Loïc Decrauze
Loïc Decrauze

La carrière m’emmerde, l’ambition me fait bâiller, l’étalage friqué m’indiffère…

James Fenimore Cooper
James Fenimore Cooper

Lorsque l’ambition ou l’intérêt ont uni deux êtres qui n’ont ni les mêmes principes ni les mêmes opinions, et que le mari et la femme, également égoïstes, ne veulent céder ni l’un ni l’autre, une prompte séparation est le seul remède à des nœuds mal assortis, ou la vie de ces époux ne sera qu’une suite de disputes continuelles.

Julia Kristeva
Julia Kristeva

PROUST 2/
La métaphore est la figure la plus célèbre du style proustien...

J.K. : A la métaphore classique, définie traditionnellement par le télescopage de deux termes divergents, « la terre est bleue comme une orange », « l’homme est un roseau », Proust a adjoint un substrat qui est la sensation. C’est pour lui l’« impression » ultime à atteindre, d’abord

dans l’introspection, en se penchant sur la mémoire, en rassemblant deux instants séparés dans le temps et l’espace, et en les réunissant dans les « anneaux » de sa syntaxe hyperbolique. Les mots proustiens avancent par deux (la madeleine de Maman / la madeleine de Tante Léonie ; les dalles de Saint-Marc / les dalles de la cour des Guermantes), et chacun d’eux comporte au moins trois

strates : son/sens/sensation. On obtient ainsi ce style qu’il appelle « vision » et où l’abstraction verbale rejoint la chair, l’incarnation, l’expérience sensorielle et passionnelle.

Mon ambition est d’amener le lecteur à la même alchimie. L’univers de la lecture, en particulier de Proust, peut nous conduire à faire ressusciter cette expérience sensorielle, les

odeurs des aubépines, le goût de la madeleine, le bruit des dalles de Saint-Marc ou des cuillers de chez les Guermantes, tous ces petits détails de la vie quotidienne qui font la richesse de la vie psychique, de la vie tout simplement.

On connaît aussi la « phrase de Proust »...

J.K. : L’autre procédé, que mon attention au langage informée par la psychanalyse,

mais aussi par la linguistique, m’a fait déplier, c’est en effet la subtilité de la syntaxe. Tout le monde relève la virtuosité de la phrase proustienne, mais peu ont voulu vraiment l’étudier de près. De fait, la phrase proustienne est tellement riche que même les différentes théories syntaxiques actuelles, pourtant fort complexes, n’arrivent pas à en rendre compte. J’ai été

obligée de faire des entorses aux théories classiques, y compris les plus contemporaines, pour décrire ces emboîtements infinis qui permettent à la phrase proustienne de sortir de la linéarité du temps qui passe, de créer ce tissage temporel si particulier, qui fait penser à la temporellité de Heidegger, mais s’en différencie profondément en dépassant le souci dans la joie.

La complexité est telle que parfois, ces phrases sont construites par l’éditeur du texte...

J.K. : Les premiers éditeurs ont eu beaucoup de mal, notamment pour les derniers textes, et ont retenu une variante possible qui leur paraissait la plus cohérente. Mais si on se reporte aux manuscrits, c’est beaucoup plus compliqué. On y voit par exemple comment Proust mourant a

gardé une sorte de vigilance jusqu’à la dernière phrase, en reprenant les thèmes centraux, en résorbant d’autres plus pathétiques qui l’angoissaient initialement, pour arriver à condenser ce qui est l’essentiel, c’est-à-dire l’entrée du temps à l’intérieur de l’être humain. Avoir conduit ce train de pensées extrêmement complexes dans une seule phrase et avec une main

tremblante dans l’agonie, c’est magistral, rare, c’est unique. Pouvoir se priver de cette faiblesse qu’est l’apitoiement sur sa propre mort, c’est le fait d’un génie.

A la fin de votre travail sur Proust, ne fixez-vous pas un programme au roman français, et à la romancière que vous êtes.

J.K. : Je compare l’époque que nous vivons à la fin de

l’Empire romain, sans la promesse d’une nouvelle religion. C’est au roman de proposer un imaginaire correspondant à cette actualité et sans la complaisance de la culture-spectacle. Alors, la question se pose : comment écrire ce récit critique, incarné, sensible, qui pourrait être transmissible à un grand public, ce qui est, si on considère son histoire, la vocation du roman ?


Sans pour autant avoir de programme, je pense que le témoignage de Proust (qui s’oppose à Mallarmé mais n’oublie pas l’ambition musicale des avant-gardes, par exemple), va dans le sens d’une reprise, d’une synthèse entre ce qui relève de la recherche formelle et les préoccupations sociales ou métaphysiques. Cette cathédrale proustienne reste plus actuelle que jamais.


Malgré les apparences d’intégration, mon expérience de l’actualité est une expérience de douleur. Je me sens une étrangère en France et je suis très sensible au mal, ici comme ailleurs ; en moi et chez les autres. C’est ce que reflète mon dernier roman, « le Vieil Homme et les Loups ». J’envisage de poursuivre cette écriture en accentuant l’aspect « roman policier

» de mon livre. Le roman policier a l’avantage d’affronter directement la violence, la douleur et le mal et d’être une forme souple, qui touche le plus grand nombre, tout en réservant un univers d’insolite pour le langage comme pour la réflexion. Ce sera un policier métaphysique...

Propos recueillis par Alain Nicolas
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Michaïl Lermontov
Michaïl Lermontov

Je ressens en moi cette insatiable avidité qui engloutit tout ce qu’elle rencontre sur son chemin. Je ne songe à la souffrance et à la joie des autres que par rapport à moi ; j’y trouve l’aliment nécessaire à l’entretien des forces de mon âme. Je ne suis plus capable de faire des folies sous l’influence de la passion et mon ambition est étouffée par les circonstances ; mais elle

se produit d’une autre manière, car, l’ambition n’est que la soif de la puissance, et le premier des plaisirs pour moi, est de subordonner à ma volonté tous ceux qui m’entourent et d’éveiller en eux le sentiment de l’amour, de l’attachement, de la frayeur. Et n’est-ce pas en effet la plus grande preuve et le plus grand triomphe de la puissance, que d’être pour le premier

venu, une cause de souffrance ou de plaisir, sans avoir au-dessus de lui un droit positif ! Qu’est-ce que le bonheur, si ce n’est l’orgueil assouvi ! si je croyais être le meilleur et le plus puissant des hommes, je serais heureux ! Et si tous m’aimaient, je trouverais en moi des sources inépuisables d’amour. Le mal engendre le mal, une première souffrance fait comprendre le plaisir

qu’il y a à tourmenter les autres. L’idée du mal ne peut entrer dans la tête d’un homme sans qu’il ne songe à le faire. Les idées, a dit quelqu’un, c’est la création organisée ; leur naissance leur donne une forme et cette forme est l’action. Ainsi celui dans la tête duquel naît le plus grand nombre d’idées agit plus que tous les autres. + Lire la suiteCommenter

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Carlos Fuentes
Carlos Fuentes

Fray Julian se rappela son ami perdu, le Chroniqueur. Il aurait aimé lui dire en ce moment : « Laisse à d’autres le soin d’écrire les événements apparents de l’histoire : les guerres et les traités, les querelles héréditaires, la concentration ou l’éclatement du pouvoir, la lutte des Etats, l’ambition territoriale, toutes choses qui continuent de nous rattacher à

l’animalité. Toi, ami des fables, écris l’histoire des passions sans laquelle l’histoire de l’argent, du travail et du pouvoir demeure incompréhensible. »

Johan Huizinga
Johan Huizinga

Cette soif de gloire et d’honneur, propre à l’homme de la Renaissance, est, dans son essence, l’ambition chevaleresque d’une époque antérieure ; elle est d’origine française ; c’est l’honneur de classe étendu, dépouillé du sentiment féodal et fécondé par la pensée antique.

Alan Ayckbourn
Alan Ayckbourn

" Un jour, une journaliste m’a demandé si j’avais jamais eu l’ambition d’écrire une pièce sérieuse. J’imagine que mon expression lui en a dit plus que je ne le voulais car elle s’est immédiatement replongée dans son carnet et m’a demandé si, au bout du compte, je préférais les chats aux chiens. "
Alan Ayckbourn

Edgar Wallace
Edgar Wallace

— Tout est curieux à observer, dit-il enfin ; la vie et les circonstances de la vie ; le plaisir et la recherche du plaisir ; l’ambition des uns, la folie des autres… Tout paraît au fond anormal, étrange, curieux… oui, c’est le mot que je prononçais tout à l’heure. (p12)

Ian Hunter
Ian Hunter

Si toi, ami lecteur, tu es sur la toute en quête de gloire et de fortune, réfléchis encore un peu. Mais si tu as en toi l’excitation, l’ambition et l’optimisme, pas de quoi se prendre la tête avec l’argent – il finira pas venir, tôt ou tard.

Alfred Schütz
Alfred Schütz

Alfred Schütz, après un curieux silence français, est aujourd’hui consacré comme un classique de la sociologie.
Cette consécration tient à l’originalité d’une démarche qui concilie Weber et Husserl. Le monde ordinaire, sa saisie scientifique, et son expérience quotidienne, constitue alors le cœur de l’entreprise de Schütz. Ce monde est essentiellement décrypté comme un

objet de perception lié à des connaissances sociales. En un mot, l’ambition de Schütz est de répondre à la question_: comment procéder pour comprendre le monde et les autres_?
En filigrane, la figure de Don Quichotte nous permet de saisir le réel et son action.