- [...] Donc, souviens-toi que même les policiers ont parfois besoin de chance.
- Ce qui est sûr, dit Habib, c'est que j'ai reçu la plus belle leçon d'humilité de ma vie. J'ai rencontré des personnes qui mettent l'homme au centre du monde. S'ils commettent un crime, ce n'est jamais pour défendre des intérêts personnels, mais pour sauver leur honneur et maintenir les fondements de leur société. Pour eux, les mots ont un sens. Ils vivent peut-être en dehors du temps,
ils s'accrochent peut-être à un monde condamné à disparaître, mais ce monde a un sens. Je ne justifie pas les crimes, je constate seulement.
Comme je le dis toujours à Rosso, la société malienne est complexe. Y mener une enquête policière comme on le ferait en France n'est pas toujours évident, car d'une coutume à l'autre les coutumes varient. C'est une société où l'islam, le christianisme cohabitent et se mélangent avec l'animisme ; le Mali d'hier ne s'estime pas vaincu par le Mali des temps modernes. Il faut donc
toujours se rappeler de cette diversité quand on mène une enquête ici.
- [Issa] est un promotionnaire de lycée. De sciences exactes. Médiocre et paresseux.
- Il est pourtant devenu conseiller du ministre de la Sécurité intérieure!
- Eh oui, Sosso, c'est aussi ça la vie. Il payait pour pouvoir copier sur ses voisins. Ses parents avaient de l'argent. C'étaient des commerçants. Commerçants, un peu trafiquants aussi. En tous cas, il a tout
acheté, jusqu'à son diplôme. Et comme son père est le gros bailleur de fonds du parti au pouvoir, il a en quelque sorte acheté aussi sa fonction de conseiller. L'argent, ce n'est pas rien, mon petit, par les temps qui courent. Si ce n'est pas malheureux...
Faire en sorte qu'il y ait moins de vols quand il y a de plus en plus de misérables ; faire en sorte qu'il y ait moins d'avortements clandestins quand de plus en plus de femmes n'ont que leur corps à offrir ; faire en sorte qu'il y ait moins de drogués parmi les enfants quand tous les parents baissent les bras et que les familles volent en éclat! Tu verras, Sosso, on te demandera de trouver
des solutions à des problèmes dont la caractéristique est de ne pas pouvoir être résolus tant que la terre sera habitée par des hommes et non par des anges.
- Mais dis, c'est vrai que c'est une jeune Peule ? demanda le policier français tout en continuant à se marrer.
- Vu le portrait que tu en fais, j'en suis sûr, confirma Sosso avant d'ajouter : heureusement que tu l'as pas abordée. Si elle était mariée et si son mari te voyait, alors, mon pauvre vieux, t'étais fichu.
En fait, c'est comme si tu me disais : "Fais comme font les autres, rentre dans le rang et ne cherche pas plus loin."
Si tu le monde courbait la tête, avalait sa conscience, tu imagines dans quel état serait notre pays ?
Je ne veux pas être une exception, je veux être honnête, c'est tout.
– La vie est une marche. Qu’on aille en avion, à vélo, en pirogue ou à moto, la vie ne sera jamais qu’une marche. Il arrive fatalement le jour où l’on fait un faux pas. Alors, ce jour-là, la marche prend fin, la vie s’arrête. C’est le lot de tout ce qui respire, hommes et animaux. Ne pas marcher, c’est mourir; marcher, c’est mourir un jour. Nous disons bien que le soleil est
tombé, n’est-ce pas ? Eh bien, s’il tombe, c’est qu’il a marché. Vous me direz oui, mais il renaît chaque jour. Erreur, le soleil ne renaît pas. C’est une illusion : c’est un nouveau soleil qui naît. Sinon, si c’était le même soleil qui renaissait sans cesse, ne nous apporterait-il pas les mêmes choses tout le temps ? Lundi n’est pas mardi, mardi n’est pas mercredi, et
mercredi n’est pas jeudi. Le lundi de cette semaine n’est pas pareil que le lundi de la semaine prochaine. Ils portent le même nom, c’est tout. Est-ce que vous m’avez compris ?
– Oui, c’est la pure vérité, confirma le commissaire, car l’homme qui se relève n’est pas le même que celui qui est tombé. C’est pourquoi chacun de nous vit un matin et un soir. Celui qui
ne comprend pas cette vérité ne comprend rien à la vie.
L’hôte regarda de nouveau le commissaire en hochant la tête : il n’y avait pas de doute, le dialogue avec lui était possible. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         160
- [...] Tu sais, mon gros, la police, ce n'est pas une science exacte : il y a la logique, l'intuition, la chance, etc.
- Donc les imams sont venus me demander de me laver les mains de l'enquête, parce qu'ils trouvent que ça va trop lentement, et craignent des conflits entre tribus. Ils nous demandent donc de nous préparer à regagner Bamako dès demain. Ils ont un marabout-devin qui pourrait résoudre l'énigme de la mort d'Ibrahim en moins de 72 heures. En somme, ils nous ordonnent de plier bagages
immédiatement. Voilà ! Qu'en dites-vous ? (Habib)
Sosso et Guillaume ne cachèrent pas leur indignation qui se manifesta par des grognements. Touré, lui, paraissait plus serein. Il se contenta de sourire et répondit ainsi à Habib :
- C'est vrai que ce n'est pas toujours facile. On a parfois l'impression de recevoir des directives de deux gouvernements. C'est comme ça, on n'y peut
rien.
- ça rend schizophrène, cette façon d'être soumis à des structures parallèles, fit remarquer le jeune français. J'avoue que moi, je ne saurais pas que faire en pareil cas.
Dans ce pays rocailleux et tourmenté, entre plaines, falaises et plateaux, Pigui est un village dogon parmi d’autres. Ses cases et ses greniers de terre s’accrochent miraculeusement au flanc de l’immense falaise qui caractérise la région dogon. Ibi, Banani, Neni, Ireli, Yaye, Tireli, une multitude de hameaux qui semblent là depuis l’éternité, qui sommeillent, hors du temps. Il y a
aussi Komokani, Dyeli, Ynebere, Guimini, Kassongo, imprudemment assis au flanc de la falaise ou blottis entre deux ou trois énormes rochers, dans la plaine ou sur le plateau. Ces terres arides, rocailleuses, ravinées, où tout porte l’empreinte d’une érosion sans fin, sont à l’image de la vie rude de leurs habitants. Ici, il n’y a que la sueur de l’homme pour faire verdir les
rochers. Si, quelquefois, un marigot offre son eau, c’est juste pour assurer la survie. La nature n’écrase pas l’homme, elle le minimise. À première vue, comme Pigui, les villages dogons paraissent inhabités, semblables à des sites préhistoriques récemment mis au jour. Tout est couleur de terre : les rochers, les habitations et les hommes. Et, comme il y a peu d’âmes, les humains
se confondent avec les rochers et les demeures. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie         90
Après l’étendue sablonneuse, ils abordèrent un terrain marécageux que le soleil avait desséché et transformé en un conglomérat de grandes plaques argileuses aussi dures que du roc, entre lesquelles poussaient des touffes d’herbe jaunâtre ; puis ils escaladèrent un monticule au-delà duquel se dressaient des cabanes. De loin, on apercevait des filets de pêche étalés sur les toits
de chaume ou fixés au sol par des pieux, des épaves de pirogues dans lesquelles s’amusaient des enfants nus et criards. L’herbe devenait plus verte, mais demeurait tout aussi drue, de même que la végétation se résumait à quelques arbustes rugueux et rabougris.