Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock

[…] tout son entourage savait qu’un cinquante-quatrième film de Hitchcock était hors de question tant son état de santé – et son moral- s’étaient délabrés.
Dans le cas d’un homme comme Hitchcock, qui n’avait vécu que par et pour son travail, un arrêt d’activité signifiait un arrêt de mort. Il le savait, tout le monde le savait, c’est pourquoi les quatre dernières

années de sa vie ont été si tristes.
Le 2 mai 1980, quelques jours après sa mort, une messe a été dite dans une petite église de Santa Monica Boulevard, à Berverly Hills. L’année précédente, dans la même église, c’est à Jean Renoir qu’on disait adieu. Il y avait la famille, des amis, des voisins, des cinéphiles américains et même de simples passants. Pour Hitchcock, ce

fut différent. Le cercueil était absent, il avait pris une destination inconnue. Les invités, convoqués par télégramme, étaient notés et vérifiés à l’entrée de l’église par le service d’ordre de la Société Universal. La police faisait circuler les curieux. C’était l’enterrement d’un homme timide devenu intimidant qui, pour une fois, évitait la publicité puisqu’elle

ne pouvait plus servir son travail, un homme qui s’était exercé depuis l’adolescence à contrôler la situation.
L’homme était mort, mais non le cinéaste, car ses films, réalisés avec un soin extraordinaire, une passion exclusive, une émotivité extrême masquée par une maîtrise technique rare, n’en finiraient pas de circuler, diffusés à travers le monde, rivalisant avec

les productions nouvelles, défiant l’usure du temps, vérifiant l’image de Jean Cocteau parlant de Proust : « Son œuvre continuait à vivre comme les montres au poignet des soldats morts. »

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Hector Berlioz
Hector Berlioz

Quelle folie ! diront bien des gens. Oui, mais quel bonheur ! Les gens raisonnables ne savent pas à quel degré d’intensité peut atteindre ainsi le sentiment de l’existence ; le cœur se dilate, l’imagination prend une envergure immense, on vit avec fureur ; le corps même, participant de cette surexcitation de l’esprit, semble devenir de fer. Je faisais alors mille imprudences qui

peut-être aujourd’hui me coûteraient la vie.

Je partis un jour de Tivoli, par une pluie battante, mon fusil à pistons me permettant de chasser malgré l’humidité. J’arrivai le soir à Subiaco, mouillé jusqu’aux os dès le matin, ayant fait mes dix lieues et tué quinze pièces de gibier.

Replongé maintenant dans la tourmente parisienne, avec quelle force et

quelle fidélité je me rappelle ce sauvage pays des Abruzzes où j’ai tant erré ; villages étranges, mal peuplés d’habitants mal vêtus, au regard soupçonneux, armés de vieux fusils délabrés qui portent loin et atteignent trop souvent leur but ! Sites bizarres, dont la mystérieuse solitude me frappa si vivement ! je retrouve en foule des impressions perdues et oubliées. Ce sont

Subiaco, Alatri, Civitella, Genesano, Isola di Sora, San-Germano, Arce, les pauvres vieux couvents déserts dont l’église est toute grande ouverte.... les moines sont absents.... le silence seul y habite.... plus tard, moines et bandits y reviendront de compagnie. Ce sont les somptueux monastères, peuplés d’hommes pieux et bienveillants, qui accueillent cordialement les voyageurs et les

étonnent par leur spirituelle et savante conversation ; le palais bénédictin du Monte-Cassino, avec son luxe éblouissant de mosaïques, de boiseries sculptées, de reliquaires, etc. ; l’autre couvent de San-Benedetto, à Subiaco, où se trouve la grotte qui reçut saint Benoît, où les rosiers qu’il planta fleurissent encore. Plus haut, dans la même montagne, au bord d’un précipice au

fond duquel murmure le vieil Anio, ce ruisseau chéri d’Horace et de Virgile, la cellule del Beato Lorenzo, adossée à un mur de rochers que dore le soleil, et où j’ai vu s’abriter des hirondelles au mois de janvier. Grands bois de châtaigniers au noir feuillage, où surgissent des ruines surmontées par intervalles, au soir, de formes humaines qui se montrent un instant et disparaissent

sans bruit... pâtres ou brigands... En face, sur l’autre rive de l’Anio, grande montagne à dos de baleine, où l’on voit encore à cette heure une petite pyramide de pierres que j’eus la constance de bâtir, un jour de spleen, et que les peintres français, amants fidèles de ces solitudes, ont eu la courtoisie de baptiser de mon nom. Au-dessous, une caverne où l’on entre en rampant

et dont on ne peut atteindre l’entrée qu’en se laissant tomber du rocher supérieur, au risque d’arriver brisé à cinq cents pieds plus bas.

À droite, un champ où je fus arrêté par des moissonneurs étonnés de ma présence en pareil lieu, qui m’accablèrent de questions, et ne me laissèrent continuer mon ascension que sur l’assurance plusieurs fois donnée qu’elle

avait pour but l’accomplissement d’un vœu fait à la madone. Loin de là, dans une étroite plaine, la maison isolée de la Piagia, bâtie sur le bord de l’inévitable Anio, où j’allais demander l’hospitalité et faire sécher mes habits, après les longues chasses, aux jours pluvieux d’automne. La maîtresse du logis, excellente femme, avait une fille admirablement belle, qui depuis

a épousé le peintre lyonnais, notre ami Flacheron. Je vois encore ce jeune drôle, demi-bandit, demi-conscrit, Crispino, qui nous apportait de la poudre et des cigares. Lignes de madones couronnant les hautes collines, et que suivent, le soir, en chantant des litanies, les moissonneurs attardés qui reviennent des plaines, au tintement mélancolique de la campanella d’un couvent caché ;

forêts de sapins que les pifferari font retentir de leurs refrains agrestes ; grandes filles aux noirs cheveux, à la peau brune, au rire éclatant, qui, tant de fois, pour danser, ont abusé de la patience et des doigts endoloris di questo signore qui suona la chitarra francese ; et le classique tambour de basque accompagnant mes saltarelli improvisés ; les carabiniers, voulant à toute force

s’introduire dans nos bals d’Osteria ; l’indignation des danseurs français et abruzzais ; les prodigieux coups de poing de Flacheron ; l’expulsion honteuse de ces soldats du pape ; menaces d’embuscades, de grands couteaux !... Flacheron, sans nous rien dire, à minuit, au rendez-vous, armé d’un simple bâton ; absence des carabiniers ; Crispino enthousiasmé !

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Enfin, Albano, Castelgandolpho, Tusculum, le petit théâtre de Cicéron, les fresques de sa villa ruinée ; le lac de Gabia, le marais où j’ai dormi à midi, sans songer à la fièvre ; vestiges des jardins qu’habita Zénobie, la noble et belle reine détrônée de

Palmyre. Longues lignes d’aqueducs antiques fuyant au loin à perte de vue.

Cruelle mémoire des jours de liberté qui ne sont plus ! Liberté de cœur, d’esprit, d’âme, de tout ; liberté de ne pas agir, de ne pas penser même ; liberté d’oublier le temps, de mépriser l’ambition, de rire de la gloire, de ne plus croire à l’amour ; liberté d’aller au nord, au sud, à

l’est ou à l’ouest, de coucher en plein champ, de vivre de peu, de vaguer sans but, de rêver, de rester gisant, assoupi, des journées entières, au souffle murmurant du tiède siroco ! Liberté vraie, absolue, immense ! Ô grande et forte Italie ! Italie sauvage ! insoucieuse de ta sœur, l’Italie artiste,

«La belle Juliette au cercueil étendue.» + Lire la

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Vassily Kandinsky
Vassily Kandinsky

L’harmonie des couleurs doit reposer uniquement sur le principe de l’entrée en contact efficace avec l’âme humaine.

Arthur C. Clarke
Arthur C. Clarke

Guetteur de Lune rampa jusqu’à l’extérieur, grimpa sur un gros rocher proche de l’entrée et s’accroupit pour observer la vallée… De toutes les créatures qui avaient jamais vécu sur Terre, les hommes-singes étaient les premiers à contempler la lune en face. Et, bien qu’il ne pût s’en souvenir, Guetteur de Lune, dans sa prime jeunesse, avait souvent tendu la main pour essayer

de toucher cette face fantomatique qui errait au-dessus des collines. Jamais il n’y était parvenu et, à présent, il était assez âgé pour en comprendre la raison : il fallait avant tout trouver un arbre suffisamment haut.

Boris Pasternak
Boris Pasternak

Il n’y aura plus personne,
Que l’ombre du soir. L’hiver
Qui au regard s’abandonne
Par les rideaux entrouverts.

Rien que les flocons blafards
Qu’un vol fugitif consomme;
Les toits, la neige, et à part
La neige et les toits – personne.

Et les ramages du givre,
Les soucis d’hivers passés,
Avec le spleen vont

revivre,
Reprendre en moi leur tracé.

Et la faute sans pardon
Me poindra, et, par disette
De bois, à nouveau grimperont
Les rondins à mi-fenêtre.

Mais dans l’entrée sans défense
Frissonnera la tenture;
Et arpentant le silence
Tu viendras, tel le futur.

Tu seras toute en blanc, pauvre
D’ornements hors de

saison,
Toute en ces mêmes étoffes
Où l’on taille les flocons.
1931

Traduction Henri Abril

Patrick Senécal
Patrick Senécal

En voyant le monstre sortir de la voiture, Bruno Hamel entendit le grognement de chien pour la première fois.
A une trentaine de mètres devant lui, la voiture de police était arrêtée près de l’entrée arrière du Palais de justice depuis une bonne minute déjà et ses occupants n’avaient toujours pas donné signe de vie. Bruno s’était même demandé s’ils n’avaient pas

remarqué sa présence lorsque les deux policiers étaient enfin sortis pour ouvrir aussitôt la porte arrière. Le monstre, menotté, était apparu.
Bruno le voyait en chair et en os pour la première fois. A l’exception de ses cheveux lissés et de sa barbe fraichement coupée, il était comme toutes les images vues à la télé.
C’est à ce moment là que le grognement de chien

se fit entendre, sourd, lointain. Bruno y porta à peine attention. Ses yeux ne quittaient pas le visage du monstre. Il s’était toujours méfié des stéréotypes : il considérait que les plus tordus avaient souvent l’air les plus droits…Pourtant, cette fois le monstre ressemblait vraiment à une pourriture, une vraie caricature de « méchant » hollywoodien, et cette constatation

agaçait Bruno, il n’aurait su dire pourquoi. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          30

Patrick Senécal
Patrick Senécal

En voyant le monstre sortir de la voiture, Bruno Hamel entendit le grognement de chien pour la première fois.

A une trentaine de mètres devant lui, la voiture de police était arrêtée près de l’entrée arrière du Palais de justice depuis une bonne minute déjà et ses occupants n’avaient toujours pas donné signe de vie. Bruno s’était même demandé s’ils n’avaient pas

remarqué sa présence lorsque les deux policiers étaient enfin sortis pour ouvrir aussitôt la porte arrière. Le monstre, menotté, était apparu.
Bruno le voyait en chair et en os pour la première fois. A l’exception de ses cheveux lissés et de sa barbe fraichement coupée, il était comme toutes les images vues à la télé.
C’est à ce moment là que le grognement de chien

se fit entendre, sourd, lointain. Bruno y porta à peine attention. Ses yeux ne quittaient pas le visage du monstre. Il s’était toujours méfié des stéréotypes : il considérait que les plus tordus avaient souvent l’air les plus droits…Pourtant, cette fois le monstre ressemblait vraiment à une pourriture, une vraie caricature de « méchant » hollywoodien, et cette constatation

agaçait Bruno, il n’aurait su dire pourquoi. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Vincent Engel
Vincent Engel

À présent, sa famille prenait plus de place dans le cimetière que dans les rues de Montechiarro. Adriano suivit le père Baldassare et les quelques villageois qui les avaient accompagnés jusqu’à l’entrée où on l’embrassa encore, mais avec plus d’empressement qu’à l’annonce du décès de ses parents ; la vie, décidément, était impatiente, et il fallait être riche pour

pouvoir s’adonner au malheur.

Les gens s’éloignèrent et Adriano resta seul avec le père Baldassare et le soleil.

– Viens, Adriano, nous avons à parler, toi et moi.

Julia Kristeva
Julia Kristeva

PROUST 2/
La métaphore est la figure la plus célèbre du style proustien...

J.K. : A la métaphore classique, définie traditionnellement par le télescopage de deux termes divergents, « la terre est bleue comme une orange », « l’homme est un roseau », Proust a adjoint un substrat qui est la sensation. C’est pour lui l’« impression » ultime à atteindre, d’abord

dans l’introspection, en se penchant sur la mémoire, en rassemblant deux instants séparés dans le temps et l’espace, et en les réunissant dans les « anneaux » de sa syntaxe hyperbolique. Les mots proustiens avancent par deux (la madeleine de Maman / la madeleine de Tante Léonie ; les dalles de Saint-Marc / les dalles de la cour des Guermantes), et chacun d’eux comporte au moins trois

strates : son/sens/sensation. On obtient ainsi ce style qu’il appelle « vision » et où l’abstraction verbale rejoint la chair, l’incarnation, l’expérience sensorielle et passionnelle.

Mon ambition est d’amener le lecteur à la même alchimie. L’univers de la lecture, en particulier de Proust, peut nous conduire à faire ressusciter cette expérience sensorielle, les

odeurs des aubépines, le goût de la madeleine, le bruit des dalles de Saint-Marc ou des cuillers de chez les Guermantes, tous ces petits détails de la vie quotidienne qui font la richesse de la vie psychique, de la vie tout simplement.

On connaît aussi la « phrase de Proust »...

J.K. : L’autre procédé, que mon attention au langage informée par la psychanalyse,

mais aussi par la linguistique, m’a fait déplier, c’est en effet la subtilité de la syntaxe. Tout le monde relève la virtuosité de la phrase proustienne, mais peu ont voulu vraiment l’étudier de près. De fait, la phrase proustienne est tellement riche que même les différentes théories syntaxiques actuelles, pourtant fort complexes, n’arrivent pas à en rendre compte. J’ai été

obligée de faire des entorses aux théories classiques, y compris les plus contemporaines, pour décrire ces emboîtements infinis qui permettent à la phrase proustienne de sortir de la linéarité du temps qui passe, de créer ce tissage temporel si particulier, qui fait penser à la temporellité de Heidegger, mais s’en différencie profondément en dépassant le souci dans la joie.

La complexité est telle que parfois, ces phrases sont construites par l’éditeur du texte...

J.K. : Les premiers éditeurs ont eu beaucoup de mal, notamment pour les derniers textes, et ont retenu une variante possible qui leur paraissait la plus cohérente. Mais si on se reporte aux manuscrits, c’est beaucoup plus compliqué. On y voit par exemple comment Proust mourant a

gardé une sorte de vigilance jusqu’à la dernière phrase, en reprenant les thèmes centraux, en résorbant d’autres plus pathétiques qui l’angoissaient initialement, pour arriver à condenser ce qui est l’essentiel, c’est-à-dire l’entrée du temps à l’intérieur de l’être humain. Avoir conduit ce train de pensées extrêmement complexes dans une seule phrase et avec une main

tremblante dans l’agonie, c’est magistral, rare, c’est unique. Pouvoir se priver de cette faiblesse qu’est l’apitoiement sur sa propre mort, c’est le fait d’un génie.

A la fin de votre travail sur Proust, ne fixez-vous pas un programme au roman français, et à la romancière que vous êtes.

J.K. : Je compare l’époque que nous vivons à la fin de

l’Empire romain, sans la promesse d’une nouvelle religion. C’est au roman de proposer un imaginaire correspondant à cette actualité et sans la complaisance de la culture-spectacle. Alors, la question se pose : comment écrire ce récit critique, incarné, sensible, qui pourrait être transmissible à un grand public, ce qui est, si on considère son histoire, la vocation du roman ?


Sans pour autant avoir de programme, je pense que le témoignage de Proust (qui s’oppose à Mallarmé mais n’oublie pas l’ambition musicale des avant-gardes, par exemple), va dans le sens d’une reprise, d’une synthèse entre ce qui relève de la recherche formelle et les préoccupations sociales ou métaphysiques. Cette cathédrale proustienne reste plus actuelle que jamais.


Malgré les apparences d’intégration, mon expérience de l’actualité est une expérience de douleur. Je me sens une étrangère en France et je suis très sensible au mal, ici comme ailleurs ; en moi et chez les autres. C’est ce que reflète mon dernier roman, « le Vieil Homme et les Loups ». J’envisage de poursuivre cette écriture en accentuant l’aspect « roman policier

» de mon livre. Le roman policier a l’avantage d’affronter directement la violence, la douleur et le mal et d’être une forme souple, qui touche le plus grand nombre, tout en réservant un univers d’insolite pour le langage comme pour la réflexion. Ce sera un policier métaphysique...

Propos recueillis par Alain Nicolas
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Michaël Mention
Michaël Mention

Il quitte sa chaise – lentement, cette fois – et rouvre la porte, l’enveloppe à la main. D’un pas pressé, il traverse la plate-forme de bureaux, indifférent au stress journalistique. Sur son chemin, un jeune dessinateur lui présente des illustrations sans parvenir à capter son attention. Au fil des pas, l’angoisse de Vaughn se mue en panique, que le trajet en ascenseur rend

insupportable. Arrivé au dernier étage, il arpente le couloir désert jusqu’à son bureau, à l’entrée duquel se trouve sa secrétaire :

– Ah ! Monsieur, votre rendez-vous avec…

– Appelez-moi la police de Wakefield ! Et qu’on ne me dérange pas .

Elle décroche le combiné, le regardant entrer dans son bureau. Il claque la porte, s’assoit

lourdement dans son fauteuil et desserre sa cravate.