Gaston Bachelard
Gaston Bachelard

L'être voué à l'eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute.

Henri Bergson
Henri Bergson

[...]Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage. Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue

entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nous

sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n'apercevons de notre état d'âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos

sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d'autres forces ; et

fascinés par l'action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu'elle s'est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique,

qui est œuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d'un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d'entendre ou de penser. Si ce détachement était complet, si l'âme n'adhérait plus à l'action par aucune de ses perceptions, elle serait l'âme d'un artiste comme le monde

n'en a point vu encore. Elle excellerait dans tous les arts à la fois, ou plutôt elle les fondrait tous en un seul. Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons du monde matériel que les plus subtils mouvements de la vie intérieure. Mais c'est trop demander à la nature. Pour ceux mêmes d'entre nous qu'elle a faits artistes,

c'est accidentellement, et d'un seul côté, qu'elle a soulevé le voile. C'est dans une direction seulement qu'elle a oublié d'attacher la perception au besoin. Et comme chaque direction correspond à ce que nous appelons un sens, c'est par un de ses sens, et par ce sens seulement, que l'artiste est ordinairement voué à l'art. De là, à l'origine, la diversité des arts. De là aussi la

spécialité des prédispositions. Celui-là s'attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les perçoit pour elles et non pour lui, c'est la vie intérieure des choses qu'il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. Il la fera entrer peu à peu dans notre perception d'abord déconcertée. Pour un moment

au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s'interposaient entre notre œil et la réalité. Et il réalisera ainsi la plus haute ambition de l'art, qui est ici de nous révéler la nature. — D'autres se replieront plutôt sur eux-mêmes. Sous les mille actions naissantes qui dessinent au-dehors un sentiment, derrière le mot banal et social qui exprime et recouvre un

état d'âme individuel, c'est le sentiment, c'est l'état d'âme qu'ils iront chercher simple et pur. Et pour nous induire à tenter le même effort sur nous-mêmes, ils s'ingénieront à nous faire voir quelque chose de ce qu'ils auront vu : par des arrangements rythmés de mots, qui arrivent ainsi à s'organiser ensemble et à s'animer d'une vie originale, ils nous disent, ou plutôt ils nous

suggèrent, des choses que le langage n'était pas fait pour exprimer. — D'autres creuseront plus profondément encore. Sous ces joies et ces tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils saisiront quelque chose qui n'a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à l'homme que ses sentiments les plus intérieurs,

étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son exaltation, de ses regrets et de ses espérances. En dégageant, en accentuant cette musique, ils l'imposeront à notre attention ; ils feront que nous nous y insérerons involontairement nous-mêmes, comme des passants qui entrent dans une danse. Et par là ils nous amèneront à ébranler aussi, tout au fond de

nous, quelque chose qui attendait le moment de vibrer. — Ainsi, qu'il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l'art n'a d'autre objet que d'écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même. C'est d'un malentendu sur ce point qu'est

né le débat entre le réalisme et l'idéalisme dans l'art. L'art n'est sûrement qu'une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de perception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience, enfin une certaine immatérialité de vie, qui est ce qu'on a toujours appelé de l'idéalisme. De sorte

qu'on pourrait dire, sans jouer aucunement sur le sens des mots, que le réalisme est dans l'oeuvre quand l'idéalisme est dans l'âme, et que c'est à force d'idéalité seulement qu'on reprend contact avec la réalité. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

Jacques Derrida
Jacques Derrida

Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure, et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite. Il m’habite. Le monolinguisme dans lequel je respire, même, c’est pour moi l’élément. Non pas un élément naturel, non pas la transparence de l’éther mais un milieu absolu. Indépassable, incontestable. Hors de lui je ne serais pas moi-même. Il me

constitue, il me dicte jusqu’à l’ipséité du tout, il me prescrit, aussi, une solitude monacale, comme si des vœux m’avaient lié avant même que j’apprenne à parler. Ce solipsisme intarissable, c’est moi avant moi. A demeure. Or jamais cette langue, la seule que je sois ainsi voué à parler, tant que parler me sera possible, à la vie à la mort, cette seule langue, vois-tu, jamais

ce ne sera la mienne. Jamais elle ne le fut en vérité. Tu perçois du coup l’origine de mes souffrances, puisque cette langue les traverse de part en part, et le lieu de mes passions, de mes désirs, de mes prières, la vocation de mes espérances. Mais j’ai tort, j’ai tort de parler de traversée et de lieu. Car c’est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la

ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même. Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant d’une lame aigüe que je voulais te confier presque sans mot dire, je souffre et je jouis de ceci que je te dis

dans notre langue dite commune : « Oui je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          70

Carl Sagan
Carl Sagan

Son épitaphe, qu'il composa lui-même, disait : "J'ai mesuré les cieux et maintenant je mesure les ombres. Voué au firmament était mon esprit, voués à la Terre, les restes de mon corps." [Kepler] Mais la guerre de Trente Ans fit disparaître sa tombe. Si une stèle lui était élevée aujourd'hui, elle pourrait porter, en hommage à son courage scientifique, les mots suivants : "Il préféra

la dure vérité à ses rêves les plus chers."

Ezra Pound
Ezra Pound

L’homme est un organisme hyper-compliqué. S’il est voué à l’extinction, il disparaîtra par désir de simplicité.

Dag Hammarskjöld
Dag Hammarskjöld

Aie pitié de nous.
Aie pitié de notre effort(…)
Donne-nous l’esprit pur afin que nous te voyions,
l’esprit humble afin que nous t’entendions,
l’esprit d’amour afin que nous te servions,
l’esprit de la foi pour que nous vivions en toi.
Toi que je ne connais pas mais à qui j’appartiens.
Toi que je ne comprends mais qui m’as voué à mon

destin.
Toi.

Julia Kristeva
Julia Kristeva

Il ne suffit pas de bombarder Daech,
d’incarcérer les djihadistes
ou de promettre,
voire de trouver, du
travail aux jeunes chômeurs
des quartiers
La guerre contre le mal radical nous demande de prendre au sérieux le projet de Nietzsche, « poser un grand point d’interrogation à l’endroit du plus grand sérieux », entendons : à l’endroit de Dieu,

des idéaux, et de leur absence. Pour les faire connaître, les transmettre aux jeunes générations et les réévaluer, les problématiser, les repenser sans fin, les réinventer. Interpréter l’horreur et lutter concrètement contre elle par tous les moyens. Ne pas démissionner devant le mal, ni même devant le mal extrême. Mais poursuivre patiemment la recherche, certainement pas d’on ne

sait quel équilibre utopique et sécuritaire, mais de ce point fragile que Pascal définit comme un « mouvement perpétuel », en écrivant : « Qui a trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel. » Et si la vision qui nous manque aujourd’hui était précisément ce « point », ce « mouvement perpétuel

», vers le « secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal ». Une certaine expérience intérieure très exigeante que les barbares ont désertée…

Il ne suffit pas de bombarder Daech, d’incarcérer les djihadistes ou de promettre, voire de trouver, du travail aux jeunes chômeurs des quartiers. Il est urgent d’organiser, avec les parents, dès le plus jeune âge, un

suivi attentif aux failles chez les éventuelles proies des fous de Dieu, qui se tapissent, souvent inaperçues, dans les marges sociales ou dans les pathologies latentes. Il est plus qu’urgent aussi de forger et de partager de nouveaux idéaux civiques attractifs pour une jeunesse vécue comme une ressource, et non plus comme un danger. Ses qualités de générosité, de créativité et

d’engagement pourraient se déployer dans des métiers à vocation sociale, éducative, culturelle, humanitaire ; des ONG, des institutions de coopération, d’entraide, etc. Reconstruire l’Afrique est de ces chantiers qui peuvent passionner les jeunes Européens, mais aussi l’éducation des jeunes filles, le développement des énergies durables… Qui pourrait éveiller, guider, faire

aboutir ces désirs ?

Faisons une priorité de la formation, assortie d’une valorisation conséquente, d’un « corps enseignant et formateur » ; ce dispositif serait voué à l’accompagnement personnalisé du mal-être psychosexuel, du besoin de croire et du désir de savoir des adolescents. Les éducateurs, enseignants, professeurs, auxiliaires de vies, psychologues, mais aussi

managers en ressources humaines, entrepreneurs… pourraient créer une véritable passerelle au-dessus de l’abîme qui se creuse et de l’état de guerre qui menace. C’est cela, la priorité mondiale de notre globalisation hyperconnectée. La seule qui pourrait protéger –à travers la diversité culturelle devenue partageable– l’humanité elle-même. + Lire la suiteCommenter

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Gillian Anderson
Gillian Anderson

À un moment ou à un autre de notre vie, la plupart d'entre nous ressentent un appel émanant du plus profond de soi. Parfois, il est si discret qu'on l'entend à peine - comme un léger coup à la porte. Il ne fait pas plus de bruit qu'une feuille qui tombe.

On peut alors s'imaginer l'avoir rêvé. Mais il peut aussi retentir plus fort et prendre la forme d'un malaise persistant,

d'une sensation de manque. Cette sensation nous réveille au beau milieu de la nuit, et l'on commence à s'interroger sur le sens de notre routine quotidienne.

Chez certaines, c'est une sensation de solitude qui subsiste même en présence d'amis. Ou un sentiment d'injustice doublé d'un désir urgent de changer les choses qui semble en même temps voué à l'échec.

Notre cœur nous chuchote qu'il existe peut-être une meilleure manière de vivre, que nous devrions nous recentrer sur l'essentiel : la souffrance d'autrui et l'avenir de notre planète, mais notre tête, elle, nous accuse de naïveté et nous dit de nous mettre au travail, de continuer notre vie comme si de rien n'était. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie       

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Gaston Bachelard
Gaston Bachelard

En rêvant près de la rivière,
j'ai voué mon imagination à l'eau,
à l'eau verte et claire,
à l'eau qui verdit les prés. (...)
L'eau anonyme sait tous mes secrets.
Le même souvenir sort de toutes les fontaines.

Gaston Bachelard
Gaston Bachelard

C'est au pays natal que nous devons notre couleur fondamentale. En rêvant près de la rivière, j'ai voué mon imagination à l'eau., à l'eau verte et claire, à l'eau qui verdit les prés.(...) L'eau anonyme sait tous mes secrets. Le même souvenir sort de toutes les fontaines.