Alain de Benoist
Alain de Benoist

Qu’un écrivain déclare, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’il préfère le commerce charnel des très jeunes personnes aux turpitudes classiques de ses contemporains, et il n’en faut pas plus – en pleine société permissive [sic] – pour le faire passer pour le Diable dans le Landerneau parisien. […] Pour ma part, c’est ce « scandale »qui me scandalise. Question de

goût d’abord : n’aurait-on pas le droit de préférer caresser les hanches des lycéennes plutôt que la poitrine mafflue de la comtesse Grancéola (réplique matznévienne de la Castafiore ou la ménopause bien sonnée de la baronne Adélaïde Cramouillard, présidente de l’Union mystique universelle. Question de principe aussi : on peut désapprouver ce que l’on veut, mais comment

peut-on, au sens propre du terme, être choqué par quoi que ce soit? Quant à la gravité du délit, enfin, il me semble, selon mon échelle de valeurs personnelles, qu’il est plus « scandaleux » de regarder les jeux télévisés, de jouer au Loto ou de lire Le Meilleur, que d’avoir la passion des fesses fraîches, des émotions naissantes et des seins en boutons. Bien des imbéciles se

sont horrifiés de la publication des Moins de seize ans. Que des adultes qui admettent fort bien que leur progéniture s’abrutisse des journées entières devant des machines à sous ou des téléfilms débiles, tremblent à l’idée que leur fille, plutôt que de passer son temps avec des crétins de son âge, puisse coucher avec un écrivain « qui pourrait être son père » et tomber dans

les rets de ce suborneur de Gabriel, me fait, quant à moi, plutôt éclater de rire. [.. ] Quant aux jeunes personnes qui fréquentent Gabriel Matzneff, je ne doute pas qu’elles apprendront à son contact plus de choses belles et élevées que dans la vulgarité et la niaiserie que secrète à foison leur vie familiale et scolaire.

Auguste Rodin
Auguste Rodin

Un autre jour, étant auprès de Rodin dans son grand atelier de Meudon, je regardais un moulage de cette statuette, si magnifique de laideur, qu’il fit en prenant pour texte la poésie de Villon sur la Belle Heaulmière.
La courtisane qui jadis fut radieuse de jeunesse et de grâce, est maintenant repoussante de décrépitude. Autant elle était orgueilleuse de son charme, autant elle a

honte de sa hideur.

Ha ! vieillesse félonne et fière,
Pourquoi m’as si tôt abattue ?
Qui me tient que je ne me fière (frappe)
Et qu’à ce coup je ne me tue !

Le statuaire a suivi pas à pas le poète.
Sa vieille ribaude plus ratatinée qu’une momie se lamente sur sa déchéance physique.
Courbée en deux, à croppetons, elle promène

son regard désespéré sur ses seins, lamentables poches vides, sur son ventre affreusement plissé, sur ses bras et ses jambes plus noueux que des ceps de vigne :

Quand je pense, las ! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue,
Quand me regarde toute nue
Et je me vois si très changée,
Pauvre, sèche, maigre, menue,
Je suis presque tout enragée !

Qu’est devenu ce front poli.
Ces cheveux blonds…
. . . . . . . . . . . . .
Ces gentes épaules menues,
Petits têtins, hanches charnues,
levées, propres, faictisses (faites à souhait)
À tenir d’amoureuses lices ;
. . . . . . . . . . . . .
C’est d’humaine beauté l’issue !
Les bras

courts et les mains contraictes, (contractées)
Les épaules toutes bossues,
Mamelles, quoi ! toutes retraites (desséchées)
Telles les hanches que les tettes !
… Quant aux cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissettes
Grivelées comme saucisses !

Le sculpteur n’est point resté au-dessous du poète. Au contraire, son œuvre dans l’effroi

qu’elle inspire est peut-être plus expressive encore que les vers si truculents de maître Villon. La peau tombe en nappes flasques sur le squelette apparent : les cerceaux de la carcasse s’accusent sous le parchemin qui la recouvre : et tout cela branle, flageole, se racornit, se recroqueville.
Et de ce spectacle à la fois grotesque et navrant, se dégage une grande tristesse.

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Jean Cocteau
Jean Cocteau

Chambre

D'un fauteuil la main dolente
Sommeille sur le genou
Et une jambe à la plante
Paresseusement se noue.

C'est l'heure de la sieste
La chambre rentre ses ongles
Moi seul éveillé je reste
Dans l'épouvantable jungle.

Dorment des hanches des bras
Des épaules pêle-mêle
Et même une ébauche d'aile

Sur le désordre des draps.

Jean Cocteau « Chambre  », Clair-obscur, poèmes

Marie Colot
Marie Colot

Un jour, pendant que je l'observais, Corinne Tassin m'a interpellée. Elle a posé ses mains sur ses hanches et elle a crié :
- Cocotte, c'est pas la peine de me reluquer. je fais que les hommes, moi !
( p 21)

Guillermo del Toro
Guillermo del Toro

Le réveil secoue la table de chevet. Sans ouvrir les yeux, Elisa tâtonne en quête du bouton d’arrêt glacé. Elle était plongée dans un rêve profond, doux et chaud, et elle veut y retourner rien qu’une minute. Mais comme toujours, son rêve se dérobe à sa poursuite consciente. Il y avait de l’eau, de l’eau noire – ça, elle s’en souvient. Des tonnes d’eau qui l’entouraient

de toutes parts ; pourtant, elle ne se noyait pas. En fait, elle respirait mieux qu’elle ne le fait dans sa vie éveillée, dans des pièces pleines de courants d’air, dans la bouffe bon marché et l’électricité crachotante.

Des tubas claironnent au niveau de la rue. Une femme crie. Elisa soupire dans son oreiller. C’est vendredi ; l’Arcade Marquee, le cinéma vingt-quatre

heures sur vingt-quatre du rez-de-chaussée, diffuse un nouveau film – autrement dit, elle va devoir intégrer de nouveaux dialogues, de nouveaux effets sonores et une nouvelle bande-son à son rituel matinal si elle ne veut pas risquer la crise cardiaque en permanence. Maintenant, des trompettes. Maintenant, une foule d’hommes hurlants. Elle ouvre les yeux et voit d’abord le « 22:30 »

affiché par le réveil, puis les lames de lumière du projecteur qui jaillissent entre les lattes du plancher, parant les moutons de poussière de teintes Technicolor.

Elle s’assoit et carre les épaules pour se protéger du froid. Pourquoi ce parfum de chocolat chaud dans l’air ? L’étrange odeur s’accompagne d’un bruit désagréable : un camion de pompiers au nord-est de

Patterson Park. Elisa pose ses pieds sur le sol glacé et regarde clignoter la lumière du projecteur. Du moins ce nouveau film est-il moins sombre que le précédent, un truc en noir et blanc appelé Carnaval des âmes ; les riches couleurs qui se déversent sur ses pieds l’autorisent à glisser dans un confortable rêve éveillé. Elle a de l’argent, beaucoup d’argent, et des vendeurs

obséquieux lui présentent un assortiment d’escarpins multicolores. « C’est ravissant, mademoiselle. Avec une paire de chaussures pareille, ma foi, vous allez conquérir le monde. »

Au lieu de ça, c’est le monde qui l’a conquise. Aucune quantité de babioles achetées dans des vide-greniers pour quelques pennies et punaisées aux murs ne pourrait dissimuler le bois rongé

par les termites ou détourner l’attention des cafards qui s’éparpillent dès qu’elle allume la lumière. Elle choisit de les ignorer ; c’est son seul espoir de traverser la nuit, le lendemain, le reste de sa vie. Elle se dirige vers le coin cuisine, règle le minuteur, plonge trois œufs dans une casserole d’eau et passe à la salle de bains.

Elisa ne prend que des bains.

Elle ôte son pyjama en flanelle tandis que l’eau coule. Au boulot, ses collègues abandonnent des magazines féminins sur les tables de la cafèt’, et d’innombrables articles ont informé Elisa des zones précises de son corps sur lesquelles elle doit faire une fixation. Mais les hanches et les seins ne peuvent rivaliser avec les chéloïdes roses et boursouflées des cicatrices sur les

deux côtés de son cou. Elle s’enfonce dans la baignoire jusqu’à ce que son épaule nue touche le fond. Chaque cicatrice mesure sept ou huit centimètres de long et file de sa jugulaire à son larynx. Au loin, la sirène se rapproche. Elisa a passé toute sa vie à Baltimore, trente-trois années, et elle peut suivre la progression du camion dans Broadway. D’une certaine façon, ses

cicatrices aussi dessinent un plan, pas vrai ? Le plan d’endroits qu’elle préfère ne pas se rappeler.

Enfoncer ses oreilles dans l’eau du bain amplifie les bruits du cinéma. « Mourir pour Chemosh, crie une fille dans le film, c’est vivre éternellement ! » Elisa n’est pas sûre d’avoir bien entendu. Elle presse un bout de savon entre ses mains savourant la sensation

d’être plus mouillée que l’eau, si glissante qu’elle pourrait la fendre tel un poisson. Des bribes de son rêve agréable pressent sur elle, aussi lourdes que le corps d’un homme. Brusquement submergée par leur érotisme, elle insinue ses doigts savonneux entre ses cuisses. Elle est sortie avec des hommes et a eu des rapports sexuels, tout ça. Mais cela fait des années. Quand ils

tombent sur une femme muette, les hommes profitent d’elle. Pas un seul d’entre eux n’a tenté de communiquer vraiment lors d’un rendez-vous. Ils se sont contentés de l’empoigner et de la prendre comme si, n’ayant pas plus de voix qu’un animal, elle en était un. Ça, c’est bien mieux. Si flou soit-il, l’homme de son rêve est bien mieux.

Mais le minuteur, cet avorton

infernal, se met à couiner. Elisa postillonne, embarrassée même si elle est seule, et se dresse dans la baignoire, ses membres luisants et dégoulinants. Elle s’enveloppe d’un peignoir et, frissonnante, revient vers la cuisine où elle éteint le feu et accepte la mauvaise nouvelle dispensée par l’horloge : il est « 23:07 ». Comment a-t-elle perdu autant de temps ? Elle enfile un

soutien-gorge au hasard, boutonne un chemisier au hasard, lisse une jupe au hasard. Elle se sentait intensément vivante dans son rêve, mais à présent, elle est aussi inerte que les œufs qui refroidissent sur une assiette. Il y a un autre miroir dans la chambre, mais elle choisit de ne pas le regarder, au cas où son impression serait justifiée et où elle serait invisible. + Lire la

suiteCommenter  J’apprécie          100

Beaumarchais
Beaumarchais

Diable ! c’est une belle langue que l’anglais ! il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien nulle part, – Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras ? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé, sans pain. C’est admirable ! Aimez-vous à boire un coup

d’excellent bourgogne ou de clairet ? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches ? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam !

elle vous sangle un soufflet de crocheteur : preuve qu’elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là, quelques autres mots en conversant ; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue.

(LE MARIAGE DE FIGARO, Acte III, Scène 5) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          131

Beaumarchais
Beaumarchais

[…] Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien, nulle part. –Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras : entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon (il tourne la broche), God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé, sans pain. C’est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d’excellent bourgogne ou de clairet, rien que celui-ci (il débouche une bouteille) :

God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches : mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur : preuve qu’elle entend. Les Anglais, à la

vérité, ajoutent par-ci par-là quelques autres mots en conversant ; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue […].

Dashiell Hammett
Dashiell Hammett

Ned Beaumont retira son cigare de sa bouche. Le bout en était complètement déchiqueté.
— Je n’ai rien, dit-il.
Son visage devint pensif.
— Tu ne crois pas que le reste de la liste ait besoin de son appui ?
— Une liste n’est jamais trop forte, répondit Madvig d’un ton évasif, mais je crois que nous pourrions nous en tirer sans son aide.
— Tu lui as

déjà promis quelque chose ?
Madvig fit la moue.
— C’est tout comme …
Les joues de Ned Beaumont blêmirent. Il fixa sur son interlocuteur un regard en dessous et s’exclama d’une voix âpre :
— Laisse tomber, Paul … Coule-le !
Madvig mit les poings sur les hanches et murmura doucement d’un ton incrédule :
— Eh bien, merde alors !
Ned

Beaumont repassa devant Madvig et écrasa le bout de son cigare dans un cendrier de cuivre avec des doigts qui tremblaient.
Les yeux de Madvig restèrent fixés sur le dos du jeune homme jusqu’à ce qu’il se fût redressé et retourné. L’homme blond eut alors un rictus à la fois affectueux et exaspéré.
— Qu’est-ce qui te démange, Ned ? s’enquit-il d’un ton de

reproche. Tout allait bien depuis un certain temps et voilà que tu te remets à ruer dans les brancards. Je veux être pendu si je te comprends …
Ned Beaumont exprima sa répugnance par une grimace. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

Dashiell Hammett
Dashiell Hammett

C’était un grand garçon élancé, le dos plat, souple d’allure, avec de larges épaules et des hanches minces, bien planté sur de longues jambes musclées – le genre d’anatomie qui plaît aux tailleurs. Son visage rose aux traits réguliers, d’une réelle beauté, arborait une expression de nonchalante supériorité si appuyée qu’elle ne pouvait être qu’un masque destiné à

cacher une timidité juvénile.

Georg Trakl
Georg Trakl

Psaume

Il est une lumière que le vent a éteinte.
Il est une cruche de bruyère, qu’une après-midi un homme ivre délaisse
Il est une vigne, calcinée et noire des trous pleins d’araignées.
Il est un lieu, qu’ils ont badigeonné de lait

Le fou est mort. Il est une île des mers du Sud,
pour capturer le dieu Soleil. On bat les tambours.


Les hommes représentent des danses guerrières.

Les femmes balancent leurs hanches dans des lianes tordues et des fleurs de feu,

quand chante la mer. O notre paradis perdu.

Les nymphes ont quitté les forêts d’ors.

On enterre l’étranger. Alors se lève une pluie d’étincelles.

Le fils de Pan apparaît sous la silhouette

d’un terrassier,

qui dort à midi sur l’asphalte brûlant.

Il est des petites filles dans une cour avec des petites robes pleines d’une déchirante pauvreté !

Il est des chambres, emplies d’accords et de sonates.

Il est des ombres qui se prennent dans les bras devant un miroir aveugle.

À la fenêtre de l’hôpital se

réchauffent des convalescents.

Un vapeur blanc sur le canal apporte des épidémies sanglantes.

La sœur étrangère apparaît à nouveau dans les mauvais rêves de quelqu’un.

Reposant dans le bosquet de noisetiers elle joue avec ses ombres.

L’étudiant, peut-être un double, la regarde longtemps de la fenêtre.

Derrière lui se

tient son frère mort, ou bien il dévale le vieil escalier en colimaçon.

Dans le sombre des bruns châtaigniers s’estompe la forme du jeune novice.

Le jardin est dans le soir. Dans le cloître, volettent les chauves-souris tout autour.

Les enfants du concierge cessent leurs jeux et cherchent l’or du ciel.

Derniers accords d’un quatuor. La

petite aveugle court tremblante par les allées.

Et plus tard son ombre tâte les murs froids, cernés de contes et de légendes

sacrées.

Il est un bateau vide, qui le soir descend le canal noir.

Dans les ténèbres du vieil asile déclinent des ruines humaines.

Les orphelins morts sont couchés contre le mur du jardin.

Des

chambres grises sortent des anges aux ailes tachées d’excréments.

Des vers gouttent de leurs paupières jaunies.

La place devant l’église est sombre et silencieuse, comme aux jours de l’enfance.

Sur des semelles d’argent glissent des vies antérieures

Et les ombres des damnés descendent vers les eaux qui soupirent.

Dans sa

tombe le magicien blanc joue avec ses serpents.

Silencieusement dessus l’ossuaire s’ouvrent les yeux d’or de Dieu. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00