Patrice Bollon
Patrice Bollon

Si la vie ressemble à une compétition, cette compétition s’exerce donc d’abord et avant tout, quasi exclusivement même, par rapport à soi. Quant à son secret ultime, il tient en une seule phrase : il faut avoir la conscience, l’intelligence de ce que l’on est, et faire en sorte, par tous les moyens dont nous disposons, y compris les plus détournés, de n’en jamais dévier.

Patrice Bollon
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La masse a toujours raison, parce qu’elle est la masse, qu’elle a le poids pour elle et qu’on ne peut, de ce fait, la contrer, quelles que soient ses décisions les plus aberrantes. Son triomphe n’a beau être que quantitatif, le quantitatif étant désormais la seule valeur universellement reconnue, ce triomphe est total, et total aussi l’échec de ceux qui ont eu la faiblesse de croire

encore au qualitatif. […] Le pouvoir du nombre a arasé ainsi toute singularité et toute velléité d’en affirmer une. Le collectif a pris définitivement le pas sur l’individuel. En résulte un appauvrissement intellectuel et spirituel abyssal pour nos sociétés. […]Tels sont les effets dramatiques sur l’évolution de nos sociétés et sur nos tempéraments de ce que nous avons

appelé la « totalisation démocratique » – laquelle n’est pas la Démocratie, mais en constitue le strict inverse, la perversion, le tombeau.

Patrice Bollon
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S'aligner sur les normes collectives ou disparaître dans l'indigence matérielle et la néantisation sociale : tel est le choix ultime, le seul désormais qui s'offre à nous, individus. La Liberté serait-elle donc devenue un crime ? Elle est, en tout cas, de plus en plus vécue comme une source de désordres potentiels pour la société et l'expression d'un déséquilibre personnel chez les

individus. Dans ce monde clos qui est devenu le nôtre, les jugements droits passent pour des offenses, les paroles libres pour des injures, et l'indépendance d'esprit pour le symptôme d'un caractère agressif, quand ce n'est pas une "maladie" psychique : celle de l'incapacité à "s'adapter raisonnablement au monde".

Patrice Bollon
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Le sur-contrôle n'est, en résumé, rien d'autre qu'un mécanisme d'apprentissage de la sujétion, de la soumission au pouvoir, à tous les pouvoirs, un dressage à la conformité, qui s'opère au travers d'un marchandage sordide, au terme duquel les sujets troquent une part de leur liberté contre la sécurité d'un confort apparent. C'est un mode très rudimentaire mais très efficace de

gestion des hommes, dont la visée ultime est de leur faire accepter leur condition et comprendre qu'ils doivent rester sagement à leur place, sans mettre leur nez dans des questions qui les concernent pourtant au premier chef, puisqu'elles définissent le cadre même de leur existence.

Patrice Bollon
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Le ressort de l'illusion sécuritaire est, partant, un véritable secret de Polichinelle, un secret si simple, si transparent, si trivial, que, comme dans la nouvelle d'Edgar Poe, La Lettre volée, on ne l'aperçoit plus : c'est l'éternel management par la peur, couplé à un système de récompense matérielle et psychologique accordant sa prime à l'élément jugé "conforme" et qui, parce

qu'il en tire des bénéfices, s'ingénie à l'être encore davantage.

Patrice Bollon
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Jadis, pour réaliser une surveillance parfaite de notre courrier, il fallait imaginer toute une armée de contrôleurs affectés à l'ouverture, puis à la duplication et à l'archivage de ces correspondances, sans oublier les super-contrôleurs chargés de contrôler ces contrôleurs - ce dont même les gouvernements les plus totalitaires n'avaient pas les moyens ! Dans notre nouveau monde

électronique, quelques gros ordinateurs armés de logiciels puissants suffisent à accomplir ce travail - et ce, pour un coût dérisoire, avec, en outre, moins d'erreurs et sans les risques de fuites ou de rébellion de la part des contrôleurs qu'implique toute surveillance humaine...

Patrice Bollon
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L'idée de révolution n'a plus cours , morte est la révolte. Loin de constituer une gêne à nos désirs, l'Ordre est chargé de les remplir. S'adapter : le maître mot de nos existences. Big Brother, décidément, est une vieille rengaine, le reflet d'une réalité dépassée. Nous voici tous devenus, chacun à notre échelle, des small brothers.

Patrice Bollon
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Quant à l'individu ou à ce que l'on persiste encore, en dépit de sa disparition avérée, à nommer ainsi, il s'est retourné en son propre contrôleur. C'est lui qui impose cette montée des contrôles, lui qui la pousse à son perfectionnement - comme si le contrôle était devenu son plaisir, sa source de jouissance ultime, sa passion dominante !

Patrice Bollon
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Jadis, il était relativement simple de se soustraire à toute surveillance : il suffisait de demeurer en marge du monde, de faire le choix de la disparition. Aujourd'hui, plus personne ne peut entretenir l'illusion d'échapper à l'emprise du contrôle. Car le contrôle s'immisce partout, dans tous les domaines, tous les lieux et toutes nos activités, renversant au passage les frontières et

autres lignes de clivage rassurantes qu'avait érigées le monde ancien, telles que celles qui passaient entre l'État et le citoyen, la Nation et l'International, la société et l'individu, ou séparaient la vie publique de la vie privée, l'action de l'intention, etc. Le contrôle est, en ce sens, la réalisation concrète de toutes les "dystopies", les contre-utopies du XXe siècle, la

société de transparence absolue d'Ievgueni Zamiatine dans Nous autres, Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, et, bien sûr, 1984 de George Orwell. Il a donc, on ne le redira jamais assez, une vocation proprement totalitaire, de gestion globale de nos vies conçues comme des touts, et aussi des effets déshumanisants : son horizon est le remplacement définitif de l'administration des hommes,

toujours malaisée, toujours problématique, par la gestion pire, "objective", des choses, dont, depuis le début du XIXe siècle, ont rêvé tous les ingénieurs et les technocrates, y compris, bien sûr, les planificateurs socialistes. Vu sous cet angle, le Contrôle n'est peut-être, en définitive, rien d'autre que l'idée occidentale rationaliste et scientiste, portée à son comble, en son

point d'aboutissement catastrophique. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Patrice Bollon
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Les beaux esprits anti-totalitaires, qui paradent sur les tréteaux de nos médias avec leurs indignations humanistes à deux vitesses, l'une contre ce qu'ils rejettent, l'autre pour ce qu'ils soutiennent, osent encore nous faire le coup des "sociétés ouvertes", les nôtres, opposées aux "sociétés closes", celles des autres. Mais comment qualifier des collectivités qui organisent comme

celles où nous évoluons, le formatage de leurs membres et renforcent sans cesse leur propre encerclement, sinon comme des ensembles fermés, des forteresses vides, murées en elles-mêmes, déjà mortes ?

Patrice Bollon
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Tel est le monde que, sans y prendre garde, nous avons installé : une prétendue maison de verre - prétendue, car l'opacité des actions de l'État et des oligarchies qui le colonisent n'a parallèlement pas reculé , elle s'est au contraire aggravée - où chacun épie chacun, dans la plus grande volonté de conformité. Et ce afin que plus aucun ne sorte du droit chemin, que tous évoluent

dans les mêmes limites, avec les mêmes rêves et les mêmes cauchemars assermentés.

Patrice Bollon
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Alors qu'au XIXe siècle, les bourgeois se révoltaient à la seule idée que l'état-civil puisse oser leur demander leurs empreintes digitales - car c'était là une pratique qui avait été inventée pour les forçats-, plus personne ne s'élève aujourd'hui contre l'érosion progressive de l'intégrité des individus, née des immixtions de l'État et des conglomérats industriels dans leurs

vies. L'indifférence semble telle qu'on se demande si l'on saura encore bientôt ce que signifie l'expression de "domaine privé" !

Patrice Bollon
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Alors que la Liberté passait jadis, dans nos pays, pour la valeur la plus haute, celle qui conditionnait l'existence de toutes les autres - la Connaissance, l'Intelligence, la Tolérance, la compréhension des autres, etc. -, elle est devenue aujourd'hui une véritable malédiction, une croix à porter. Car, dans ce monde clos sur ses certitudes, toute question, toute pensée autonome ne

sauraient qu'apporter la perturbation, rompre ce consensus dans lequel la société a choisi de s'abandonner dans le plus grand des bonheurs comme une bête repue.

Patrice Bollon
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La vérité est que, comme tous les esprits lucides de tous les siècles l'ont noté, nous, hommes, avons peur de la Liberté. Sans nos chaînes, l'angoisse nous étreint. Le monde nous semble une perpétuelle menace. Sans cesse nous sommes ainsi écartelés entre le désir de vivre le plus pleinement possible, d'exister au plein sens du terme, et le geste rassurant qui consiste à remettre dans

les mains d'un autre, Tyran, Despote ou État total, notre destin, pour vivre au plus bas, dans la béatitude rassurante de la servitude.

Patrice Bollon
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Dans nos sociétés, seuls prospèrent ceux qui hurlent et agissent avec les loups, pensent comme eux et retournent leur veste aux mêmes instants qu'eux. Naguère, on se glorifiait de n'être pas comme les autres et l'on faisait en sorte que cela se sache , aujourd'hui, on en craint les conséquences et l'on s'en cache comme d'une maladie honteuse, d'une prédestination funeste au malheur social,

au rejet intellectuel et même, aussi révoltant que cela puisse paraître, "moral". Comme si la moralité était de se coucher systématiquement devant la foule, et non de se dresser contre elle lorsqu'elle rabaisse et rabote les individualités, qu'elle détruit chez tous l'esprit critique !

Patrice Bollon
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Qui ne suit pas aveuglément la loi du troupeau, n'en répercute pas dans ses actions et opinions tous les revirements, y compris les plus insensés, doit même s'attendre aujourd'hui au pire. Dès le départ, il est condamné sur tous les plans, économique, politique, social, humain et moral. Avoir raison avant les autres n'est même plus reconnu et loué, à la manière de jadis, comme l'indice

d'une lucidité supérieure ou d'une sensibilité plus affinée dont la société devrait s'attacher à tirer profit : c'est devenu le symptôme d'un écart dangereux, la manifestation pathologique de personnalités "troubles" : de messagers pervers de la mauvaise nouvelle.