Georges Makana Clark
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Depuis deux générations, les Gordon profitaient des avantages inhérents au fait de passer pour blancs, cachant même leur lignée à leur épouse et, à présent, la peur supplantait le secret. Mr Gordon regarda le bébé comme il aurait regardé un marcassin en train de détruire ses plates-bandes.

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Granma bascula légèrement en arrière et me regarda.
- Quand j'étais petit, un messager du ministère de l'Agriculture est venu informer ma famille que notre bétail serait confisqué, ainsi que notre terre ancestrale, faute d'acte de propriété. À la place, on allait construire un couvent et un orphelinat.

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Deux des mineurs faisaient tourner une large créature attachée à une broche au-dessus des flammes. Un autre, en capuchon et sandales, s'adressa à l'assemblée :
- Que cette chair nous nourrisse jusqu'au jour où le Christ fera tomber la grille de ces abysses et nous délivrera de l'oubli.
Le sergent Gordon s'approcha afin de voir quel animal on pouvait bien rôtir si bas sous

terre. C'était un homme.

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Il n'y avait rien ici, et nous partîmes aussi vers le sud, foulant un sol durci par la sécheresse; plus de mille hommes, femmes et enfants, sans compter les fantômes- une armée des travailleurs du cuivre. Parfois, nous apercevions d'autres marcheurs au loin. L'Afrique est le continent des peuples qui marchent. P. 41

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Mon père crachait magnifiquement bien, autre trahison de son héritage africain. Il recueillait la salive à l'arrière de sa gorge, mais pas de manière ostentatoire, pas comme les fermiers "rhodies" des montagnes orientales au visage écarlate. Ensuite, il la transférait au creux de sa langue comme une huître et l'envoyait voler à travers le O formé par ses lèvres selon un arc gracieux qui

atteignait toujours sa cible. Il pouvait piéger une fourmi dans un glaviot à cinq mètres ...p. 218

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Nous traversâmes des villages en ruine, des kraals vides, jusqu'à un aérodrome déserté et recouvert de documents militaires. Parmi les ordres, dossiers et rapports éparpillés, le sergent Gordon ramassa une vieille édition jaunie du Guardian datée du 19 avril 1980. Le journal avait été imprimé, comme nous allions le découvrir, un an auparavant. Nous entourions le sergent qui lisait à

haute voix. La Rhodésie et son gouvernement minoritaire n'existait plus. Nous étions désormais les citoyens d'une nouvelle nation, le Zimbabwe.

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Devant nous, cinq colonnes de fumée grasse se dressaient comme pour soutenir le crépuscule.

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Dans la pénombre j'examinai le sol. Le bulldozer avait soulevé tant de poussière que les empreintes seraient visibles au matin. Des empreintes de petites femmes aux orteils écartés, pour la plupart.
Les autres étaient partielles, des talons et des pointes, qui révélaient la course affolée d'enfants.

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[...] Nous recevions juste assez de nourriture pour tenir, proportionnelle au nombre de paniers de minerai que nous renvoyions à la surface à dos d'enfants. Jamais assez pour avoir l'énergie de nous révolter. Nous consommions du poisson pourri que les enfants ramassaient sur les rives des ruisseaux empoisonnés par les déjections de la mine; plus souvent des racines et des cormes récoltées

par les femmes aux fourneaux, lesquelles puisaient aussi notre eau au trop-plein du puits. Elle était chaude, avec un léger goût d'arsenic. Nous piégions et mangions des rats, mâchions l'écorce des poutres de la galerie, rôtissions nos morts.

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Sur le berge se tenaient les garçons turbulents, qui frappaient le sol de leurs pieds nus, poussant des cris, tandis que le Très Révérend me menait à la rivière.
Les orteils crispés dans la boue, je luttai pour ne pas me laisser entrainer par les courants violents.

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Ces jours-ci, la Rhodésie avait besoin de ses jeunes délinquants pour la guerre et toute velléité rédemptrice avait disparu.

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Dans mon rêve, le léopard m'a montré notre première cible. Ce soir, nous attaquerons les soeurs de Sainte Agnès.
_ C'est pour ça qu'on s'est entrainés ? demanda Zhanta. Les soldats sont censés mourir au combat, mais les nonnes...!
_ Exactement ! déclara Granma en frappant la table. Le moment est venu pour un nouveau genre de guerre, tellement laide que personne ne pourra

l'affronter. L'ancienne n'a que trop duré.

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Mr Gordon remplissait en trois semaines les colonnes d'un livre de comptes entier, où il notait, au crayon à papier, de son écriture soignée, toutes les transactions de sa vie. Chaque glace qu'il m'achetait les jours où l'on me coupait les cheveux devenait une Créance client, et chaque fois que je terminais une corvée dans la maison, il la déduisait de ma dette globale. Un baril d'essence

était un Actif amorti sur les routes de montagne parcourues pour l'aller-retour quotidien de la maison à son magasin de meubles d'Umtali. Les foulards aux couleurs vives qu'il offrait à Mrs Gordon entraient dans la catégorie Survaleur.

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Les gens pensent que je suis simple, continua-t-il. Mais mon cerveau fonctionne moins vite, oui, mais plus prudemment.

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La guerre ne déboula pas au volant d'une jeep; pare-chocs, capots et marchepieds débordants de rebelles venus nous arracher à nos lits pour nous abattre dans nos propriétés, à la lumière agressive de nos propres éclairages de surveillance- cette histoire-là serait pour plus tard-, elle s'annonça simplement par un grognement de chien, un cri de douleur et un instant de panique de Madota,

qui se releva et reboutonna son chemisier.

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[...] Le sang qui provient d'une extrémité, un doigt par exemple, est rouge et vif et reflète la lumière alentour. Il est difficile d'y voir des images sensées. Mais le sang artériel qui provient de l'aorte, le sang de la vie pompé directement par le cœur, est un sang profond, bordeaux, opaque où l'on peut contempler des millénaires.

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[...] Les rayons du soleil ricochèrent sur les réservoirs en aluminium au moment où les avions larguèrent leur chargement, assommant la terre, forçant la rivière à couler dans l'autre sens, embrasant la forêt dans une explosion de napalm. Je sniffai mon butane et attendis que ça rugisse dans ma tête.

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[...] Pour fumer la nuit, il fallait cacher le bout incandescent de la cigarette dans une canette vide, de peur qu'un sniper ne le vise et ne nous éclate la bouche.