Maxence Caron
Maxence Caron

Lire Pascal ne laisse jamais indemne : cet homme a vu. Le Feu divin lui apparut le 23 novembre 1654. Et l’on apprend à voir, infiniment, dans le regard ophtalmique de ce grand migraineux. Il voyait loin, et il voyait ainsi quel serait le cadre de l’Apocalypse, comme en témoigne telle extraordinaire sentence où nous concluons que la première des obligations de notre époque renversée est

l’urgence de retrouver, pour chacun, Celui qui parle au centre de son être : car le Seigneur vient imminent, dans la manifestation de sa Gloire, puisque, comme le dit Pascal, « c’est le consentement général dans l’erreur qui doit attirer le dernier jugement de Dieu.»

Gabriele d'Annunzio
Gabriele d'Annunzio

Doué d’une extraordinaire faculté verbale, il arrivait à traduire instantanément par les mots jusqu’aux faits les plus compliqués de sa sensibilité, avec une exactitude et un relief si vifs que parfois, sitôt exprimés, rendus objectifs par la propriété isolatrice du style, ils semblaient ne plus lui appartenir. Sa voix limpide et pénétrante, qui pour ainsi dire dessinait d’un

contour précis la figure musicale de chaque mot, donnait plus de relief encore à cette singulière qualité de sa parole. Aussi tous ceux qui l’entendaient pour la première fois éprouvaient-ils un sentiment ambigu, mêlé d’admiration et d’aversion, parce qu’il se manifestait lui-même sous des formes si fortement marquées qu’elles semblaient résulter d’une volonté constante

d’établir entre lui et les étrangers une différence profonde et infranchissable. Mais, comme sa sensibilité égalait son intelligence, il était facile à tous ceux qui le fréquentaient et l’aimaient de recevoir à travers le cristal de son verbe la chaleur de son âme passionnée et véhémente. Ceux-là savaient combien était illimité son pouvoir de sentir et de rêver, et de quelle

combustion sortaient les belles images en lesquelles il avait coutume de convertir la substance de sa vie intérieure.

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XXXV

Les théâtres de Gênes et de Florence. — I Montecchi ed i Capuletti de Bellini. — Roméo joué par une femme. — La Vestale de Paccini. — Licinius joué par une femme. L’organiste de Florence. — La fête del Corpus Domini — Je rentre à l’Académie.

En repassant à Gênes, j’allai entendre l’Agnese de Paër. Cet opéra fut célèbre à l’époque

de transition crépusculaire qui précéda le lever de Rossini.

L’impression de froid ennui dont il m’accabla tenait sans doute à la détestable exécution qui en paralysait les beautés. Je remarquai d’abord que, suivant la louable habitude de certaines gens qui, bien qu’incapables de rien faire, se croient appelées à tout refaire ou retoucher, et qui de leur coup d’œil

d’aigle aperçoivent tout de suite ce qui manque dans un ouvrage, on avait renforcé d’une grosse caisse l’instrumentation sage et modérée de Paër ; de sorte qu’écrasé sous le tampon du maudit instrument, cet orchestre, qui n’avait pas été écrit de manière à lui résister, disparaissait entièrement. Madame Ferlotti chantait (elle se gardait bien de le jouer) le rôle

d’Agnèse. En cantatrice qui sait, à un franc près, ce que son gosier lui rapporte par an, elle répondait à la douloureuse folie de son père par le plus imperturbable sang-froid, la plus complète insensibilité ; on eût dit qu’elle ne faisait qu’une répétition de son rôle, indiquant à peine les gestes, et chantant sans expression pour ne pas se fatiguer.

L’orchestre

m’a paru passable. C’est une petite troupe fort inoffensive ; mais les violons jouent juste et les instruments à vent suivent assez bien la mesure. À propos de violons... pendant que je m’ennuyais dans sa ville natale, Paganini enthousiasmait tout Paris. Maudissant le mauvais destin qui me privait de l’entendre, je cherchai au moins à obtenir de ses compatriotes quelques renseignements

sur lui ; mais les Génois sont, comme les habitants de toutes les ville de commerce, fort indifférents pour les beaux-arts. Ils me parlèrent très-froidement de l’homme extraordinaire que l’Allemagne, la France et l’Angleterre ont accueilli avec acclamations. Je demandai la maison de son père, on ne put me l’indiquer. À la vérité, je cherchai aussi dans Gênes le temple, la

pyramide, enfin le monument que je pensais avoir été élevé à la mémoire de Colomb, et le buste du grand homme qui découvrit le Nouveau Monde n’a pas même frappé une fois mes regards, pendant que j’errais dans les rues de l’ingrate cité qui lui donna naissance et dont il fit la gloire.

De toutes les capitales d’Italie, aucune ne m’a laissé d’aussi gracieux

souvenirs que Florence. Loin de m’y sentir dévoré de spleen, comme je le fus plus tard à Rome et à Naples, complètement inconnu, ne connaissant personne, avec quelques poignées de piastres à ma disposition, malgré la brèche énorme que la course de Nice avait faite à ma fortune, jouissant en conséquence de la plus entière liberté, j’y ai passé de bien douces journées, soit à

parcourir ses nombreux monuments, en rêvant de Dante et de Michel-Ange, soit à lire Shakespeare dans les bois délicieux qui bordent la rive gauche de l’Arno et dont la solitude profonde me permettait de crier à mon aise d’admiration. Sachant bien que je ne trouverais pas dans la capitale de la Toscane ce que Naples et Milan me faisaient tout au plus espérer, je ne songeais guère à la

musique, quand les conversations de table d’hôte m’apprirent que le nouvel opéra de Bellini (I Montecchi ed i Capuletti) allait être représenté. On disait beaucoup de bien de la musique, mais aussi beaucoup du libretto, ce qui, eu égard au peu de cas que les Italiens font pour l’ordinaire des paroles d’un opéra, me surprenait étrangement. Ah ! ah ! c’est une innovation ! ! ! je

vais donc, après tant de misérables essais lyriques sur ce beau drame, entendre un véritable opéra de Roméo, digne du génie de Shakespeare ! Quel sujet ! comme tout y est dessiné pour la musique !... D’abord le bal éblouissant dans la maison de Capulet, où, au milieu d’un essaim tourbillonnant de beautés, le jeune Montaigu aperçoit pour la première fois la sweet Juliet, dont la

fidélité doit lui coûter la vie ; puis ces combats furieux, dans les rues de Vérone, auxquels le bouillant Tybalt semble présider comme le génie de la colère et de la vengeance ; cette inexprimable scène de nuit au balcon de Juliette, où les deux amants murmurent un concert d’amour tendre, doux et pur comme les rayons de l’astre des nuits qui les regarde en souriant amicalement ; les

piquantes bouffonneries de l’insouciant Mercutio, le naïf caquet de la vieille nourrice, le grave caractère de l’ermite, cherchant inutilement à ramener un peu de calme sur ces flots d’amour et de haine dont le choc tumultueux retentit jusque dans sa modeste cellule... puis l’affreuse catastrophe, l’ivresse du bonheur aux prises avec celle du désespoir, de voluptueux soupirs changés

en râle de mort, et enfin le serment solennel des deux familles ennemies jurant, trop tard, sur le cadavre de leurs malheureux enfants, d’éteindre la haine qui fit verser tant de sang et de larmes. Je courus au théâtre de la Pergola. Les choristes nombreux qui couvraient la scène me parurent assez bons ; leurs voix sonores et mordantes ; il y avait surtout une douzaine de petits garçons de

quatorze à quinze ans, dont les contralti étaient d’un excellent effet. Les personnages se présentèrent successivement et chantèrent tous faux, à l’exception de deux femmes, dont l’une, grande et forte, remplissait le rôle de Juliette, et l’autre, petite et grêle, celui de Roméo. — Pour la troisième ou quatrième fois après Zingarelli et Vaccaï, écrire encore Roméo pour une

femme !... Mais, au nom de Dieu, est-il donc décidé que l’amant de Juliette doit paraître dépourvu des attributs de la virilité ? Est-il un enfant, celui qui, en trois passes, perce le cœur du furieux Tybalt, le héros de l’escrime, et qui, plus tard, après avoir brisé les portes du tombeau de sa maîtresse, d’un bras dédaigneux, étend mort sur les degrés du monument le comte

Pâris qui l’a provoqué ? Et son désespoir au moment de l’exil, sa sombre et terrible résignation en apprenant la mort de Juliette, son délire convulsif après avoir bu le poison, toutes ces passions volcaniques germent-elles d’ordinaire dans l’âme d’un eunuque ?

Trouverait-on que l’effet musical de deux voix féminines est le meilleur ?... Alors, à quoi bon des

ténors, des basses, des barytons ? Faites donc jouer tous les rôles par des soprani ou des contralti, Moïse et Othello ne seront pas beaucoup plus étranges avec une voix flûtée que ne l’est Roméo. Mais il faut en prendre son parti ; la composition de l’ouvrage va me dédommager...

Quel désappointement ! ! ! dans le libretto il n’y a point de bal chez Capulet, point de

Mercutio, point de nourrice babillarde, point d’ermite grave et calme, point de scène au balcon, point de sublime monologue pour Juliette recevant la fiole de l’ermite, point de duo dans la cellule entre Roméo banni et l’ermite désolé ; point de Shakespeare, rien ; un ouvrage manqué. Et c’est un grand poëte, pourtant, c’est Félix Romani, que les habitudes mesquines des théâtres

lyriques d’Italie ont contraint à découper un si pauvre libretto dans le chef-d’œuvre shakespearien !

Le musicien, toutefois, a su rendre fort belle une des principales situations ; à la fin d’un acte, les deux amants, séparés de force par leurs parents furieux, s’échappent un instant des bras qui les retenaient et s’écrient en s’embrassant : «Nous nous reverrons

aux cieux.» Bellini a mis, sur les paroles qui expriment cette idée, une phrase d’un mouvement vif, passionné, pleine d’élan et chantée à l’unisson par les deux personnages. Ces deux voix, vibrant ensemble comme une seule, symbole d’une union parfaite, donnent à la mélodie une force d’impulsion extraordinaire ; et, soit par l’encadrement de la phrase mélodique et la manière

dont elle est ramenée, soit par l’étrangeté bien motivée de cet unisson auquel on est loin de s’attendre, soit enfin par la mélodie elle-même, j’avoue que j’ai été remué à l’improviste et que j’ai applaudi avec transport. On a singulièrement abusé, depuis lors, des duos à l’unisson. — Décidé à boire le calice jusqu’à la lie, je voulus, quelques jours après,

entendre la Vestale de Paccini. Quoique ce que j’en connaissais déjà m’eût bien prouvé qu’elle n’avait de commun avec l’œuvre de Spontini que le titre, je ne m’attendais à rien de pareil... Licinius était encore joué par une femme... Après quelques instants d’une pénible attention, j’ai dû m’écrier, comme Hamlet : «Ceci est de l’absinthe !» et ne me sentant pas

capable d’en avaler davantage, je suis parti au milieu du second acte, donnant un terrible coup de pied dans le parquet, qui m’a si fort endommagé le gros orteil que je m’en suis ressenti pendant trois jours. — Pauvre Italie !... Au moins, va-t-on me dire, dans les églises, la pompe musicale doit-être digne des cérémonies auxquelles elle se rattache. Pauvre Italie !... On verra plus

tard quelle musique on fait à Rome, dans la capitale du monde chrétien : en attendant, voilà ce que j’ai entendu de mes propres oreilles pendant mon séjour à Florence. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

XXXIV

Drame. — Je quitte Rome. — De Florence à Nice. — Je reviens à Rome. — Il n’y a personne de mort.

On a vu des fusils partir qui n’étaient
pas chargés, dit-on. On a vu souvent
encore, je crois, des pistolets chargés
qui ne sont pas partis.

Je passai quelque temps à me façonner tant bien que mal à cette existence si

nouvelle pour moi. Mais une vive inquiétude, qui, dès le lendemain de mon arrivée, s’était emparée de mon esprit, ne me laissait d’attention ni pour les objets environnants ni pour le cercle social où je venais d’être si brusquement introduit. Je n’avais pas trouvé à Rome des lettres de Paris qui auraient dû m’y précéder de plusieurs jours. Je les attendis pendant trois

semaines avec une anxiété croissante ; après ce temps, incapable de résister davantage au désir de connaître la cause de ce silence mystérieux, et malgré les remontrances amicales de M. Horace Vernet, qui essaya d’empêcher un coup de tête, en m’assurant qu’il serait obligé de me rayer de la liste des pensionnaires de l’Académie si je quittais l’Italie, je m’obstinai à

rentrer en France.

En repassant à Florence, une esquinancie assez violente vint me clouer au lit pendant huit jours. Ce fut alors que je fis la connaissance de l’architecte danois Schlick, aimable garçon et artiste d’un talent classé très-haut par les connaisseurs. Pendant cette semaine de souffrances, je m’occupai à réinstrumenter la scène du Bal de ma symphonie

fantastique, et j’ajoutai à ce morceau la Coda qui existe maintenant. Je n’avais pas fini ce travail quand, le jour de ma première sortie, j’allai à la poste demander mes lettres. Le paquet qu’on me présenta contenait une épître d’une impudence si extraordinaire et si blessante pour un homme de l’âge et du caractère que j’avais alors, qu’il se passa soudain en moi quelque

chose d’affreux. Deux larmes de rage jaillirent de mes yeux, et mon parti fut pris instantanément. Il s’agissait de voler à Paris, où j’avais à tuer sans rémission deux femmes coupables et un innocent[43]. Quant à me tuer, moi, après ce beau coup, c’était de rigueur, on le pense bien. Le plan de l’expédition fut conçu en quelques minutes. On devait à Paris redouter mon retour,

on me connaissait... Je résolus de ne m’y présenter qu’avec de grandes précautions et sous un déguisement. Je courus chez Schlick, qui n’ignorait pas le sujet du drame dont j’étais le principal acteur. En me voyant si pâle :

— Ah ! mon Dieu ! qu’y a-t-il ?

— Voyez, lui dis-je, en lui tendant la lettre ; lisez.

— Oh ! c’est monstrueux,

répondit-il après avoir lu. Qu’allez-vous faire ?

L’idée me vint aussitôt de le tromper, pour pouvoir agir librement.

— Ce que je vais faire ? Je persiste à rentrer en France, mais je vais chez mon père au lieu de retourner à Paris.

— Oui, mon ami, vous avez raison, allez dans votre famille ; c’est là seulement que vous pourrez avec le temps,

oublier vos chagrins et calmer l’effrayante agitation où je vous vois. Allons, du courage !

— J’en ai ; mais il faut que je parte tout de suite ; je ne répondrais pas de moi demain.

— Rien n’est plus aisé que de vous faire partir ce soir ; je connais beaucoup de monde ici, à la police, à la poste ; dans deux heures j’aurai votre passe-port, et dans cinq

votre place dans la voiture du courrier. Je vais m’occuper de tout cela ; rentrez dans votre hôtel faire vos préparatifs, je vous y rejoindrai.»

Au lieu de rentrer, je m’achemine vers le quai de l’Arno, où demeurait une marchande de modes française. J’entre dans son magasin, et tirant ma montre :

— Madame, lui dis-je, il est midi ; je pars ce soir par le

courrier, pouvez-vous, avant cinq heures, préparer pour moi une toilette complète de femme de chambre, robe, chapeau, voile vert, etc. ? Je vous donnerai ce que vous voudrez, je ne regarde pas à l’argent.

La marchande se consulte un instant et m’assure que tout sera prêt avant l’heure indiquée. Je donne des arrhes et rentre, sur l’autre rive de l’Arno, à l’hôtel des

Quatre nations, où je logeais. J’appelle le premier sommelier :

— Antoine, je pars à six heures pour la France ; il m’est impossible d’emporter ma malle, le courrier ne peut la prendre ; je vous la confie. Envoyez-la par la première occasion sûre à mon père dont voici l’adresse.»

Et prenant la partition de la scène du Bal[44] dont la coda n’était pas

entièrement instrumentée, j’écris en tête : Je n’ai pas le temps de finir ; s’il prend fantaisie à la société des concerts de Paris d’exécuter ce morceau en l’absence de l’auteur, je prie Habeneck de doubler à l’octave basse, avec les clarinettes et les cors, le passage des flûtes placé sur la dernière rentrée du thème, et d’écrire à plein orchestre les accords qui

suivent ; cela suffira pour la conclusion.

Puis, je mets la partition de ma symphonie fantastique, adressée sous enveloppe à Habeneck, dans une valise, avec quelques hardes ; j’avais une paire de pistolets à deux coups, je les charge convenablement ; j’examine et je place dans mes poches deux petites bouteilles de rafraîchissements, tels que laudanum, strychnine ; et la

conscience en repos au sujet de mon arsenal, je m’en vais attendre l’heure du départ, en parcourant sans but les rues de Florence, avec cet air malade, inquiet et inquiétant des chiens enragés.

À cinq heures, je retourne chez ma modiste ; on m’essaye ma parure qui va fort bien. En payant le prix convenu, je donne vingt francs de trop : une jeune ouvrière, assise devant le

comptoir s’en aperçoit et veut me le faire observer ; mais la maîtresse du magasin, jetant d’un geste rapide mes pièces d’or dans son tiroir, la repousse et l’interrompt par un :

«Allons, petite bête, laissez monsieur tranquille ! croyez-vous qu’il ait le temps d’écouter vos sottises !» et répondant à mon sourire ironique par un salut curieux mais plein de grâce :

«Mille remercîments, monsieur, j’augure bien du succès ; vous serez charmante, sans aucun doute, dans votre petite comédie.»

Six heures sonnent enfin ; mes adieux faits à ce vertueux Schlick qui voyait en moi une brebis égarée et blessée rentrant au bercail, ma parure féminine soigneusement serrée dans une des poches de la voiture, je salue du regard le Persée de

Benvenuto, et sa fameuse inscription : «Si quis te læserit, ego tuus ultor ero[45]» et nous partons.

Les lieues se succèdent, et toujours entre le courrier et moi règne un profond silence. J’avais la gorge et les dents serrées : je ne mangeais pas, je ne parlais pas. Quelques mots furent échangés seulement vers minuit, au sujet des pistolets dont le prudent conducteur ôta

les capsules et qu’il cacha ensuite sous les coussins de la voiture. Il craignait que nous ne vinssions à être attaqués, et en pareil cas, disait-il, on ne doit jamais montrer la moindre intention de se défendre quand on ne veut pas être assassiné.

« — À votre aise, lui répondis-je, je serais bien fâché de nous compromettre, et je n’en veux pas aux brigands !»


Arrivé à Gênes, sans avoir avalé autre chose que le jus d’une orange, au grand étonnement de mon compagnon de voyage qui ne savait trop si j’étais de ce monde ou de l’autre, je m’aperçois d’un nouveau malheur : mon costume de femme était perdu. Nous avions changé de voiture à un village nommé Pietra santa et, en quittant celle qui nous amenait de Florence, j’y avais

oublié tous mes atours. «Feux et tonnerres ! m’écriai-je, ne semble-t-il pas qu’un bon ange maudit veuille m’empêcher d’exécuter mon projet ! C’est ce que nous verrons !»

Aussitôt, je fais venir un domestique de place parlant le français et le génois. Il me conduit chez une modiste. Il était près de midi ; le courrier repartait à six heures. Je demande un nouveau

costume ; on refuse de l’entreprendre ne pouvant l’achever en si peu de temps. Nous allons chez une autre, chez deux autres, chez trois autres modistes, même refus. Une enfin annonce qu’elle va rassembler plusieurs ouvrières et qu’elle essayera de me parer avant l’heure du départ.

Elle tient parole, je suis reparé. Mais pendant que je courais ainsi les grisettes, ne

voilà-t-il pas la police sarde qui s’avise, sur l’inspection de mon passe-port, de me prendre pour un émissaire de la révolution de Juillet, pour un co-carbonaro, pour un conspirateur, pour un libérateur, de refuser de viser ledit passe-port pour Turin, et de m’enjoindre de passer par Nice !

« — Eh ! mon Dieu, visez pour Nice, qu’est-ce que cela me fait ? je passerai par

l’enfer si vous voulez, pourvu que je passe !...»

Lequel des deux était le plus splendidement niais, de la police, qui ne voyait dans tous les Français que des missionnaires de la révolution, ou de moi, qui me croyais obligé de ne pas mettre le pied dans Paris sans être déguisé en femme, comme si tout le monde, en me reconnaissant, eût dû lire sur mon front le projet qui

m’y ramenait ; ou, comme si, en me cachant vingt-quatre heures dans un hôtel, je n’eusse pas dû trouver cinquante marchandes de modes pour une, capables de me fagoter à merveille ?

Les gens passionnés sont charmants, ils s’imaginent que le monde entier est préoccupé de leur passion quelle qu’elle soit, et ils mettent une bonne foi vraiment édifiante à se conformer à

cette opinion. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Hector Berlioz
Hector Berlioz

X

Mon père me retire ma pension. — Je retourne à la Côte. — Les idées de province sur l’art et sur les artistes. — Désespoir. — Effroi de mon père. — Il consent à me laisser revenir à Paris. — Fanatisme de ma mère. — Sa malédiction.

L’espèce de succès obtenu par la première exécution de ma messe avait un instant ralenti les hostilités de

famille dont je souffrais tant, quand un nouvel incident vint les ranimer, en redoublant le mécontentement de mes parents.

Je me présentai au concours de composition musicale qui a lieu tous les ans à l’Institut. Les candidats, avant d’être admis a concourir, doivent subir une épreuve préliminaire d’après laquelle les plus faibles sont exclus. J’eus le malheur d’être

de ceux-là. Mon père le sut et cette fois, sans hésiter, m’avertit de ne plus compter sur lui, si je m’obstinais à rester à Paris, et qu’il me retirait ma pension. Mon bon maître lui écrivit aussitôt une lettre pressante, pour l’engager à revenir sur cette décision, l’assurant qu’il ne pouvait point y avoir de doutes sur l’avenir musical qui m’était réservé, et que la

musique me sortait par tous les pores. Il mêlait à ses arguments pour démontrer l’obligation où l’on était de céder à ma vocation, certaines idées religieuses dont le poids lui paraissait considérable, et qui, certes, étaient bien les plus malencontreuses qu’il pût choisir dans cette occasion. Aussi la réponse brusque, roide et presque impolie de mon père ne manqua pas de

froisser violemment la susceptibilité et les croyances intimes de Lesueur. Elle commençait ainsi : «Je suis un incrédule, monsieur !» On juge du reste.

Un vague espoir de gagner ma cause en la plaidant moi-même me donna assez de résignation pour me soumettre momentanément. Je revins donc à la Côte.

Après un accueil glacial, mes parents m’abandonnèrent pendant

quelques jours à mes réflexions, et me sommèrent enfin de choisir un état quelconque, puisque je ne voulais pas de la médecine. Je répondis que mon penchant pour la musique était unique et absolu et qu’il m’était impossible de croire que je ne retournasse pas à Paris pour m’y livrer. «Il faut pourtant bien te faire à cette idée, me dit mon père, car tu n’y retourneras jamais



À partir de ce moment je tombai dans une taciturnité presque complète, répondant à peine aux questions qui m’étaient adressées, ne mangeant plus, passant une partie de mes journées à errer dans les champs et les bois, et le reste enfermé dans ma chambre. À vrai dire, je n’avais point de projets ; la fermentation sourde de ma pensée et la contrainte que je subissais

semblaient avoir entièrement obscurci mon intelligence. Mes fureurs même s’éteignaient, je périssais par défaut d’air.

Un matin de bonne heure, mon père vint me réveiller ! «Lève-toi, me dit-il, et quand tu seras habillé, viens dans mon cabinet, j’ai à te parler !» J’obéis sans pressentir de quoi il s’agissait. L’air de mon père était grave et triste plutôt

que sévère. En entrant chez lui, je me préparais néanmoins à soutenir un nouvel assaut, quand ces mots inattendus me bouleversèrent : «Après plusieurs nuits passées sans dormir, j’ai pris mon parti... Je consens à te laisser étudier la musique à Paris... mais pour quelque temps seulement ; et si, après de nouvelles épreuves, elles ne te sont pas favorables, tu me rendras bien la

justice de déclarer que j’ai fait tout ce qu’il y avait de raisonnable à faire, et te décideras, je suppose, à prendre une autre voie. Tu sais ce que je pense des poëtes médiocres ; les artistes médiocres dans tous les genres ne valent pas mieux ; et ce serait pour moi un chagrin mortel, une humiliation profonde de te voir confondu dans la foule de ces hommes inutiles !»

Mon père, sans s’en rendre compte, avait montré plus d’indulgence pour les médecins médiocres, qui, tout aussi nombreux que les méchants artistes, sont non-seulement inutiles, mais fort dangereux ! Il en est toujours ainsi, même pour les esprits d’élite ; ils combattent les opinions d’autrui par des raisonnements d’une justesse parfaite, sans s’apercevoir que ces armes à deux

tranchants peuvent être également fatales à leurs plus chères idées.

Je n’en attendis pas davantage pour m’élancer au cou de mon père et promettre tout ce qu’il voulait. «En outre, reprit-il, comme la manière de voir de ta mère diffère essentiellement de la mienne à ce sujet, je n’ai pas jugé à propos de lui apprendre ma nouvelle détermination, et pour nous

éviter à tous des scènes pénibles, j’exige que tu gardes le silence et partes pour Paris secrètement.» J’eus donc soin, le premier jour, de ne laisser échapper aucune parole imprudente ; mais ce passage d’une tristesse silencieuse et farouche à une joie délirante que je ne prenais pas la peine de déguiser, était trop extraordinaire pour ne pas exciter la curiosité de mes sœurs ;

et Nanci, l’aînée, fit tant, me supplia avec de si vives instances de lui en apprendre le motif, que je finis par lui tout avouer... en lui recommandant le secret. Elle le garda aussi bien que moi, cela se devine, et bientôt toute la maison, les amis de la maison, et enfin ma mère en furent instruits.

Pour comprendre ce qui va suivre, il faut savoir que ma mère dont les opinions

religieuses étaient fort exaltées, y joignait celles dont beaucoup de gens ont encore de nos jours le malheur d’être imbus, en France, sur les arts qui, de près ou de loin, se rattachent au théâtre. Pour elle, acteurs, actrices, chanteurs, musiciens, poëtes, compositeurs, étaient des créatures abominables, frappées par l’Église d’excommunication, et comme telles prédestinées à

l’enfer. À ce sujet, une de mes tantes (qui m’aime pourtant aujourd’hui bien sincèrement et m’estime encore, je l’espère), la tête pleine des idées libérales de ma mère, me fit un jour une stupéfiante réponse. Discutant avec elle, j’en étais venu à lui dire : «À vous entendre, chère tante, vous seriez fâchée, je crois, que Racine fût de votre famille ?» — «Eh ! mon

ami... la considération avant tout !» Lesueur faillit étouffer de rire, lorsque plus tard, à Paris, je lui citai ce mot caractéristique. Aussi ne pouvant attribuer une semblable manière de voir qu’à une vieillesse voisine de la décrépitude, il ne manquait jamais, quand il était d’humeur gaie, de me demander des nouvelles de l’ennemie de Racine, ma vieille tante ; bien qu’elle

fût jeune alors et jolie comme un ange.

Ma mère donc, persuadée qu’en me livrant à la composition musicale (qui, d’après les idées françaises, n’existe pas hors du théâtre) je mettais le pied sur une route conduisant à la déconsidération en ce monda et à la damnation dans l’autre, n’eut pas plus tôt vent de ce qui se passait que son âme se souleva

d’indignation. Son regard courroucé m’avertit qu’elle savait tout. Je crus prudent de m’esquiver et de me tenir coi jusqu’au moment du départ. Mais je m’étais à peine réfugié dans mon réduit depuis quelques minutes, qu’elle m’y suivit, l’œil étincelant, et tous ses gestes indiquant une émotion extraordinaire ; «Votre père, me dit-elle, en quittant le tutoiement

habituel, a eu la faiblesse de consentir à votre retour à Paris, il favorise vos extravagants et coupables projets !... Je n’aurai pas, moi, un pareil reproche à me faire, et je m’oppose formellement à ce départ ! — Ma mère !... — Oui, je m’y oppose, et je vous conjure, Hector, de ne pas persister dans votre folie. Tenez, je me mets à vos genoux, moi, votre mère, je vous supplie

humblement d’y renoncer... — Mon Dieu, ma mère permettez que je vous relève, je ne puis... supporter cette vue... — Non, je reste !...» Et, après un instant de silence : «Tu me refuses, malheureux ! tu as pu, sans te laisser fléchir, voir ta mère à tes pieds ! Eh bien ! pars ! Va te traîner dans les fanges de Paris, déshonorer ton nom, nous faire mourir, ton père et moi, de honte

et de chagrin ! Je quitte la maison jusqu’à ce que tu en sois sorti. Tu n’es plus mon fils ! je te maudis !»

Est-il croyable que les opinions religieuses aidées de tout ce que les préjugés provinciaux ont de plus insolemment méprisant pour le culte des arts, aient pu amener entre une mère aussi tendre que l’était la mienne et un fils aussi reconnaissant et respectueux que

je l’avais toujours été, une scène pareille ?... Scène d’une violence exagérée, invraisemblable, horrible, que je n’oublierai jamais, et qui n’a pas peu contribué à produire la haine dont je suis plein pour ces stupides doctrines, reliques du moyen âge, et, dans la plupart des provinces de France, conservées encore aujourd’hui.

Cette rude épreuve ne finit pas là.

Ma mère avait disparu ; elle était allée se réfugier à une maison de campagne nommée le Chuzeau, que nous avions près de la Côte. L’heure du départ venue, mon père voulut tenter avec moi un dernier effort pour obtenir d’elle un adieu, et la révocation de ses cruelles paroles. Nous arrivâmes au Chazeau avec mes deux sœurs. Ma mère lisait dans le verger au pied d’un arbre. En

nous apercevant, elle se leva et s’enfuit. Nous attendîmes longtemps, nous la suivîmes, mon père l’appela, mes sœurs et moi nous pleurions ; tout fut vain ; et je dus m’éloigner sans embrasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et chargé de sa malédiction !... + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Saint Augustin
Saint Augustin

Les incrédules refusent de croire que la taille de ces hommes excédât de beaucoup la nôtre. Et quand le plus célèbre de leurs poètes parle de cet énorme roc, borne d’un champ, qu’un héros des temps antiques arrache, balance et jette en courant contre son ennemi, Virgile n’ajoute-t-il pas : « Douze hommes tels qu’aujourd’hui la terre les enfante, douze hommes choisis le

soulèveraient à peine » ; pour faire entendre que la terre enfanterait alors des corps plus grands. Combien plus grands encore dans les temps plus voisins du berceau du monde, avant la terrible et universelle catastrophe du déluge ? Mais souvent des tombeaux écroulés sous le poids des âges, mis à nu par la violence des eaux, ou par divers accidents, comme pour convaincre les incrédules,

exhument ou font rouler devant eux de gigantesques ossements.

J’ai vu, et plusieurs ont vu avec moi, sur le rivage d’Utique, une dent molaire d’homme, si extraordinaire que, divisée suivant les proportions réduites de notre chétive humanité, elle eût pu faire cent de nos dents actuelles. C’était, j’imagine, une dent de quelque géant ; car si les hommes d’alors

étaient plus grands que nous, les géants étaient encore infiniment plus grands. Et depuis, de notre temps même, des phénomènes de ce genre, rares il est vrai, n’ont toutefois presque jamais cessé de se produire. Le savant Pline assure que plus le temps précipite son cours, plus les corps que produit la nature diminuent ; et il rappelle à ce sujet les plaintes d’Homère, non comme

poétiques et ridicules fictions, mais comme preuve historique, sérieusement acquise à l’observateur des phénomènes naturels. (livre XV, IX, pp. 210-211) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Henri Bergson
Henri Bergson

Que la personnalité ait de l'unité, cela est certain ; mais pareille affirmation ne m'apprend rien sur la nature extraordinaire de cette unité qu'est la personne. Que notre moi soit multiple, je l'accorde encore, mais il y a là une multiplicité dont il faudra bien reconnaître qu'elle n'a rien de commun avec aucune autre. Ce qui importe véritablement à la philosophie, c'est de savoir quelle

unité, quelle multiplicité, quelle réalité supérieure à l'un et au multiple abstraits est l'unité multiple de la personne. Et elle ne le saura que si elle ressaisit l'intuition simple du moi par le moi.

Federico Garcia Lorca
Federico Garcia Lorca

...
Une des merveilles du « cante jondo », en plus de la mélodie qui est essentielle, réside dans ses poèmes.
Nous, poètes qui nous occupons actuellement, à plus ou moins grande échelle, de tailler et de soigner l'arbre poétique par trop touffu que nous ont légué les romantiques et les post-romantiques, nous sommes tous éblouis par ces vers.
Les nuances les plus

infinies de la Douleur et de la Peine, mises au service de l'expression la plus pure et la plus exacte, palpitent dans les tercets et les quatrains de la 'siguiriya' et de ses dérivés.
Il n'y a rien, absolument rien de comparable dans toute l'Espagne, tant pour la stylisation, que pour l'atmosphère, ou pour la justesse émotionnelle.
Les métaphores qui peuplent nos chansons

andalouses sont presque toujours placées sur leur orbite ; il n'y a pas de disparité entre les membres spirituels des vers, si bien qu'ils parviennent à prendre possession de notre cœur, de façon définitive.
On est étonné et émerveillé de voir des poètes anonymes du peuple extraire en trois ou quatre vers toute la rare complexité des moments d'émotion les plus intenses de la vie

des hommes. Dans certaines « coplas » la vibration lyrique se place à un degré où seuls de très rares poètes parviennent à se hisser.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Dans ces deux vers populaires il y a beaucoup plus de mystère que dans tous les drames de Maeterlinck, un mystère simple et réel, un mystère clair et sain, sans forêts sombres,

ni bateaux sans gouvernail : l'énigme toujours vive de la mort.

« Il y a un halo à la lune, / mon amour est mort.

Qu'elles viennent du cœur de la montagne, qu'elles viennent des champs d'orangers sévillans ou des harmonieuses côtes méditerranéennes, les « coplas » ont un fonds commun : l'Amour et la Mort ... ; mais un Amour et une Mort vus à travers la Sybille,

ce personnage si oriental, véritable sphinx d'Andalousie.
Au fond de tous les poèmes, la même question palpite, mais c'est la terrible question qui n'a pas de réponse. Notre peuple met les bras en croix, le regard tourné vers les étoiles et attendra inutilement un signe salvateur. C'est une attitude pathétique, mais sincère. Et de deux choses l'une : ou bien le poème pose un profond

problème émotionnel, sans réalité possible, ou bien il le résout par la Mort, qui est la question des questions.
La plupart des poèmes de notre région ont les caractéristiques citées auparavant. Nous sommes un peuple triste, un peuple extatique.
Ivan Tourgueniev vit ses compatriotes, russes dans le sang et jusqu'à la moelle, transformés en sphinx, et c'est ainsi que je vois

moi aussi de très nombreux poèmes de notre répertoire régional.

« Oh, sphinx des Andalousies ! / Tu devras frapper à ma porte, / je ne devrai pas te l'ouvrir / et tu m'entendras qui sanglote.

Les vers se cachent derrière un voile impénétrable et s'endorment dans l'attente de l’Œdipe qui viendra les déchiffrer afin qu'ils s'éveillent et retournent au silence

...
Une des caractéristiques les plus remarquables des textes du « cante jondo » consiste en l'absence presque totale des 'demis-tons'.
Dans les chants des Asturies, comme dans les castillans, les catalans, les basques et les galiciens, on observe un certain équilibre des sentiments et une pondération poétique qui se prête à l'expression d'états d'esprit modestes et de

sentiments naïfs dont on peut dire que le chant andalou est presque totalement dépourvu.
Nous autres Andalous, percevons rarement le 'demi-ton'. L'Andalou crie vers les étoiles ou baise la poussière rougeâtre des chemins qu'il emprunte. Le demi-ton n'existe pas pour lui. Il l'ignore en dormant. Et lorsque, très exceptionnellement, il y recourt, c'est pour dire :

« A moi

ça me fait pas grand-chose / qu'un oiseau dans la promenade / sur un arbre ou l'autre se pose.

Ceci dit, j'observe dans cette chanson, pour les sentiments qu'elle exprime, et non dans son architecture, une nette filiation asturienne. Le pathétisme est donc la caractéristique la plus forte de notre « cante jondo ».
C'est pourquoi, alors que de nombreux chants de notre

péninsule ont la faculté de nous évoquer les paysages où ils sont chantés, le « cante jondo » chante comme un rossignol aveugle, il chante sans yeux, et c'est pourquoi autant ses textes passionnés que ses mélodies très anciennes ont pour meilleur décor la nuit ... la nuit bleue de notre campagne.
Mais cette faculté d'évocation plastique que possèdent de nombreux chants

populaires espagnols leur ôte l'intimité et la profondeur dont le « cante jondo » est rempli.
Un chant (parmi des milliers d'autres) de la poésie musicale asturienne est un cas typique de cette capacité d'évocation.

« Pauvre de moi, me v'là perdu ; / là, dans cette triste montagne, / pauvre de moi, me v'là perdu ; / laisse-moi donc rentrer l'troupiau / par Dieu du ciel

dans ta cabane. / Dedans l'épaisseur du brouillard, / pauvre de moi, me v'là perdu ! / Laisse-moi donc passer la nuit / avec toi dedans la masure. / Me v'là perdu, / sur le mont, dans l'épaisse bruine, / pauvre de moi, me v'là perdu.

L'évocation de la montagne aux pinèdes bercées par le vent est si merveilleuse, l'impression réelle du chemin, qui monte vers les cimes où la

neige rêve, est si exacte, et l'image de la brume, qui s'élève des abîmes confondant les rochers humidifiés en d'infinies tonalités de gris, est si véritable, que l'on en vient à oublier le « pauv' berger » qui, comme un enfant, demande le gîte à la bergère inconnue du poème. « On en vient à oublier l'essentiel du poème. » La mélodie de ce chant contribue de manière

extraordinaire à une évocation plastique par son rythme monotone et vert-de-gris de paysage embrumé.
En revanche, le « cante jondo » chante toujours dans la nuit. Il n'a ni matin ni soir, ni montagnes ni plaines. Il n'a que la nuit, une nuit large et profondément étoilée. Tout le reste lui est superflu.
C'est un chant sans paysage et, par conséquent, concentré sur lui-même,

et terrible au milieu des ténèbres, il lance ses flèches d'or qui se plantent dans notre cœur. Au milieu des ténèbres, il est comme un formidable archer bleu dont le carquois ne se vide jamais. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          21

Boutros Boutros-Ghali
Boutros Boutros-Ghali

La crise iraquo-koweïtienne, de par l'ampleur du rôle qu'elle devait y jouer, a été pour l'Organisation des Nations Unies une occasion extraordinaire de tester son aptitude à maintenir la paix et la sécurité internationale. Le caractère exceptionnel de la situation, la diversité des moyens que l'Organisation a mis en oeuvre et les obstacles qu'elle a surmontés depuis août 1990 ont mis

en évidence ses capacités et ses points forts, faisant ainsi la preuve de son utilité et de sa vitalité.

Arthur C. Clarke
Arthur C. Clarke

La réunion extraordinaire du Comité consultatif de l'espace fut brève et houleuse. En ce siècle, qui était tout de même le XXIIe, le moyen d'écarter les savants âgés et conservateurs des positions clés administratives n'avait pas encore été découvert. En fait, on doutait que le problème pût être un jour résolu.