Charles Nodier
Charles Nodier

La position de Trieste a quelque chose de mélancolique qui serrerait le cœur si l’imagination n’était pas distraite par la magnificence des plus belles constructions, par la richesse des plus riantes cultures. C’était le revers d’un rocher aride, embrassé par la mer ; mais les efforts de l’homme y ont fait naître les dons les plus précieux de la nature. Pressé entre la mer

immense et de hauteurs inaccessibles, il offrait l’image d’une prison ; l’art, vainqueur du sol, en a fait un séjour délicieux. Ses bâtiments, qui s’étendent en amphithéâtre depuis le port jusqu’au tiers de l’élévation de la montagne, et au-delà desquels se développent, de degrés en degrés, des vergers d’une grâce inexprimable, de jolis bois de châtaigniers, des

buissons de figuiers, de grenadiers, de myrtes, de jasmins, qui embaument l’air, et au-dessus de tout cela la cime austère des Alpes illyriennes, rappellent aux voyageurs qui traversent le golfe l’ingénieuse invention du chapiteau corinthien ; c’est une corbeille de bouquets, frais comme le printemps, qui repose sous un rocher. Dans cette solitude ravissante, mais bornée, on n’a rien

négligé pour multiplier les sensations agréables. La nature a donné à Trieste une petite forêt de chênes verts, qui est devenue un lieu de délices : on l’appelle, dans le langage du pays, le Farnedo, ou le Bosquet. Jamais ces divinités champêtres, dont les heureux rivages de l’Adriatique sont la terre favorite, n’ont prodigué, dans un espace de peu d’étendue, plus de beautés

faites pour séduire. Le Bosquet joint souvent même à tous ces charmes celui de la solitude ; car l’habitant de Trieste, occupé de spéculations lointaines, a besoin d’un point de vue vaste et indéfini comme l’espérance. Debout sur l’extrémité d’un cap, et sa lunette fixée sur l’horizon, son plaisir est de chercher une voile éloignée, et, depuis le Farnedo, on n’aperçoit

pas la mer.
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Kenneth Grahame
Kenneth Grahame

« Le monde d’en haut exerçait sur lui, l’habitant des souterrains, une trop forte attirance pour qu’il renoncât à retrouver ce vaste théâtre. Mais comme c’était bon d’avoir un coin qui l’attendait, un coin rien qu’à lui, rempli de choses qui seraient toujours heureuses de le revoir et de lui faire bon accueil. » (p. 97)

Martial Caroff
Martial Caroff

- Ne me dis pas que trois gouttes de pluie te font peur, à toi, l’habitant de cette ville d’eau, à toi, dont chaque radicelle de la lignée trempe dans cette terre palustre, en permanence baignée par la mer et arrosée par les cieux ?

Martial Caroff
Martial Caroff

Une fois dehors, la pluie les accueillit à gouttes redoublées.
– On fait quoi maintenant ? s’enquit Jacky.
– On va chez le Dédé, rue des Palais.
En voyant la moue que fit son ami, il ajouta :
– Ne me dis pas que trois gouttes de pluie te font peur, à toi, l’habitant de cette ville d’eau, à toi, dont chaque radicelle de la lignée trempe dans cette terre

palustre, en permanence baignée par la mer et arrosée par les cieux ?

Bobrowski Johannes
Bobrowski Johannes

À NELLY SACHS

Les bêtes ont des cavernes et les
oiseaux sous le ciel ont des nids.
Cavernes, les bêtes de la forêt
descendent,
et lui, roussi par le feu et
flotté, le pieu de bois Peroun,
dans la terre
lui aussi est allé, sous
le Dniepr, et clame encore
le fleuve ses paroles : Venez,
depuis vos bois fracassés,

animaux,
venez, la bête a des cavernes.
Celui qui porte les ciels
est au-dessus des tours
là-haut de la lumière, pour lui
il y a l’arbre, sa couvée
sous les ailes, ombre
le nourrit et pluie, les oiseaux,
les cœurs véhéments,
ont un nid.
(Haut, lueur, l’aigle
a passé, dans ses serres
le rossignol criait au-dessus

de l’incendie le cri des hirondelles –
l’habitant des cavernes
est tombé sur le mur de terre, de sable
il s’est frotté les tempes,
les racines ont dévoré
ouïe et vue.)
Qui a de quoi poser
sa tête, il
dormira, entendra en rêves
dans un cri parti
des plaines, lancé
par-dessus les eaux – une lumière est venue,

elle a
désuni deux collines, reconnaissables
le sentier, les pierres, la rive
verte sous l’éclat – cri
sans nul son, « semence de dent-de-lion,
sur les seules ailes de la prière ». + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Sylvie Baron
Sylvie Baron

Celui-ci prit bientôt fin au soulagement apparent d’Anne qui annonça sa volonté d’utiliser la barque pour une promenade sur la Truyère. Cette décision le fit sourire imaginant mal la frêle citadine ramer et étant prêt à parier qu’elle renoncerait rapidement à ce projet.
Elle s’y tint pourtant et, après avoir embrassé Julien qui s’adonnait au plaisir de la sieste, elle

entreprit accompagnée du seul Baobab de descendre le sentier tortueux et fort raide menant jusqu’à la rivière, dont la ligne majestueuse s’étalait en contrebas de la propriété.
La barque étant légère, elle n’eut guère de difficultés à la mettre à flots. Elle en éprouva d’avantage pour ramer, n’ayant pas pratiqué ce sport depuis fort longtemps. Elle y parvint pourtant

et, fière d’elle-même, entreprit de s’éloigner de la rive.
Le courant, bien que peu intense en cette saison, lui était favorable et le domaine disparut rapidement, caché à ses yeux par les courbes sinueuses de la Truyère ainsi que par le rideau d’arbres la surplombant.
Assise sur le banc de nage, ramant sans effort véritable, Anne se sentit merveilleusement heureuse,

gagnée par un immense sentiment de liberté.
Aux arbres succédèrent bientôt de vastes champs dont la pente douce s’étalait jusqu’à la rivière à laquelle venaient, paisibles et nonchalantes, s’abreuver les nombreuses vaches parquées là pour toute la durée de la belle saison.
On ne distinguait nulle trace d’habitation, hormis de loin en loin les ruines d’un vieux

buron abandonné. Tout alentour n’était que pâturage et forêt ce qui fit sourire la jeune femme, à nouveau stupéfaite du côté désertique de la région.
Regrettant de ne pas avoir emporté de jumelles, elle observa au loin le vol plané d’une buse guettant vraisemblablement une quelconque proie dans les eaux sombres.
Une brusque sensation d’humidité à ses pieds la fit

baisser les yeux et elle découvrit avec surprise qu’une importante quantité d’eau s’était engouffrée dans la barque. Haussant les épaules elle entreprit d’ôter ses chaussures ce que, du reste, elle eut dû faire dès son départ.
Accusant de cette incommodité la trop grande vigueur qu’elle mettait à ramer, elle adoucit sensiblement ses mouvements ce qui ralentit quelque peu

son rythme, ce dont elle n’avait cure, peu pressée de voir cette réjouissante promenade prendre fin.
Cependant, quelques instants plus tard, perdue dans la contemplation amusée de Baobab profondément occupé à observer avec une peureuse acuité les poissons que laissait entrevoir la clarté étonnante de l’eau, elle s’étonna que, malgré ses efforts, celle-ci continua son

ascension et gagna maintenant ses chevilles.
Une exclamation de stupeur lui échappa lorsque, regardant pour la seconde fois, Anne se rendit compte du niveau inquiétant du liquide dans la barque. Se baissant elle aperçut alors une large brèche dans laquelle, insidieuse, la rivière s’engouffrait à une rapidité d’autant plus grande que, sous le poids inhabituel de l’eau, la barque

s’enfonçait progressivement.
Brusquement gagnée par un sentiment d’urgence, la jeune femme se mit à ramer frénétiquement vers la berge dont elle s’était jusqu’alors tenue éloignée dans un souci de prudence, sachant que de nombreux rochers affleuraient à sa proximité.
L’embarcation étant alourdie, la manœuvre fut bien plus difficile qu’elle l’escomptait, ses

gestes désordonnés se montrant en outre passablement inefficaces.
Paniquée, elle vit la barque s’enfoncer à quelques mètres du bord et n’eut d’autre recours que la nage pour gagner celui-ci. Bien que bonne nageuse cela lui demanda, ses habits trempés entravant sa progression, quelques efforts et c’est épuisée qu’elle se hissa finalement sur la berge.
Rassurée sur le

sort de son chien s’ébrouant farouchement à ses côtés, elle se laissa tomber sur le sol boueux et entreprit de retrouver son souffle.
Le sentiment de peur l’habitant jusqu’alors laissa soudainement place à une rage d’une violence incroyable qui la submergea tout entière. Se redressant brusquement elle y donna cours en frappant de toutes ses forces le sol de ses poings.

    - Non, s’exclama-t-elle violemment, non, non et non, c’est assez ! Je ne me laisserai pas persécuter ainsi, c’est hors de question !
Se promettant fougueusement de découvrir qui s’acharnait ainsi contre elle, absolument persuadée que ce nouvel accident n’en était pas un mais bien une tentative pour lui nuire, Anne mit longtemps à

se calmer.
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