'écoulement du temps.
C.J: S'agissant d'un édifice religieux, le caractère sacré de cette lumière a-t-il influé ?
Le sacré n'a pas précédé mon travail, il y est arrivé naturellement. Autrefois, quand des gens entraient dans l'abbatiale, ils bavardaient.
Aujourd'hui, ils chuchotent. La lumière provoque le recueillement. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         60
![Pierre Soulages](images/avatarlar/pexels-marius-venter-165.png)
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche. Ma peinture est un espace de questionnement où les sens qu'on lui prête peuvent se faire et se défaire.
Parce qu'au bout du compte, l'oeuvre vit du regard qu'on lui prête . Elle ne se limite ni à ce qu'elle est, ni à celui qui l'a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde.
Je ne demande rien au spectateur, je lui
propose une peinture : il en est le libre et nécessaire interprète.