Hector Berlioz
Hector Berlioz

Non, non, non, dix millions de fois non, musiciens, poëtes, prosateurs, acteurs, pianistes, chefs d’orchestre, du troisième ou du second ordre, et même du premier, vous n’avez pas le droit de toucher aux Beethoven et aux Shakespeare, pour leur faire l’aumône de votre science et de votre goût.

Non, non, non, mille millions de fois non, un homme, quel qu’il soit, n’a pas

le droit de forcer un autre homme, quel qu’il soit, d’abandonner sa propre physionomie pour en prendre une autre, de s’exprimer d’une façon qui n’est pas la sienne, de revêtir une forme qu’il n’a pas choisie, de devenir de son vivant un mannequin qu’une volonté étrangère fait mouvoir, ou d’être galvanisé après sa mort. Si cet homme est médiocre, qu’on le laisse

enseveli dans sa médiocrité ! S’il est d’une nature d’élite au contraire, que ses égaux, que ses supérieurs mêmes, le respectent, et que ses inférieurs s’inclinent humblement devant lui.

Sans doute Garrick a trouvé le dénoûement de Roméo et Juliette, le plus pathétique qui soit au théâtre, et il l’a mis à la place de celui de Shakespeare dont l’effet est

moins saisissant ; mais en revanche, quel est l’insolent drôle qui a inventé le dénoûement du Roi Lear qu’on substitue quelquefois, très-souvent même, à la dernière scène que Shakespeare a tracée pour ce chef-d’œuvre ? Quel est le grossier rimeur qui a mis dans la bouche de Cordelia[26] ces tirades brutales, exprimant des passions si étrangères à son tendre et noble cœur ? Où

est-il ? pour que tout ce qu’il y a sur la terre de poëtes, d’artistes, de pères et d’amants, vienne le flageller, et, le rivant au pilori de l’indignation publique, lui dise : «Affreux idiot ! tu as commis un crime infâme, le plus odieux, le plus énorme des crimes, puisqu’il attente à cette réunion des plus hautes facultés de l’homme qu’on nomme le Génie ! Sois maudit !

Désespère et meurs ! Despair and die ! !» + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Sayyid Qutb
Sayyid Qutb

Ce qui ajoute à la noblesse de cette solidarité sociale dans l’histoire de l’Islam est qu’elle dépasse le cercle de l’appartenance religieuse pour s’étendre à toute l’humanité.

‘Umar s’enquit un jour d’un vieil aveugle qui mendiait et apprit qu’il était juif ; il lui dit : « Qu’est-ce qui t’a poussé à mendier ? » L’autre répondit : « Le tribut, le

besoin et l’âge. » ‘Umar le prit alors par la main et l’emmena chez lui où il lui donna ce dont il avait besoin sur l’instant puis envoya dire au secrétaire au Trésor : « Tiens compte du sort de ce pauvre homme ; par Dieu, ce ne serait pas juste de le négliger dans sa vieillesse après l’avoir exploité dans sa jeunesse. Les aumônes sont destinées aux pauvres et aux misérables

et celui-là est un des pauvres parmi les gens du Livre. » Il l’exonéra ainsi, dans sa misère, du paiement du tribut.

Sur la route de Damas, il passa un jour par les terres d’un groupe de lépreux chrétiens. Il ordonna qu’on leur fit l’aumône et qu’on leur donne à manger.

C’est ainsi que l’esprit de l’Islam a élevé ‘Umar vers les hauteurs du

sentiment humain le plus noble depuis près de treize siècles. Il a fait de la sécurité sociale un droit pour l’homme indépendamment de sa religion ou de sa confession, un droit que n’entrave ni doctrine ni loi. (pp. 282-283) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          10

Blaise Cendrars
Blaise Cendrars

Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.
Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,
Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.

Seigneur, l’un voudrait une corde avec un noeud au bout,
Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.
Il raisonnait comme

un philosophe, ce vieux bandit.
Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis.

Je pense aussi aux musiciens des rues,
Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,
A la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier ;
Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.
Seigneur, faites-leur

l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,
Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas.

Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,
Ce qu’on vit derrière, personne ne l’a dit.
La rue est dans la nuit comme une déchirure
Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures.
Ceux que vous avez chassé du temple avec votre

fouet,
Flagellent les passants d’une poignée de méfaits.
L’Etoile qui disparut alors du tabernacle,
Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.
Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s’est coagulé le Sang de votre mort.

Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre

sur les trottoirs.
J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent.
j’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête.
Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.
Un effroyable drôle m’a jeté un regard
Aigu, puis a passé, mauvais comme un poignard.
Seigneur,

rien n’a changé depuis que vous n’êtes plus Roi.
Le mal s'est fait une béquille de votre croix.



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Alexandre Dumas fils
Alexandre Dumas fils

Le mal n’est qu’une vanité, ayons l’orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas. Ne méprisons pas la femme qui n’est ni mère, ni sœur, ni fille, ni épouse. Ne réduisons pas l’estime à la famille, l’indulgence à l’égoïsme. Puisque le ciel est plus en joie pour le repentir d’un pêcheur que pour cent justes qui n’ont jamais pêché, essayons de réjouir le ciel. Il

peut nous le rendre avec usure. Laissons sur notre chemin l’aumône de notre pardon à ceux que les désirs terrestres ont perdus, que sauvera peut-être une espérance divine, et, comme disent les bonnes vieilles femmes quand elles conseillent un remède de leur façon, si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal.

Frithjof Schuon
Frithjof Schuon

L’homme est le seul être, dans le monde terrestre, à pouvoir se purifier consciemment des taches de son existence, et c’est pour cela qu’il est dit que « l’homme est le seul animal qui sacrifie » (Shatapatha-Brâhmana, VII, 5) ; en d’autres termes, la vie étant un don du Créateur, les êtres conscients et responsables doivent, afin de réaliser spirituellement le sens de ce don en

se référant à sa qualité symbolique, et afin de rendre ce don, par là même, plus prospère et plus durable(1), sacrifier au Créateur une partie de ce qu’il a donné. Ce sacrifice peut avoir des formes soit sanglantes, soit non sanglantes : ainsi, pour ne citer que ces exemples parmi une multitude d’autres, les Hindous, comme beaucoup de peuples, ne mangent qu’après avoir offert une

part aux divinités, de sorte qu’ils ne se nourrissent au fond que de restes sacrificiels ; de même encore, les Musulmans et les Juifs versent tout le sang de la viande destinée à la consommation. Dans un sens analogue, les guerriers de certaines tribus de l’Amérique du Nord sacrifiaient, au moment de leur initiation guerrière, un doigt au « Grand- Esprit » ; il est à retenir que les

doigts sont sous un certain rapport ce qu’il y a de plus précieux pour le guerrier, homme d’action, et d’autre part, le fait que l’on possède dix doigts et que l’on en sacrifie un, c’est-à-dire un dixième de ce qui représente notre activité, est fort significatif, d’abord parce que le nombre dix est celui du cycle accompli ou entièrement réalisé, et ensuite à cause de

l’analogie qui existe entre le sacrifice dont nous venons de parler et la dîme (décima, dixième).

Celle-ci est du reste l’équivalent exact de la zakkât musulmane, l’aumône ordonnée par la Loi qoranique : afin de conserver et d’augmenter les biens, on empêche le cycle de prospérité de se fermer et cela en sacrifiant le dixième, c’est-à-dire la partie qui

constituerait précisément l’achèvement et la fin du cycle. Le mot zakkât a le double sens de « purification » et de « croissance », termes dont le rapport étroit apparaît très nettement dans l’exemple de la taille des plantes ; ce mot zakkât vient étymologiquement du verbe zakâ qui veut dire « prospérer » ou « purifier », ou encore, dans une autre acception, « lever » ou

« payer » la contribution sacrée, ou encore « augmenter ». Rappelons aussi, dans cet ordre d’idées, l’expression arabe dîn, qui signifie non seulement « tradition », selon l’acception la plus courante, mais aussi « jugement », et, avec une voyellisation un peu différente qui fait que le mot se prononce alors dayn, « dette » ; ici encore, les sens respectifs du mot se tiennent,

la tradition étant considérée comme la dette de l’homme vis-à-vis de Dieu ; et le « Jour du Jugement » (Yawm ed-Dîn) — « Jour » dont Allâh est appelé le « Roi » (Mâlik) — n’est autre que le jour du « paiement de la dette » de l’individu envers Celui à qui il doit tout et qui est son ultime raison suffisante.

(1) La taille des arbres et des buissons se fonde

sur la même réalité, et fournit, par son efficacité incontestable, une illustration forte instructive de la théorie du sacrifice. (pp. 138-139) + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

Pierre Louÿs
Pierre Louÿs

Mercredi, 29 juin
Georges m’a parlé religion hier soir. C’est la première fois que nous en causons un peu longuement. Aussi j’ai noté hier soir sur un morceau de papier ce qu’il m’avait dit de plus important, et je vais le développer sur mon journal.

Georges avait d’abord parlé quelque temps sur son thème favori, qui est que le goût, en somme, n’existe pas,

que tout est une question de mode, que la masse du public se guide sur l’opinion d’un petit nombre d’hommes de talent qui inspirent leur goût à toute leur génération. Et là-dessus je suis absolument de son avis. La Damnation de Faust n’était pas moins belle en 1846 que maintenant. En 1846, elle est tombée à la première. En 1887, on en bisse tous les morceaux. Ronsard, au XVIe

siècle, était porté aux nues ; au XVIIe, il était relégué au sixième dessous. Au XVIIIe, il était oublié. Puis vint le XIXe siècle, qui en fit le premier des poètes érotiques français. Il n’a pourtant pas changé.

« Maintenant, me dit Georges, on est dans le naturalisme à outrance. Mais tu vois déjà dans les journaux un mouvement se produire en sens contraire, et il

est probable que nous allons avoir une école tout idéaliste[29]. »

Puis Georges me cita le verset célèbre de la Bible : « Creavit mundum et tradidit eum disputationibus hominum. » Et c’est là-dessus que la conversation s’engagea.

« La Bible, me dit Georges, est un livre admirable, mais je comprends cependant que les catholiques n’en recommandent pas la

lecture, car cela peut être un livre dangereux si on prend tout au pied de la lettre. S’il y a peu de livres qui aient fait commettre plus de belles actions, il y en a peu aussi qui aient fait commettre autant de bêtises. Le Dieu de la Bible n’est pas une grande conception. C’est un Dieu vengeur, s’immisçant dans toutes les affaires de la vie, un Dieu avec des passions tout humaines.

Cependant, avec ce Dieu comme but de leurs écrits, certains des auteurs de la Bible ont pu faire des choses admirables. Rien n’est beau comme le livre de Job, les prophéties d’Isaïe, le Cantique des Cantiques.

« Mais le Dieu de l’Évangile est bien supérieur, et l’Évangile est une des meilleures lectures que je puisse te recommander. C’est un Dieu à idées infiniment

plus larges, plus grandes, plus élevées, dans le Sermon sur la montagne, par exemple. »

Et j’étais enchanté que Georges me dise cela, car c’est absolument mon avis. Je me souviendrai toujours du jour où j’ai lu ce Sermon à la messe des Carmes et de l’admiration qu’il a provoquée chez moi. Je parlai alors de l’Imitation, en disant que cela me paraissait

inférieur.

« C’est que tu ne la comprends pas, me dit Georges, et c’est bien heureux. Mon Dieu ! que deviendrais-tu si tu la comprenais à seize ans ? L’Imitation est un livre de vieux, un livre de désespéré, de désillusionné. Pour le comprendre, il faut avoir souffert tout ce qu’il dit ou sentir que l’on est peut-être à la veille d’éprouver les mêmes tortures.

C’est un livre affreux, et c’est un crime que de le mettre entre les mains de jeunes filles de seize ans. Mais il y a de temps en temps des passages admirables et très profonds. Ah ! celui qui a écrit ce livre a dû être bien malheureux. »

Là, je restai quelques instants sans rien dire, et je repris bientôt la conversation en la mettant sur le terrain politique, et là-dessus

Georges s’enflamma.

« Pourquoi, lui disais-je, cherche-t-on maintenant à renverser et à chasser de plus en plus cette religion qui a sa base sur de si beaux enseignements ?

— C’est pour le bien des hommes, répondit-il, et pour faire respecter justement la plupart de ces enseignements que les catholiques méconnaissent. On a renversé cette religion pour établir

l’égalité que l’Évangile enseigne et que les prêtres n’ont jamais pratiquée, pour rendre heureux ceux que le sort a fait naître dans les basses classes, pour les secourir en général, de façon à mieux les soulager, sans leur donner l’aumône au coin d’une rue, sans les humilier, pour faire soigner ces malheureux gratuitement par les plus grands médecins de France, sans les

entasser à quinze dans un même lit comme avant la Révolution. C’est la Révolution qui a fait toutes ces réformes. Après dix-huit siècles, la religion catholique n’avait pas su encore pratiquer la charité, et il a fallu qu’on la détrônât pour que la charité pût exister. C’est la différence qu’il y a entre les mots et les actions… entre les mots et les actions. » Et il le

répéta plusieurs fois. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          00

Brigitte Pilote
Brigitte Pilote

En polissant la vision de sa nouvelle vie, l’adolescent acquit la conviction qu’il aurait la force de résister aux grands froids comme aux torrides journées d’été. Surtout, il se persuada qu’il saurait rester étanche à toute cette pitié déversée sur lui, pourvu que les gens qui lui feraient l’aumône fussent anonymes.

Milton Hatoum
Milton Hatoum

Le cœur de l’homme est vraiment un tiroir à mystères. Quand Soares est sorti, je l’ai suivi de la fenêtre de l’hôtel ; tandis qu’il marchait, je prenais congé de la Catalogne, je rêvais de ma vie à Lisbonne. Je le regardais, ivre de désirs et de bonheur, en l’occurrence grâces à bon prix. J’ai même chantonné dans ma langue une chanson d’amour catalane. Il s’est alors

arrêté et s’est penché vers un mendiant assis sur le trottoir. Mon amant a sorti une pièce de sa poche, il l’a lancée en l’air et, quand elle allait retomber dans la main offerte, Soares a rattrapé l’aumône en riant aux éclats. Le mendiant a été surpris, les bras lui en sont tombés. Soares a rangé la pièce dans sa poche et a pressé le pas en dodelinant du chef ; peut-être

s’est-il mis à chanter. Moi, qui chantonnais, je me suis tue. J’ai pensé : quel est le secret de cet homme ? Quand il m’a rappelée, un mercredi de juin, j’ai fixé notre rendez-vous au dimanche suivant. Il a bafouillé, s’est repris, dimanche n’était pas un bon jour. Il a répété : vraiment pas un bon jour. Je n’ai pas insisté et suis devenue menaçante : c’était

dimanche ou plus jamais. Il a accepté. Qui tient tête à une Catalane ? Le dimanche, Soares a déjeuné sans mot dire et n’a pas voulu aller au lit. C’est-à-dire, nous nous sommes allongés mais il s’est endormi et a ronflé. J’avais traversé la Péninsule pour entendre mon amant ronfler. Il s’est réveillé en sursaut, s’est rhabillé à la va-vite, m’a embrassée en hâte et a

filé. J’ai fait semblant d’aller à l’aéroport et j’ai suivi Soares de loin. Je me suis sentie ridicule, humiliée. Il s’est arrêté devant une maison de l’Alfama. Il y avait là du monde. Trois femmes en noir sont entrées, et je leur ai emboîté le pas. La pièce était pleine, on se serait cru dans une veillée funèbre mais c’était un anniversaire. Les invités ont chanté

les parabéns, avant d’aller saluer une femme assise, tout habillée de noir. Soares ne s’est pas étonné de ma présence. Au contraire, il s’est réjoui de me voir et m’a présentée à celle qu’on célébrait ; elle est restée assise, une couverture sombre sur les genoux. Soares lui a dit : Augusta, voici Victoria Soller, mon professeur d’espagnol. Victoria, j’ai beaucoup

parlé de vous à mon épouse. Après ça, il s’est agenouillé et a embrassé le visage de la femme. Un baiser prolongé, si long qu’il a eu le temps de me jeter un regard cynique, vorace, empreint de plaisir morbide. Un regard de fou. J’avais du mal à respirer. On me parlait, je n’entendais rien. Ma rivale était une vieille, plus âgée que lui. Alors seulement j’ai remarqué

qu’Augusta était sur une chaise roulante et qu’elle tenait à la main un chapelet. Elle a fait un geste : elle voulait me parler. Je me suis penchée et elle m’a chuchoté à l’oreille : Apprends à mon mari à aimer, même si ça doit être en espagnol.  + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          60