Augustin d'Hippone
Augustin d'Hippone

(21) Il vaut mieux (qui en doute?) amener par l'instruction les hommes au culte de Dieu que de les y pousser par la crainte de la punition ou par la douleur; mais, parce qu'il y a des hommes plus accessibles à la vérité, il ne faut pas négliger ceux. qui ne sont pas tels. L'expérience nous a prouvé, nous prouve encore que la crainte et la douleur ont été profitables à plusieurs pour se

faire instruire ou pour pratiquer ce qu'ils avaient appris déjà. On nous objecte cette sentence d'un auteur profane : « Il vaut mieux, je crois, retenir les enfants par la honte et l'honnêteté que par la crainte (Térence, Adelph., acte I, scène 1.). » Cela est vrai; les meilleurs sont ceux qu'on mène avec le sentiment, mais c'est la crainte qui corrige le plus grand nombre. Car, pour

répondre par le même auteur, c'est lui aussi qui a dit : « Tu ne sais rien faire de bien si on ne t'y force. » L'Ecriture divine dit à cause des meilleurs : « La crainte n'est pas dans la charité; mais la charité parfaite met la crainte dehors (I Jean, IV, 18.); » et, à cause de ceux qui valent moins et sont en plus grand nombre : « Ce n'est pas avec des paroles que le mauvais serviteur

sera corrigé; car lorsqu'il comprendra, il n'obéira point (Prov. XXIX, 19.). » En disant que des paroles ne le corrigeront point, l'Ecriture n'ordonne pas qu'on le délaisse, mais nous fait entendre ce qu'il faut faire : autrement elle ne dirait pas : « des paroles ne le corrigeront point, » mais seulement : « il ne se corrigera pas. » Aussi elle nous apprend, dans un autre endroit, que

non-seulement le serviteur, mais encore le mauvais fils, doit être châtié et avec grand profit; car, dit-elle, « tu le frappes de la verge, mais tu délivres son âme de la mort (Ibid. XXIII,14.), » et ailleurs : « Épargner le châtiment, c'est haïr son fils (Ibid. XIII, 24. ). » (…) Mais cependant, avant de devenir de bons fils et de désirer d'être dégagés des liens du corps

[littéralement : de la concupiscence] pour être avec le Christ (6. Philip. I, 23.), plusieurs, comme de mauvais serviteurs et en quelque sorte de méchants fugitifs, sont ramenés à leur Seigneur par le fouet des douleurs temporelles. (…) (23) Pourquoi l'Église ne forcerait-elle pas au retour les enfants qu'elle a perdus, puisque ces enfants perdus forcent les autres à périr? Si, au moyen

de lois terribles, mais salutaires, elle retrouve ceux qui n'ont été que séduits, cette pieuse mère leur réserve de plus doux embrassements et se réjouit de ceux-ci beaucoup plus que de ceux qu'elle n'avait jamais perdus. (…).

Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock

[...] Pourquoi est-ce qu'aucun personnage n'est réellement en danger ? Parce que nous racontons une histoire dans laquelle ce sont les méchants qui ont peur. C'est la grande faiblesse du film, car cela brise la grande règle : plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film.
Voilà la grande règle cardinale, or dans ce film le méchant est raté.

Alfred Hitchcock à

propos de Stage Fright (Le Grand Alibi)

Hector Berlioz
Hector Berlioz

X

Mon père me retire ma pension. — Je retourne à la Côte. — Les idées de province sur l’art et sur les artistes. — Désespoir. — Effroi de mon père. — Il consent à me laisser revenir à Paris. — Fanatisme de ma mère. — Sa malédiction.

L’espèce de succès obtenu par la première exécution de ma messe avait un instant ralenti les hostilités de

famille dont je souffrais tant, quand un nouvel incident vint les ranimer, en redoublant le mécontentement de mes parents.

Je me présentai au concours de composition musicale qui a lieu tous les ans à l’Institut. Les candidats, avant d’être admis a concourir, doivent subir une épreuve préliminaire d’après laquelle les plus faibles sont exclus. J’eus le malheur d’être

de ceux-là. Mon père le sut et cette fois, sans hésiter, m’avertit de ne plus compter sur lui, si je m’obstinais à rester à Paris, et qu’il me retirait ma pension. Mon bon maître lui écrivit aussitôt une lettre pressante, pour l’engager à revenir sur cette décision, l’assurant qu’il ne pouvait point y avoir de doutes sur l’avenir musical qui m’était réservé, et que la

musique me sortait par tous les pores. Il mêlait à ses arguments pour démontrer l’obligation où l’on était de céder à ma vocation, certaines idées religieuses dont le poids lui paraissait considérable, et qui, certes, étaient bien les plus malencontreuses qu’il pût choisir dans cette occasion. Aussi la réponse brusque, roide et presque impolie de mon père ne manqua pas de

froisser violemment la susceptibilité et les croyances intimes de Lesueur. Elle commençait ainsi : «Je suis un incrédule, monsieur !» On juge du reste.

Un vague espoir de gagner ma cause en la plaidant moi-même me donna assez de résignation pour me soumettre momentanément. Je revins donc à la Côte.

Après un accueil glacial, mes parents m’abandonnèrent pendant

quelques jours à mes réflexions, et me sommèrent enfin de choisir un état quelconque, puisque je ne voulais pas de la médecine. Je répondis que mon penchant pour la musique était unique et absolu et qu’il m’était impossible de croire que je ne retournasse pas à Paris pour m’y livrer. «Il faut pourtant bien te faire à cette idée, me dit mon père, car tu n’y retourneras jamais



À partir de ce moment je tombai dans une taciturnité presque complète, répondant à peine aux questions qui m’étaient adressées, ne mangeant plus, passant une partie de mes journées à errer dans les champs et les bois, et le reste enfermé dans ma chambre. À vrai dire, je n’avais point de projets ; la fermentation sourde de ma pensée et la contrainte que je subissais

semblaient avoir entièrement obscurci mon intelligence. Mes fureurs même s’éteignaient, je périssais par défaut d’air.

Un matin de bonne heure, mon père vint me réveiller ! «Lève-toi, me dit-il, et quand tu seras habillé, viens dans mon cabinet, j’ai à te parler !» J’obéis sans pressentir de quoi il s’agissait. L’air de mon père était grave et triste plutôt

que sévère. En entrant chez lui, je me préparais néanmoins à soutenir un nouvel assaut, quand ces mots inattendus me bouleversèrent : «Après plusieurs nuits passées sans dormir, j’ai pris mon parti... Je consens à te laisser étudier la musique à Paris... mais pour quelque temps seulement ; et si, après de nouvelles épreuves, elles ne te sont pas favorables, tu me rendras bien la

justice de déclarer que j’ai fait tout ce qu’il y avait de raisonnable à faire, et te décideras, je suppose, à prendre une autre voie. Tu sais ce que je pense des poëtes médiocres ; les artistes médiocres dans tous les genres ne valent pas mieux ; et ce serait pour moi un chagrin mortel, une humiliation profonde de te voir confondu dans la foule de ces hommes inutiles !»

Mon père, sans s’en rendre compte, avait montré plus d’indulgence pour les médecins médiocres, qui, tout aussi nombreux que les méchants artistes, sont non-seulement inutiles, mais fort dangereux ! Il en est toujours ainsi, même pour les esprits d’élite ; ils combattent les opinions d’autrui par des raisonnements d’une justesse parfaite, sans s’apercevoir que ces armes à deux

tranchants peuvent être également fatales à leurs plus chères idées.

Je n’en attendis pas davantage pour m’élancer au cou de mon père et promettre tout ce qu’il voulait. «En outre, reprit-il, comme la manière de voir de ta mère diffère essentiellement de la mienne à ce sujet, je n’ai pas jugé à propos de lui apprendre ma nouvelle détermination, et pour nous

éviter à tous des scènes pénibles, j’exige que tu gardes le silence et partes pour Paris secrètement.» J’eus donc soin, le premier jour, de ne laisser échapper aucune parole imprudente ; mais ce passage d’une tristesse silencieuse et farouche à une joie délirante que je ne prenais pas la peine de déguiser, était trop extraordinaire pour ne pas exciter la curiosité de mes sœurs ;

et Nanci, l’aînée, fit tant, me supplia avec de si vives instances de lui en apprendre le motif, que je finis par lui tout avouer... en lui recommandant le secret. Elle le garda aussi bien que moi, cela se devine, et bientôt toute la maison, les amis de la maison, et enfin ma mère en furent instruits.

Pour comprendre ce qui va suivre, il faut savoir que ma mère dont les opinions

religieuses étaient fort exaltées, y joignait celles dont beaucoup de gens ont encore de nos jours le malheur d’être imbus, en France, sur les arts qui, de près ou de loin, se rattachent au théâtre. Pour elle, acteurs, actrices, chanteurs, musiciens, poëtes, compositeurs, étaient des créatures abominables, frappées par l’Église d’excommunication, et comme telles prédestinées à

l’enfer. À ce sujet, une de mes tantes (qui m’aime pourtant aujourd’hui bien sincèrement et m’estime encore, je l’espère), la tête pleine des idées libérales de ma mère, me fit un jour une stupéfiante réponse. Discutant avec elle, j’en étais venu à lui dire : «À vous entendre, chère tante, vous seriez fâchée, je crois, que Racine fût de votre famille ?» — «Eh ! mon

ami... la considération avant tout !» Lesueur faillit étouffer de rire, lorsque plus tard, à Paris, je lui citai ce mot caractéristique. Aussi ne pouvant attribuer une semblable manière de voir qu’à une vieillesse voisine de la décrépitude, il ne manquait jamais, quand il était d’humeur gaie, de me demander des nouvelles de l’ennemie de Racine, ma vieille tante ; bien qu’elle

fût jeune alors et jolie comme un ange.

Ma mère donc, persuadée qu’en me livrant à la composition musicale (qui, d’après les idées françaises, n’existe pas hors du théâtre) je mettais le pied sur une route conduisant à la déconsidération en ce monda et à la damnation dans l’autre, n’eut pas plus tôt vent de ce qui se passait que son âme se souleva

d’indignation. Son regard courroucé m’avertit qu’elle savait tout. Je crus prudent de m’esquiver et de me tenir coi jusqu’au moment du départ. Mais je m’étais à peine réfugié dans mon réduit depuis quelques minutes, qu’elle m’y suivit, l’œil étincelant, et tous ses gestes indiquant une émotion extraordinaire ; «Votre père, me dit-elle, en quittant le tutoiement

habituel, a eu la faiblesse de consentir à votre retour à Paris, il favorise vos extravagants et coupables projets !... Je n’aurai pas, moi, un pareil reproche à me faire, et je m’oppose formellement à ce départ ! — Ma mère !... — Oui, je m’y oppose, et je vous conjure, Hector, de ne pas persister dans votre folie. Tenez, je me mets à vos genoux, moi, votre mère, je vous supplie

humblement d’y renoncer... — Mon Dieu, ma mère permettez que je vous relève, je ne puis... supporter cette vue... — Non, je reste !...» Et, après un instant de silence : «Tu me refuses, malheureux ! tu as pu, sans te laisser fléchir, voir ta mère à tes pieds ! Eh bien ! pars ! Va te traîner dans les fanges de Paris, déshonorer ton nom, nous faire mourir, ton père et moi, de honte

et de chagrin ! Je quitte la maison jusqu’à ce que tu en sois sorti. Tu n’es plus mon fils ! je te maudis !»

Est-il croyable que les opinions religieuses aidées de tout ce que les préjugés provinciaux ont de plus insolemment méprisant pour le culte des arts, aient pu amener entre une mère aussi tendre que l’était la mienne et un fils aussi reconnaissant et respectueux que

je l’avais toujours été, une scène pareille ?... Scène d’une violence exagérée, invraisemblable, horrible, que je n’oublierai jamais, et qui n’a pas peu contribué à produire la haine dont je suis plein pour ces stupides doctrines, reliques du moyen âge, et, dans la plupart des provinces de France, conservées encore aujourd’hui.

Cette rude épreuve ne finit pas là.

Ma mère avait disparu ; elle était allée se réfugier à une maison de campagne nommée le Chuzeau, que nous avions près de la Côte. L’heure du départ venue, mon père voulut tenter avec moi un dernier effort pour obtenir d’elle un adieu, et la révocation de ses cruelles paroles. Nous arrivâmes au Chazeau avec mes deux sœurs. Ma mère lisait dans le verger au pied d’un arbre. En

nous apercevant, elle se leva et s’enfuit. Nous attendîmes longtemps, nous la suivîmes, mon père l’appela, mes sœurs et moi nous pleurions ; tout fut vain ; et je dus m’éloigner sans embrasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et chargé de sa malédiction !... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville

Il y a eu des révolutionnaires plus méchants que ceux de 1848, mais je ne pense pas qu’il y en ait jamais eu de plus sots ; ils ne surent ni se servir du suffrage universel, ni s’en passer. S’ils avaient fait les élections le lendemain du 24 février, alors que les hautes classes étaient étourdies du coup qu’elles venaient de recevoir, et quand le peuple était plutôt étonné que

mécontent, ils auraient obtenu peut-être une assemblée suivant leur cœur ; s’ils avaient hardiment saisi la dictature, ils auraient pu la tenir quelque temps dans leurs mains. Mais ils se livrèrent à la nation et, en même temps, ils firent tout ce qui était le plus propre à l’éloigner d’eux ; ils la menacèrent en se livrant à elle ; ils l’effrayèrent par la hardiesse de leurs

projets et par la violence de leur langage, et l’invitèrent à la résistance par la mollesse de leurs actes ; ils se donnèrent les airs d’être ses précepteurs en même temps qu’ils se mettaient dans sa dépendance. Au lieu d’ouvrir leurs rangs après la victoire, il les resserrèrent jalousement, et semblèrent, en un mot, s'être donné à tâche de résoudre ce problème insoluble,

à savoir : de gouverner par la majorité, mais contre le goût de celle-ci. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

Gotthold Ephraim Lessing
Gotthold Ephraim Lessing

Lui aussi aurait préféré la compagnie de méchants que rien du tout. Un grand, excellent sens! Si seulement il était certain que Sophocle aurait vraiment dit une telle chose. Mais je n'aime pas admettre que je ne trouve rien de tel en lui; À moins que je préférerais voir avec les yeux de l'ancien scholiaste qu'avec moi-même, qui paraphrase les paroles du poète comme suit: Ου

μόνον όπου καννν ουκ ειχε τινα τωρν γχωρίλλν γαδτονα,

αζόλτκαόονανοαυωανοινανωανοανανοανονανοινανοανοανονανονανονανονανοναυω

ωανονανοαυω ωανονανοαυ ωανονανανανοωανονοαυω ακούσειε. Tout comme les traducteurs mentionnés ci-dessus ont suivi cette interprétation, Brumoy ainsi

que notre nouveau traducteur allemand l'ont fait. Le premier dit, sans société, même importune: et le second «privé de toute société, même la plus ardue». Mes raisons pour lesquelles je dois m'éloigner d'eux sont les suivantes. Tout d'abord, il est évident que si κακογείτονα sont séparés de τιν

'εγχώρων, et devraient constituer un lien spécial, la particule ουδέ devrait nécessairement être répétée avant κακογείτονα. Mais comme ce n'est pas le cas, il est également évident que κακογείτονα appartient à

τινα, et la virgule après εγχώρων doit être omise. Cette virgule s'est glissée dans la traduction, car je pense vraiment que certaines éditions entièrement grecques (par exemple l'édition de Wittenberg de 1585 en octave, que Fabricius est restée complètement inconnue) n'ont pas du tout, et seulement comment proprement dit, mis après

κακογείτονα. Deuxièmement, est-ce un mauvais voisin, à qui nous pouvons promettre στόνον αντίτυπον, αμοιβαι̃ον, comme l'explique le Scholiast? Soupirer en alternance avec nous est la qualité d'un ami, pas d'un ennemi.

En bref: le mot κακογείτονα a été mal compris; il a été supposé être composé de l'adjectivo κακός, et il est composé du nom τὸ κακόν; il a été expliqué par un mauvais voisin, et aurait dû être expliqué par un mauvais voisin. De même que

κακομάντις n'est pas un prophète mauvais, faux et faux, mais un prophète du mal, κακότεχνος ne signifie pas un artiste mauvais et maladroit, mais un artiste dans le mal. Par un voisin du mal, cependant, le poète entend quelqu'un qui soit affligé des mêmes accidents que nous, soit qui participe

à nos accidents par amitié; de sorte que les mots entiers ουδ 'έχων τιν' εγχώρων κακογείτονα ne peuvent être traduits que par neque quenquam indigenarum mali socium habens.

Exposé aux cieux inclinés,
Déserté et désespéré il ment,

Aucun ami ni compagnon de deuil là-bas,
Pour apaiser son chagrin et partager ses soins. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Euripide
Euripide

Je le proclame : parmi les mortels ceux qui ignorent totalement ce que sont des fils pour n’en avoir pas eu l’emportent en bonheur sur les parents. Ceux qui n’ont pas d’enfants, dans l’incertitude où l’on est si les enfants sont joie ou amertume pour les mortels, de par leur sort sont affranchis de beaucoup de peines. Mais ceux qui dans leur maison ont une douce floraison d’enfants,

je les vois tout le temps s’épuiser en soucis. D’abord, comment les élèveront-ils honnêtement ? D’où tireront-ils les ressources à leur laisser ? Et puis, est-ce pour des méchants ou pour des bons qu’ils se donnent tant de mal ? Mystère. Enfin le suprême malheur pour tous les mortels, je vais vous le dire : voilà qu’ils ont trouvé des ressources suffisantes ; les enfants ont

atteint la jeunesse ; ils sont bons ; mais, telle étant la volonté du destin, vient la mort qui dans l’Hadès emporte leurs corps. Où est alors l’avantage pour les mortels quand aux autres maux ils voient ce nouveau chagrin, le plus cruel de tous, à cause d’enfants, leur échoir du fait des dieux ? + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          70

Marie Colot
Marie Colot

Burger, c’est son nom. Enfin, c’est le surnom qu’on lui a donné, car il n’y a pas de parents assez méchants pour prénommer leur fille comme un menu de fast-food. Mais des enfants assez cruels pour y penser, si. On a d’ailleurs fait pareil avec notre institutrice.

Pierre Abelard
Pierre Abelard

LETTRE DEUXIÈME.

HÉLOISE À ABÉLARD.

À son maître, ou plutôt à son père ; à son époux, ou plutôt à son frère ; sa servante, ou plutôt sa fille ; son épouse, ou plutôt sa sœur ; à Abélard, Héloïse.


La lettre que tu as adressée à un ami pour le consoler, mon bien-aimé, un hasard l’a fait venir dernièrement jusqu’à moi. Au seul

caractère de la suscription reconnaissant aussitôt qu’elle était de toi, je la dévorai avec une ardeur égale à ma tendresse pour celui qui l’avait écrite : si j’avais perdu sa personne, ses paroles du moins allaient me rendre en partie son image. Hélas ! chaque ligne, pour ainsi dire, de cette lettre encore présente à ma mémoire était pleine de fiel et d’absinthe, car elle

retraçait la déplorable histoire de notre conversion et de tes épreuves sans trêve, ô mon unique.
Tu as bien rempli la promesse qu’en commençant tu faisais à ton ami : ses peines, au prix des tiennes, il a pu s’en convaincre, ne sont rien ou peu de chose. Après avoir rappelé les persécutions dirigées contre toi par tes maîtres, et les plus grands outrages lâchement infligés

à ton corps, tu as peint l’odieuse jalousie et l’acharnement passionné dont tes condisciples aussi, Albéric de Reims et Lotulphe de Lombardie, t'ont poursuivi. Tu n’as oublié ni ce que leurs cabales ont fait de ton glorieux ouvrage de théologie, ni ce qu’elles ont fait de toi-même, condamné à une sorte de prison. De là tu arrives aux machinations de ton abbé et de tes perfides

frères, aux épouvantables calomnies de ces deux faux apôtres déchaînés contre toi par ces indignes rivaux, au scandale soulevé dans la foule à propos du nom de Paraclet donné, contre l’usage, à ton oratoire ; enfin, passant aux vexations intolérables dont ta vie aujourd’hui encore n’a pas cessé d’être l’objet, de la part de ce persécuteur impitoyable et de ces méchants

moines que tu appelles tes enfants, tu as mis les derniers traits à cette pitoyable histoire.
Je doute que personne puisse lire ou entendre sans pleurer le récit de telles épreuves. Pour moi, il a renouvelé mes douleurs avec d’autant plus de violence que le détail en était plus exact et plus expressif ; que dis-je ? il les a augmentées en me montrant tes périls toujours croissants.

Voilà donc tout ton troupeau réduit à trembler pour ta vie, et chaque jour nos cœurs émus, nos poitrines palpitantes attendent pour dernier coup la nouvelle de ta mort. Aussi nous t'en conjurons, au nom de celui qui, pour son service, te couvre à quelques égards de sa protection ; au nom du Christ, dont nous sommes, ainsi que de toi-même, les petites servantes, daigne nous écrire

fréquemment et nous dire les orages au sein desquels tu es encore ballotté ; que nous du moins, qui te restons seules au monde, nous puissions avoir part à tes peines et à tes joies. D’ordinaire, la sympathie est un allégement à la douleur, et tout fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à soutenir, plus facile à porter. Si la tempête vient à se calmer un peu, hâte-toi

d’autant plus d’écrire que les nouvelles seront plus agréables à recevoir. Mais, quel que soit l’objet de tes lettres, elles ne laisseront pas de nous faire un grand bien, par cela seul qu’elles seront une preuve que tu ne nous oublies pas. [...]
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Emmanuel Levinas
Emmanuel Levinas

Folle prétention à l’invisible, alors qu’une expérience de l’humain enseigne au vingtième siècle que les pensées des hommes sont portées par les besoins, lesquels expliquent société et histoire, que la faim et la peur peuvent avoir raison de toute résistance humaine et de toute liberté. De cette misère humaine – de cet empire que les choses et les méchants exercent sur

l’homme – il ne s’agit pas de douter. Mais être homme, c’est savoir qu’il en est ainsi ; la liberté consiste à savoir que la liberté est en péril. Mais savoir ou avoir conscience, c’est avoir du temps pour éviter et prévenir l’instant de l’inhumanité. C’est cet ajournement perpétuel de l’heure de la trahison – infime différence entre l’homme et l’animal – qui

suppose le désintéressement de la bonté, le désir de l’Absolument autre ou la noblesse, la dimension de la métaphysique.

Indro Montanelli
Indro Montanelli

Les méchants disent que cette louve n’était pas le moins du monde une louve, mais tout simplement une femme, Acca Larentia, qu’on appelait la Louve à cause de son caractère sauvage et des nombreuses infidélités qu’elle faisait à son mari, un pauvre berger, en allant faire l’amour dans les bois avec tous les garçons du voisinage.