Titus Burckhardt
Titus Burckhardt

L’homme sait aujourd’hui que la terre n’est qu’une boule animée d’un mouvement multiforme et vertigineux qui court sur un abîme insondable, attirée et dominée par les forces qu’exercent sur elle d’autres corps célestes, incomparablement plus grands et situés à des distances inimaginables; il sait que la terre où il vit n’est qu’un grain de poussière par rapport au

soleil, et que le soleil lui-même n’est qu’un grain au milieu de myriades d’autres astres incandescents; il sait aussi que tout cela bouge. Une simple irrégularité dans cet enchaînement de mouvements sidéraux, l’interférence d’un astre étranger dans le système planétaire, une déviation de la trajectoire normale du soleil, ou tout autre incident cosmique, suffirait pour faire

vaciller la terre au cours de sa révolution, pour troubler la succession des saisons, modifier l’atmosphère et détruire l’humanité. L’homme aujourd’hui sait par ailleurs que le moindre atome renferme des forces qui, si elles étaient déchaînées, pourraient provoquer sur terre une conflagration planétaire presque instantanée. Tout cela, l’infiniment petit” et l’infiniment

grand”, apparaît, du point de vue de la science moderne, comme un mécanisme d’une complexité inimaginable, dont le fonctionnement est dû à des forces aveugles.

Et pourtant, l’homme d’aujourd’hui vit et agit comme si le déroulement normal et habituel des rythmes de la nature lui était garanti. Il ne pense, en effet, ni aux abîmes du monde intersidéral, ni aux forces

terribles que renferme chaque corpuscule de matière. Avec des yeux d’enfant, il regarde au-dessus de lui la voûte céleste avec le soleil et les étoiles, mais le souvenir des théories astronomiques l’empêche d’y voir des signes de Dieu. Le ciel a cessé de représenter pour lui la manifestation naturelle de l’esprit qui englobe le monde et l’éclaire. Le savoir universitaire s’est

substitué en lui à cette vision naïve” et profonde des choses. Non qu’il ait maintenant conscience d’un ordre cosmique supérieur, dont l’homme serait aussi partie intégrante. Non. Il se sent comme abandonné, privé d’appui solide face à ces abîmes qui n’ont plus aucune commune mesure avec lui-même. Car rien ne lui rappelle plus désormais que tout l’univers, en définitive,

est contenu en lui-même, non pas dans son être individuel, certes, mais dans l’esprit qui est en lui et qui, en même temps, le dépasse, lui et tout l’univers visible.

Frida Kahlo
Frida Kahlo

Certains critiques ont tenté de me classer parmi les surréalistes, mais je ne me considère pas comme telle (...) En fait, j'ignore si mes tableaux sont surréalistes ou pas, mais je sais qu'ils sont l'expression la plus franche de moi-même (...) Je déteste le surréalisme. Il m'apparaît comme une manifestation décadente de l'art bourgeois. Une déviation de l'art véritable que les gens

espèrent recevoir de l'artiste (...) J'aimerais que ma peinture et moi-même nous soyons dignes des gens auxquels j'appartiens et des idées qui me donnent de la force (...) J'aimerais que mon œuvre contribue à la lutte pour la paix et la liberté ...

Jacques Le Goff
Jacques Le Goff

Saint François d'Assise
Mais la réforme de l'Église est aussi une réponse à l'évolution du monde, un effort d'adaptation à des changements survenus en dehors d'elle.
La réponse est d'abord institutionnelle. Elle revêt trois aspects principaux : la fondation de nouveaux ordres religieux, l'essor du mouvement canonial, l'acceptation de la diversité ecclésiale.
Les

nouveaux ordres prétendent marquer un retour à la règle originelle de saint Benoît en portant l'accent sur le travail manuel, qui retrouve sa place à côté de l'opus dei, et sur la simplicité de vie ; ce que traduit le rejet des formes traditionnelles de la richesse monastique comme le style artistique et architectural épuré contrastant avec l'exubérance de la sculpture, des miniatures

et de l'orfèvrerie du baroque roman. Des deux ordres nouveaux les plus importants, l'un, l'ordre des Chartreux, fondé par Bruno en 1084, vise à retrouver un style d'érémitisme primitif, puis, sous Guigues II, prieur de 1173 à 1180, une ascèse de quatre « degrés spirituels » : la lecture, la méditation, la prière et la contemplation.
Elle évolue assez rapidement vers de

nouvelles structures paralysantes : le basculement des nouveaux ordres — les Cisterciens, en particulier — dans l'enrichissement, l'exploitation des convers, l'embourbement rural, le juridisme desséchant d'un droit canonique envahissant, les débuts de la dégénérescence bureaucratique et autocratique de la papauté et de la curie romaine.
Elle connaît des échecs révélateurs :

celui de la croisade impuissante contre les musulmans, détournée de ses buts, comme le prouve la déviation de la quatrième croisade vers Constantinople en 1204, incapable de susciter l'enthousiasme de naguère ; celui, surtout, de la lutte contre les hérésies à l'intérieur même de la Chrétienté.
Enfin, elle s'avère maladroite, sinon incapable, pour refouler ou apprivoiser les

défis de l'histoire : l'agression de l'argent, les nouvelles formes de violence, l'aspiration contradictoire des chrétiens à plus de jouissance des biens de ce monde, d'une part, et à plus de résistance aux penchants accrus pour la richesse, la puissance, la concupiscence, d'autre part.
p. 21 et 22 + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Jean Giraud
Jean Giraud

La déviation :
... La route sera longue jusqu'à l'Ile de Ré et le doux repos des vacances, je pense à toutes les rumeurs qui courent sur ces bandes de computeurs-garou, ces rassemblements de tortureurs-rendus-fous-par-la-drogue et de malin-malins-et-demi !... Les embuscades des petits rosseurs des pauvres ! ... Des empêcheurs de passer ! ... Des pollueurs d'espoir ! ... Et je ne parle

même pas de Marie-Thérèse Kowalski la Châtreuse de Parme et son gang des fausses fractures.. Et tous ces amateurs qui veulent se faire un nom et les glissades, les bourrasques, les mauvaises herbes, les microbes et les bactéries mutantes...Ah... Nous vivons dans une drôle d'époque !... Les Dieux sortent de leur réserve, ne se maitrisent plus, et donnent toutes sortes de soucis aux

statisticiens !...
- C'est vrai, l'insécurité règne dans nos savanes, on ne le répètera jamais assez ! ...

François Jullien
François Jullien

Il y a une intelligence ou "vérité" biblique qu'on voit à la fois se détacher et s'explorer dans l'exposé réécrit de la Création. En posant liminairement un Autre absolu, extérieur au monde, cette ouverture creuse dans l'humain - y déploie et met en route - les conditions d'une subjectivation qui n'en finira plus, à travers la culpabilité et l'Attente, de se forger et de se découvrir.

Ou bien disons encore que, à la rencontre de ce qu'il pose d'entrée, dans cette scène inaugurale, en Dehors incommensurable, l'humain biblique, sous le thème de l'Alliance qui s'y noue, ne cesse d'avoir dorénavant à tendre vers Lui et à en faire son "dedans" : il découvre (promeut) cet Extérieur intime; en même temps qu'il perçoit (déploie) cet intime comme un infini, s'appropriant

ainsi un devenir inouï ( à travers les motifs de la mort vaincue et du salut). Cohérence éminemment singulière et productrice, qui a sa fécondité propre, fait indéfiniment travailler , et selon laquelle a pris forme le religieux en Europe - et qu'il ne suffit pas de caractériser par la référence, si banale, à ce qu'on appelle "Dieu". Car, sous "Dieu", Pascal déjà nous mettait en

garde, on met tant de choses qui n'ont vraiment guère à voir ensemble.
En ouvrant la Théologie d'Hésiode, on y trouve une intelligence (vérité) d'un autre type, "mythologique", qui, si elle puise à l'occasion à la même source que la précédente, se singularise ou "choisit" d'une autre façon, se donne un autre usage et connaît un autre rendement : figurant, variant,

dramatisant, à fonction à la fois exploratoire et probatoire, elle essaye tout un jeu de cohérences pour expliquer le monde à partir des forces et facteurs impliqués. Ceux-ci s'allient ou s'opposent, s'engendrent ou se mêlent, s'équilibrent ou se compensent, d'où découlent tant d'enchaînements, de filiations et de renouvellements formant "destin". La fécondité en a été exploitée,

depuis, selon la veine intarissable, promue par le plaisir de la narration, de la fiction et du roman. A quoi se rattache, mais dont veut aussi se démarquer, dont dépend mais que combat d'autant plus violemment, l'intelligence ou vérité "logique" du commencement qu'on voit proposé dans ce muthos réelaboré du Timée : intelligence qui n'est plus seulement symbolisante mais qui abstrait, ne

pensant plus en termes de figures mais d'entités; qui est non plus seulement causaliste mais aussi finaliste, pesant de tout les tenants et aboutissants. Elle ne se contente pas de répondre à des questions, mais est délibérément problématique, s'explicitant à partir d'un système de cas; et, pour cela, elle est constructrice et modélisante, explicative et déductrice. Elle chasse

l'ambiguïté antérieure en s'armant du principe de non-contradiction, source de clarté par exclusion; transforme l'enchaînement du récit en nécessité intérieure reposant sur la seule argumentation. C'est elle qui à fait le lit de la science ou, disons plutôt, d'une certaine science (classique) fondant sur elle sa prise et son efficacité.
Or nous découvrons, en Chine, une

autre forme d'intelligence, de "prise" ou de "vérité", en ouvrant le Classique du changement et toujours à propos du commencement. Je crois qu'on peut la concevoir globalement comme une intelligence à la fois de la processivité et de l'opérativité ( tao signifiant à la fois le cours des choses et la façon d'opérer : "tao" du monde" et "mon tao"). Elle n'a donc pas à mettre

nécessairement en scène un sujet, se dispense du récit et dissout toute dramatisation; elle pense en termes, non de cause et de fin, de modèle et de visée, mais de condition et de conséquence ou, pus précisément, pour reprendre ces quatre notions d'ouverture, en termes d'"amorçage" - de "maturation" - de "moissonnage" - et de "régulation". Y compris dans sa dimension religieuse et

éthique, cette intelligence est stratégique : puisant à même les procédures du rituel, elle enseigne l'art de se mettre en phase avec le moment, en se conformant aux lignes de forces de son déroulement - celui-ci s'éclairant par le jeu des polarités - et trouve son rendement dans la capacité d'induire l'évolution, sans affronter la situation ni s'épuiser. On comprend que ce qui lui

sert, non de modèle ou d'idéal, car ne se détachant pas de l'ordre des choses, mais de norme, soit l'harmonie" : celle-ci, tai he, est à la fois la condition du renouvellement du monde, par son constant équilibrage, et le fondement - absolu - de la morale échappant à la déviation et dérégulation par partialité.
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Alexandre Zinoviev
Alexandre Zinoviev

Par la suite, la formule est devenue « je suis mon propre État ». Cette manière de voir a eu évidemment une influence décisive sur le cours de ma vie. L'évolution de mon « État » intérieur (c'est-à-dire de mon univers personnel) m'est devenue primordiale. Il se trouvera sans doute des psychologues qui verront une anomalie mentale dans ce tour d'esprit. Je ne les contredirai pas et

me bornerai à rappeler que l'être humain se distingue des autres animaux par la déviation de certaines normes biologiques. La civilisation doit tous ses progrès aux hommes qui se sont écartés des normes communément admises. Pourtant, nous n'étudions pas l'histoire de l'humanité en recourant à des notions de médecine. Mon État intérieur n'était pas le fruit de mon imagination malade,

ni un symptôme d'égoïsme ou d'égocentrisme. C'était un phénomène social et non psychologique : une forme de refus de la lutte à mener pour réussir socialement. Lancé dans cette voie, nul poste (même ceux de président, roi ou secrétaire général), nulle richesse et nulle gloire ne pouvaient me satisfaire.

J'ignore ce qu'il en est des autres peuples, mais nombreux sont les

Russes qui se conforment à la formule « je suis mon propre État ». Le monde qui les entoure n'est qu'un milieu naturel qui leur apporte des moyens de survivre, tandis que l'essentiel de leur existence se déroule dans leur petit univers clos. Moi, en revanche, j'ai vécu dans un monde immense et totalement ouvert. J'ai construit la théorie de l'homme-État et me suis efforcé de la mettre

en pratique à l'aide des derniers acquis de la civilisation. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

Ngaio Marsh
Ngaio Marsh

Notre travail consiste d’abord, par la grâce de Dieu, à protéger la société, et, accessoirement, à pourchasser les criminels. Mais les individus de ce genre sont pour nous un véritable casse-tête. Ils ne font pas partie d’une catégorie professionnelle précise et n’ont de commun que leur désir de tuer pour le plaisir. Ils peuvent être n’importe quoi dans la vie de tous les jours

: ils ne portent pas de signes distinctifs. En règle générale, nous arrivons à mettre la main sur eux, mais ce n’est absolument pas systématique. Ce qu’on cherche avant tout, c’est évidemment, une déviation par rapport à une routine. Seulement, s’il n’y a pas de routine connue, si notre homme est un solitaire comme l’était Jack l’Éventreur, alors nos chances diminuent

considérablement.

Jean-Joseph Julaud
Jean-Joseph Julaud

Cathare, en grec, signifie pur. Le catharisme est une hérésie chrétienne ( une déviation du dogme ) qui se développe en Languedoc face à l’autorité excessive de l’église romaine qui, par ailleurs, étale ses richesses de façon scandaleuse.