Colette
Colette

Nous sommes, Siegfried Wagner et moi, de vieilles connaissances, bien que nous ne nous saluions guère. Combien de fois, à Bayreuth […], ai-je croisé sa silhouette sans épaules (il est bâti comme une bouteille) évité son regard couleur de Marennes pas très fraîche! Ma pure parole, ce précoce génie dévisage les femmes comme un ténor, et toute court-chevelue que je suis, toute mal

élevée que l'on me répute, je n'échappais pas à cet œil qui dit : « Hein, si je voulais! … Mais je ne veux pas.»

Marie d'Agoult
Marie d'Agoult

Ce soir-là, ses salons en stuc blanc chargé d'or étaient éclairés avec plus de splendeur que de coutume; des multitudes de girandoles en cristal de roche à facettes étincelantes, se répétant à l'infini dans des panneaux de glace, jetaient une vive lumière sur les draperies de damas aux tons éclatants. Des pyramides de cactus, qui ouvraient leurs corolles ardentes dans cette chaude

atmosphère, ajoutaient encore à l'éblouissement de l'œil. Un orchestre puissant faisait retentir d'une musique provocante ces espaces sonores où les femmes aux courtes tuniques, aux cheveux parfumés, ruisselants de pierreries, les bras nus, les épaules nues, arrivaient une à une et se prenaient la main, comme des fées qui se rassemblent pour un joyeux sortilège.

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

À cette heure, édifié par les subtils génies du Feu, un temple nouveau s’élevait là même où, dans le crépuscule, on avait cru voir un neptunien palais d’argent dont l’architecture imitait les torsions des conques marines. C’était, agrandi, un de ces labyrinthes construits sur le fer des landiers, demeures aux cent portes habitées par les présages ambigus; un de ces fragiles

châteaux vermeils aux mille fenêtres, où se montrent un moment les princesses salamandres qui rient voluptueusement au poète charmé. Rose comme une lune naissante rayonnait sur la triple loggia la sphère de la Fortune, supportée par les épaules des Atlantes; et ses reflets engendraient un cycle de satellites. Du quai des Esclavons, de la Giudecca, de San Giorgio, avec un crépitement

continu, des faisceaux de tiges enflammées convergeaient au zénith et s’y épanouissaient en roses, en lis, en palmes, formant un jardin aérien qui se détruisait et se renouvelait sans cesse par des floraisons de plus en plus riches et étranges. C’était une rapide succession de printemps et d’automnes à travers l’empyrée. Une immense pluie scintillante de pétales et de feuillages

tombait des dissolutions célestes et enveloppait toutes choses d’un tremblement d’or. Au loin, vers la lagune, par les déchirures ouvertes dans cet or mobile, on voyait s’avancer une flotte pavoisée : une escadre de galères semblables peut-être à celles qui naviguent dans le rêve du luxurieux dormant son dernier sommeil sur un lit imprégné de parfums mortels. Comme celles-là

peut-être, elles avaient des cordages composés avec les chevelures tordues des esclaves capturées dans les villes conquises, ruisselants encore d’une huile suave; comme celles-là, elles avaient leurs cales chargées de myrrhe, de nard, de benjoin, d’éléomiel, de cinnamome, de tous les aromates, et de santal, de cèdre, de térébinthe, de tous les bois odoriférants accumulés en

plusieurs couches. Les indescriptibles couleurs des flammes dont elles apparaissaient pavoisées évoquaient les parfums et les épices. Bleues, vertes, glauques, safranées, violacées, de nuances indistinctes, ces flammes semblaient jaillir d’un incendie intérieur et se colorer de volatilisations inconnues. Ainsi sans doute flamboyèrent, dans les antiques fureurs du saccage, les profonds

réservoirs d’essences qui servaient à macérer les épouses des princes syriens. Telle maintenant, sur l’eau parsemée des matières en fusion qui gémissaient le long des carènes, la flotte magnifique et perdue s’avançait vers le bassin, lentement, comme si des rêves ivres eussent été ses pilotes et qu’ils l’eussent conduite se consumer en face du Lion stylite, gigantesque

bûcher votif dont l’âme de Venise resterait parfumée et stupéfiée pour l’éternité.

Isaac Newton
Isaac Newton

J'ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants.

Auguste Rodin
Auguste Rodin

Un autre jour, étant auprès de Rodin dans son grand atelier de Meudon, je regardais un moulage de cette statuette, si magnifique de laideur, qu’il fit en prenant pour texte la poésie de Villon sur la Belle Heaulmière.
La courtisane qui jadis fut radieuse de jeunesse et de grâce, est maintenant repoussante de décrépitude. Autant elle était orgueilleuse de son charme, autant elle a

honte de sa hideur.

Ha ! vieillesse félonne et fière,
Pourquoi m’as si tôt abattue ?
Qui me tient que je ne me fière (frappe)
Et qu’à ce coup je ne me tue !

Le statuaire a suivi pas à pas le poète.
Sa vieille ribaude plus ratatinée qu’une momie se lamente sur sa déchéance physique.
Courbée en deux, à croppetons, elle promène

son regard désespéré sur ses seins, lamentables poches vides, sur son ventre affreusement plissé, sur ses bras et ses jambes plus noueux que des ceps de vigne :

Quand je pense, las ! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue,
Quand me regarde toute nue
Et je me vois si très changée,
Pauvre, sèche, maigre, menue,
Je suis presque tout enragée !

Qu’est devenu ce front poli.
Ces cheveux blonds…
. . . . . . . . . . . . .
Ces gentes épaules menues,
Petits têtins, hanches charnues,
levées, propres, faictisses (faites à souhait)
À tenir d’amoureuses lices ;
. . . . . . . . . . . . .
C’est d’humaine beauté l’issue !
Les bras

courts et les mains contraictes, (contractées)
Les épaules toutes bossues,
Mamelles, quoi ! toutes retraites (desséchées)
Telles les hanches que les tettes !
… Quant aux cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissettes
Grivelées comme saucisses !

Le sculpteur n’est point resté au-dessous du poète. Au contraire, son œuvre dans l’effroi

qu’elle inspire est peut-être plus expressive encore que les vers si truculents de maître Villon. La peau tombe en nappes flasques sur le squelette apparent : les cerceaux de la carcasse s’accusent sous le parchemin qui la recouvre : et tout cela branle, flageole, se racornit, se recroqueville.
Et de ce spectacle à la fois grotesque et navrant, se dégage une grande tristesse.

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Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

Pas un seul instant, beau vieillard, Walt Whitman,
je n'ai cessé de voir ta barbe pleine de papillons,
ni tes épaules de velours usées par la lune

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

Et d’autres filles couraient,
poursuivies par leurs tresses,
dans un air où éclataient
des roses de poudre noire.
Lorsque toutes les terrasses
furent des sillons en terre,
l’aube ondula des épaules
en un long profil de pierre.

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

Saint Gabriel

Un beau jeune homme de joncs

épaules larges, taille fine,

épaules larges, taille fine,

son teint est de nocturne pomme,

ses yeux grands et sa bouche triste,

il a le nerf d’argent brûlant

et il bat le pavé désert.

Et il bat le pavé désert

De ses souliers de cuir

vernis,

il casse les dahlias de l’air,

avec les deux rythmes que chantent

des deuils rapides et célestes.

Saint Gabriel,

sur le rivage de la mer

il n’est de palmier qui l’égale,

aucun empereur couronné

ni aucune étoile fugace

Lorsque sa tête est inclinée

sur sa

poitrine de jaspe

sur sa poitrine de jaspe

lorsque sa tête est inclinée

sur sa poitrine de jaspe

la nuit est en quête de plaines

car elle veut s’agenouiller.

Car elle veut s’agenouiller.

On entend des guitares seules,

pour l’archange saint Gabriel

qui est un ennemi des saules


et un dresseur de tourterelles

Saint Gabriel,

l’enfant pleure

dans le ventre de sa mère

Ne va pas oublier l’habit

car les gitans te l’ont offert.

Anunciación de los Reyes,

bien constellée et mal vêtue

bien constellée et mal vêtue

Et les étoiles de la nuit

se

sont transformées en clochettes.

Saint Gabriel : me voici donc

avec trois épines de joie.

Ton éclat ouvre des jasmins

sur mon visage qui flamboie

ton éclat ouvre des jasmins.

Anunciación, je te salue,

glorieuse brune du prodige.

Saint Gabriel,

pour t’y asseoir je fais en rêve


de petits œillets un fauteuil.

Anunciación, je te salue,

bien constellée et mal vêtue

Ton fils aura sur la poitrine

un grain de beauté, trois blessures

Petit Gabriel de mon cœur !

Je sens au fond de mes deux seins

le lait tiède déjà naissant.

Anunciación, je te salue,

tu

es mère de cent lignages.

Tu es mère de cent lignages.

L’enfant chante alors dans le sein

d’Anunciación toute surprise.

Trois projectiles vert amande

dans sa petite voix qui vibre.

Saint Gabriel,

haut dans les airs

grimpait déjà sur une échelle

et les étoiles de la nuit

sont devenues des immortelles. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Jean Cocteau
Jean Cocteau

Yvonne - Michel ! Je t'ai porté dans ton lit jusqu'à onze ans. Après, tu es devenu trop lourd. Tu te pendais à mon cou. Après tu mettais tes pieds nus et tes orteils sur mes sandales, tu me tenais par les épaules et nous marchions ensemble jusqu'à ton lit. Un soir tu t'es moqué de moi parce que je te bordais, et je t'ai prié d'aller te coucher seul !

Michel- Maman ! Laisse-moi

monter sur ton lit; j'ôte mes souliers...Ah ! Me fourrer près de toi, mettre mon cou sur ton épaule.

Jean Cocteau
Jean Cocteau

Chambre

D'un fauteuil la main dolente
Sommeille sur le genou
Et une jambe à la plante
Paresseusement se noue.

C'est l'heure de la sieste
La chambre rentre ses ongles
Moi seul éveillé je reste
Dans l'épouvantable jungle.

Dorment des hanches des bras
Des épaules pêle-mêle
Et même une ébauche d'aile

Sur le désordre des draps.

Jean Cocteau « Chambre  », Clair-obscur, poèmes