François Noudelmann
François Noudelmann

"La promotion d'un inconscient familial trouve sa référence davantage dans les idées de Jung que dans celles de Freud. Car au-delà de la naïveté à croire redécouvrir la psychanalyse par l'importance des parents, le saut théorique consiste à donner du crédit, de la fonction et de la puissance aux ancêtres non connus. Les différentes identifications à l'oeuvre dans la formation de la

personnalité deviennent, par une radicalisation magique, des déterminations de l'inconscient personnel : les psychogénéalogistes font en effet remonter la source d'un tel inconscient à plusieurs siècles et jusqu'aux dix générations précédentes ! Les transmissions culturelles que Jung alléguait à travers l'inconscient collectif trouvent alors une application réduite aux cellules

familiales avec le terme fédérateur de 'transgénérationnel'. Par cette représentation d'un passage des vies, des traumas, des caractères au travers des générations familiales, une pensée du lien et de la continuité s'impose qui rassure les individus soudain rattachés, relayés, pris en charge dans une chaîne vivante qui dépasse la mort individuelle et atténue ses angoisses. Mais on

pourrait tout autant observer combien une telle obsession du lien enferme les êtres dans une logique de dépendance, et combien elle étend le mal qu'elle prétend soigner. Si pour le psychogénéalogiste le descendant peut éviter de répéter la névrose transmise par sa famille, c'est toujours en relation avec la psyché des ancêtres qu'il doit trouver sa juste place. Sartre a décrit sans

ambages ce type d'assignation psychologique : 'On prend un môme bien vivant, on le coud dans la peau d'un mort, il étouffera dans cette enfance sénile sans autre occupation que de reproduire exactement les gestes avunculaires, sans autre espoir que d'empoisonner après sa mort des enfances futures'." + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          50

François Noudelmann
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Le flou suggère qu'il n'existe pas de traits communs mais des réseaux qui s'enchevêtrent. Les visages entrent en relation à partir de cette indistinction, ils prennent des airs de famille selon les angles de vue et des cohérences contextuelles. (...) La netteté du portrait anthropométrique faisait croire (...) à une vérité physionomique. Cependant les visages sont des composés de

ressemblances enchevêtrées. Lorsque nous les reconnaissons, nous (...) mobilisons des souvenirs, des affects, des cohérences ou des échos, du déjà-vu et des préjugés. La photographie floue pourrait valoriser une indéfinition permanente des traits toujours en débord sur leur anatomie. Elle suggère davantage : la sédimentation jamais définitive, c'est-à-dire une accumulation de traits

qui rendent le visage disponible, selon les circonstances, à des communautés de style.

François Noudelmann
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« Glissant, c’est du Deleuze, avec un peu de poivre de Cayenne ! »

Anonyme.

François Noudelmann
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"Pour l'écrivain d'aujourd'hui, le contexte du cheminement est celui d'une mondialisation. Le paysage dans lequel il chemine, ce n'est pas sa seule langue, sa société de référence, sa seule urgence localiée, même si tout cela peut constituer [...] un "petit contexte". Il se trouve désormais en face du monde, comme au débouché d'un immense paysage. Un paysage indéchiffrable, avec ses

impossibles, ses écrasements, ses vertiges de souffles et de possibles à définir."

P. Chamoiseau

François Noudelmann
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Ceux qui croient posséder une clef transforment le monde en serrures. Ils s'excitent, ils interprètent les textes, les films, les gens. Ils colonisent la vie des autres. Les déchiffreurs devraient se calmer, juste décrire, tenter de voir, plutôt que de projeter du sens et de s'approprier l'obscur, plutôt que d'imposer la violence blafarde de l'univers. Dire comment,

pas pourquoi.

François Noudelmann
François Noudelmann

Qui fut Sartre ? Un baryton d'opérette, un philosophe allemand, un touriste en Italie, un harangueur du peuple, un homme à femmes, un écrivain caméléon, un rêveur mélancolique ? Sans doute tout cela en même temps. Les personnalités multiples de Sartre ont été vécues simultanément, sur un mode compartimenté avec des passages contrariés entre ses vies officielles ou refoulées.

Lorsqu'il se demandait ce qu'on peut « savoir d'un homme aujourd'hui », le philosophe anthropologue répondait avec l'armada de toutes les connaissances possibles, historiques, psychanalytiques, linguistiques... visant à la compréhension totale d'un individu. Paradoxalement, il se fuyait lui-même en poursuivant le projet de comprendre les autres, rétif à sa propre identité. Connaître

Sartre ne signifie pas regrouper les informations éparses qu'on peut collecter dans ses archives, même les plus inattendues et les plus contradictoires. Resteront toujours, hors de portée, des moments vécus sans traces, recouverts sous les dizaines de milliers de pages déposées par cet écrivain polygraphe. Entre les lignes, sans les mots, se sont envolés de nombreux rêves, restés

inconscients, des fantasmes de vies possibles, d'intenses émotions à l'écoute de musiques ou à la vue de paysages, impossibles à consigner. Des amours et des désirs non dicibles, des désespoirs qu'aucun divan d'analyste n'a recueillis, des excès et des extases causés par des drogues, dans la noirceur ou 1' éclaircie du délire, demeureront muets à jamais. Des petites folies aussi, par

lesquelles Sartre frôla le vertige de 1'abandon. Toutes ces échappées ne peuvent être devinées qu'au travers de résidus marginaux, sons de voix et d'instruments captés sans contrôle, correspondances non destinées à la publication, mensonges relatifs aux adresses multiples, images instantanées et sans projet, mots poétiques et maladroits. Grâce à leur bruissement, la grand œuvre et

l'Histoire officielle se lisent et s'écoutent autrement, délestées de l'hagiographie et de l'appropriation du sens. De telles informations, parfois sous la forme d'intuitions, ouvrent des fenêtres dans la maison de cet homme qui se sentait intimement appartenir au vent. Elles provoquent des courants d'air et dessinent des perspectives surprenantes, déroutant la chronologie progressive au

profit de chemins désordonnés, régressifs et achroniques.

A chacun son Sartre, sans doute. L'admiration ou la haine ont besoin d'un portrait univoque de l'être aimé ou détesté. Pour beaucoup, la figure de Sartre reste liée, de façon indissociable, à la politique, à sa conception de l'engagement et à ses interventions intellectuelles. Pendant trente-cinq ans, il n'a cessé

de soutenir des luttes populaires et des militants révolutionnaires, de dénoncer des crimes de guerre, de porter un message d'émancipation à toutes celles et tous ceux qui subissent une domination raciale, sexuelle, coloniale, impériale, économique. Défenseur des Juifs, des Noirs, des colonisés, des prolétaires, des femmes, des homosexuels, des étudiants, des Algériens, des Vietnamiens,

des Palestiniens... il mit son écriture au service des opprimés, inconditionnellement. Plus encore, il somma la littérature et les arts de prendre leurs responsabilités et d'assumer leur solidarité politique. Dès lors, montrer un Sartre qui écrit « la politique m'emmerde », qui renâcle à pousser son cri d'indignation à la face du monde, et qui cherche les occasions de fuir à la

dérobée, loin du verbiage idéologique, cela choquera légitimement les fidèles du grand homme. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

François Noudelmann
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Lorsqu'il comprend que l'engagement intellectuel ne change pas le cours du monde, il essaie d'oublier, demandant même à Beauvoir de ne pas lire le journal tant les nouvelles sont déprimantes.

François Noudelmann
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L'Enfer, c'est les autres.