Hector Berlioz
Hector Berlioz

J’avais passé plusieurs mois dans l’espèce d’abrutissement désespéré dont j’ai seulement indiqué la nature et les causes, songeant toujours à Shakespeare et à l’artiste inspirée, à la fair Ophelia dont tout Paris délirait, comparant avec accablement l’éclat de sa gloire à ma triste obscurité ; quand me relevant enfin, je voulus par un effort suprême faire rayonner

jusqu’à elle mon nom qui lui était inconnu. Alors je tentai ce que nul compositeur en France n’avait encore tenté.

J’osai entreprendre de donner, au Conservatoire, un grand concert composé exclusivement de mes œuvres. «Je veux lui montrer, dis-je, que moi aussi je suis peintre !» Pour y parvenir, il me fallait trois choses : la copie de ma musique, la salle et les

exécutants.

Dès que mon parti fut pris, je me mis au travail et je copiai, en employant seize heures sur vingt-quatre, les parties séparées d’orchestre et de chœur, des morceaux que j’avais choisis.

Mon programme contenait : les ouvertures de Waverley et des Francs-Juges ; un air et un trio avec chœur des Francs-Juges ; la scène Héroïque Grecque et ma cantate

la Mort d’Orphée, déclarée inexécutable par le jury de l’Institut. Tout en copiant sans relâche, j’avais, par un redoublement d’économie, ajouté quelques centaines de francs à des épargnes antérieures, au moyen desquelles je comptais payer mes choristes. Quant à l’orchestre, j’étais sûr d’obtenir le concours gratuit de celui de l’Odéon, d’une partie des musiciens de

l’Opéra et de ceux du théâtre des Nouveautés.

La salle était donc, et il en est toujours ainsi à Paris, le principal obstacle. Pour avoir à ma disposition celle du Conservatoire, la seule vraiment bonne sous tous les rapports, il fallait l’autorisation du surintendant des Beaux-Arts, M. Sosthènes de Larochefoucault, et de plus l’assentiment de Cherubini.

M. de

Larochefoucault accorda sans difficulté la demande que je lui avais adressée à ce sujet. Cherubini, au contraire, au simple énoncé de mon projet, entra en fureur.

— Vous voulez donner un concert ? me dit-il, avec sa grâce ordinaire.

— Oui, monsieur.

— Il faut la permission du surintendant des Beaux-Arts pour cela.

— Je l’ai

obtenue.

— M. de Larossefoucault y consent ?

— Oui, monsieur.

— Mais, mais, mais zé n’y consens pas, moi ; é é-é-zé m’oppose à ce qu’on vous prête la salle.

— Vous n’avez pourtant, monsieur, aucun motif pour me la faire refuser, puisque le Conservatoire n’en dispose pas en ce moment, et que pendant quinze jours elle va être

entièrement libre.

— Mais qué zé vous dis que zé né veux pas que vous donniez ce concert. Tout le monde est à la campagne, et vous né ferez pas de recette.

— Je ne compte pas y gagner. Ce concert n’a pour but que de me faire connaître.

— Il n’y a pas de nécessité qu’on vous connaisse ? D’ailleurs pour les frais il faut de l’arzent !

Vous en avez donc ?...

— Oui, monsieur.

— A... a... ah !... Et que, qué, qué voulez-vous faire entendre dans ce concert ?

— Deux ouvertures, des fragments d’un opéra, ma cantate de la Mort d’Orphée...

— Cette cantate du concours qué zé né veux pas ! elle est mauvaise, elle... elle... elle né peut pas s’exécuter.

Vous l’avez jugée telle, monsieur, mais je suis bien aise de la juger à mon tour... Si un mauvais pianiste n’a pas pu l’accompagner, cela ne prouve point qu’elle soit inexécutable pour un bon orchestre.

— C’est une insulte alors, qué... qué... qué vous voulez faire à l’Académie ?

— C’est une simple expérience, monsieur. Si, comme il est probable,

l’Académie a eu raison de déclarer ma partition inexécutable, il est clair qu’on ne l’exécutera pas. Si, au contraire, elle s’est trompée, on dira que j’ai profité de ses avis et que depuis le concours j’ai corrigé l’ouvrage.

— Vous né pouvez donner votre concert qu’un dimansse.

— Je le donnerai un dimanche.

— Mais les employés de

la salle, les contrôleurs, les ouvreuses qui sont tous attassés au Conservatoire, n’ont qué cé zour-là pour sé réposer, vous voulez donc les faire mourir dé fatigue, ces pauvre zens, les... les... les faire mourir ?...

— Vous plaisantez sans doute, monsieur : ces pauvres gens qui vous inspirent tant de pitié, sont enchantés, au contraire, de trouver une occasion de gagner

de l’argent, et vous leur feriez tort en la leur enlevant.

— Zé né veux pas, zé né veux pas ! et zé vais écrire au surintendant pour qu’il vous retire son autorisation.

— Vous êtes bien bon, monsieur ; mais M. de Larochefoucault ne manquera pas à sa parole. Je vais, d’ailleurs, lui écrire aussi de mon côté, en lui envoyant la reproduction exacte de la

conversation que j’ai l’honneur d’avoir en ce moment avec vous. Il pourra ainsi apprécier vos raisons et les miennes. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

M. de Larochefoucault accorda sans difficulté la demande que je lui avais adressée à ce sujet. Cherubini, au contraire, au simple énoncé de mon projet, entra en fureur.

— Vous voulez donner un concert ? me dit-il, avec sa grâce ordinaire.

— Oui, monsieur.

— Il faut la permission du surintendant des Beaux-Arts pour cela.

— Je l’ai

obtenue.

— M. de Larossefoucault y consent ?

— Oui, monsieur.

— Mais, mais, mais zé n’y consens pas, moi ; é é-é-zé m’oppose à ce qu’on vous prête la salle.

— Vous n’avez pourtant, monsieur, aucun motif pour me la faire refuser, puisque le Conservatoire n’en dispose pas en ce moment, et que pendant quinze jours elle va être

entièrement libre.

— Mais qué zé vous dis que zé né veux pas que vous donniez ce concert. Tout le monde est à la campagne, et vous né ferez pas de recette.

— Je ne compte pas y gagner. Ce concert n’a pour but que de me faire connaître.

— Il n’y a pas de nécessité qu’on vous connaisse ? D’ailleurs pour les frais il faut de l’arzent !

Vous en avez donc ?...

— Oui, monsieur.

— A... a... ah !... Et que, qué, qué voulez-vous faire entendre dans ce concert ?

— Deux ouvertures, des fragments d’un opéra, ma cantate de la Mort d’Orphée...

— Cette cantate du concours qué zé né veux pas ! elle est mauvaise, elle... elle... elle né peut pas s’exécuter.

Vous l’avez jugée telle, monsieur, mais je suis bien aise de la juger à mon tour... Si un mauvais pianiste n’a pas pu l’accompagner, cela ne prouve point qu’elle soit inexécutable pour un bon orchestre.

— C’est une insulte alors, qué... qué... qué vous voulez faire à l’Académie ?

— C’est une simple expérience, monsieur. Si, comme il est probable,

l’Académie a eu raison de déclarer ma partition inexécutable, il est clair qu’on ne l’exécutera pas. Si, au contraire, elle s’est trompée, on dira que j’ai profité de ses avis et que depuis le concours j’ai corrigé l’ouvrage.

— Vous né pouvez donner votre concert qu’un dimansse.

— Je le donnerai un dimanche.

— Mais les employés de

la salle, les contrôleurs, les ouvreuses qui sont tous attassés au Conservatoire, n’ont qué cé zour-là pour sé réposer, vous voulez donc les faire mourir dé fatigue, ces pauvre zens, les... les... les faire mourir ?...

— Vous plaisantez sans doute, monsieur : ces pauvres gens qui vous inspirent tant de pitié, sont enchantés, au contraire, de trouver une occasion de gagner

de l’argent, et vous leur feriez tort en la leur enlevant.

— Zé né veux pas, zé né veux pas ! et zé vais écrire au surintendant pour qu’il vous retire son autorisation.

— Vous êtes bien bon, monsieur ; mais M. de Larochefoucault ne manquera pas à sa parole. Je vais, d’ailleurs, lui écrire aussi de mon côté, en lui envoyant la reproduction exacte de la

conversation que j’ai l’honneur d’avoir en ce moment avec vous. Il pourra ainsi apprécier vos raisons et les miennes.

Je l’envoyai en effet telle qu’on vient de la lire. J’ai su, plusieurs années après, par un des secrétaires du bureau des Beaux-Arts, que ma lettre dialoguée avait fait rire aux larmes le surintendant. La tendresse de Cherubini pour ces pauvres

employés du Conservatoire que je voulais faire mourir de fatigue par mon concert, lui avait paru surtout on ne peut plus touchante. Aussi me répondit-il immédiatement comme tout homme de bon sens devait le faire, et, en me donnant de nouveau son autorisation, ajouta-t-il ces mots dont je lui saurai toujours un gré infini : «Je vous engage à montrer cette lettre à M. Cherubini qui a reçu à

votre égard les ordres nécessaires.» Sans perdre une minute, après la réception de la pièce officielle, je cours au Conservatoire, et, la présentant au directeur : «Monsieur, veuillez lire ceci.» Cherubini prend le papier, le lit attentivement, le relit, de pâle qu’il était, devient verdâtre, et me le rend sans dire un seul mot. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie 

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Marilyse Trécourt
Marilyse Trécourt

LES notes de piano s’enchaînent tout doucement, les unes après les autres, comme si le pianiste craignait de me réveiller. Puis il accélère, tout en gardant un toucher léger, aérien, tel un papillon se posant sur une fleur. La main reproduit ce rythme inlassablement, totalement sous l’emprise de la mélodie. Elle s’active, ralentit, repart de plus belle et dépose quelques nuances de

vert ici, une ondée bleutée par-là, et des touches de rose encore ici.

Greil Marcus
Greil Marcus

Dylan demanda à Bloomfield de lui trouver un groupe. Accompagné d'Al Kooper, Bloomfield recrute le batteur Sam Lay et le bassiste Jerome Arnold, venus du groupe de Butterfield, et le pianiste Barry Goldberg. Ils répétèrent toute la nuit. Le soir suivant, le 25 juillet, ils montèrent sur scène. "Je portais un Levi's, une chemise à col boutonnée et une veste", raconte Bloomfield. "Les

noirs de Butterfield Band portaient des chaussures dorées et testaient d'autres styles de fringues pas encore à la mode. Dylan portait des habits de rocker : une veste de cuir noir, une chemise jaune sans cravate. Et il avait une Fender Stratocaster. Il avait l'air d'un personnage tout droit sorti de West Side Story.
" Le public le hue, lui crie de jeter sa guitare électrique", rapportait

Nelson à l’époque. Il y avait des sifflets et des hurlements et des cris et des acclamations. Le groupe joua un féroce "Maggie's Fram", avec Bloomfield en éclaireur, et un fracassant "Phantom Engineer", une chanson qui allait revenir sous un autre titre et une forme totalement différente sur Highway 61 Revisited. Entre les deux, se trouvait "Like a Rolling Stone", déjà sur toutes les

radios, et échappant donc à ses créateurs. Ils ne parvenaient pas à trouver la chanson. Elle se traînait et gémissait, jusqu'à ce qu'elle revienne finalement à ses origines, une valse, jusqu'à ce que Dylan cesse de la chanter et commence à la déclamer comme si c'était un discours. Musicalement, ce fut un non-événement. Mais du point de vue scénique, après la troisième -

et-au-dessus-de-la-ceinture- apparition d'Elvis au Ed Sullivan Show en 1957, et à la première des Beatles dans cette même émission en 1964, "Like a Rolling Stone" est peut-être l'événement le plus chroniqué de l'histoire de la musique populaire moderne. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          60

Hélène Grimaud
Hélène Grimaud

Je saisissais toute la force épique qu'indiquaient à la fois le cor avec le piano dans le premier mouvement et l'image de ce pianiste embarqué, de la harpe à tête d'homme, de la sirène en extase sur l'océan renversé par le souffle et l'écume

Jaume Cabré
Jaume Cabré

— Est-ce que vous savez si… — montrant la porte de maître Castells, derrière lui.
— Le pianiste ?
— Exactement.
— Grâce à Dieu, il est mort il y a… — Elle se tourna vers l'intérieur de l'appartement et cria : Taio, ça fait combien de temps ?
— Six mois, douze jours et trois heures ! répondit de loin une voix éraillée.
— Six mois, douze

jours et… — Criant à l'intérieur : Combien d'heures ?
— Trois ! — la voix éraillée.
— Et trois heures, répéta la femme à Adrià. Et grâce à Dieu, maintenant on est tranquilles et on peut écouter la radio sans être dérangés. Je ne sais pas comment il se débrouillait pour faire marcher son pianola tous les jours, tous les jours, à n'importe quelle heure.

[…]
— De la famille ?
— Oui.
— Non. Il vivait seul. — Vers l'intérieur de l'appartement : Hein qu'il n'avait pas de famille ?
— Non, rien que le foutu piano de mes couilles !

III. ET IN ARCADIA EGO, Chapitre 22.

Samuel Sutra
Samuel Sutra

C’est maintenant que commence sa journée. Elle se fera loin de la lumière du jour et de l’air du dehors. Pianiste de jazz, requin des studios et ombre vivante des clubs parisiens, il dort quand les autres vivent. Joue quand les autres dorment.