Daniel Odier
Daniel Odier

Un jour un vieux maître sur le point de mourir donne la transmission de la lignée à l’un de ses disciples. Celui-ci profitant du dernier moment avec son maître, ne peut s’empêcher de faire une ultime tentative :
« Maître, lorsque mes disciples viendront me voir avec l’espoir que je leur donne des directives sur une éthique en accord avec l’enseignement, n’y a-t-il vraiment

rien à leur transmettre ?
-Ecoute bien, dit le maître dans un dernier élan de générosité. Ce que l’esprit aime, c’est former des concepts, comparer, émettre des jugements, aller au fond des choses, former une image fixe des enseignements et les transformer en certitudes. Bien que cela ne soit pas vraiment la vue que nous développons, donne leur la permission de le faire car ils

ne pourront s’en empêcher. Qu’ils laissent l’esprit aller où bon lui semble, dans une totale liberté, dans un non-conformisme absolu, sans être limité par des injonctions et des tabous. Essaie simplement de leur faire saisir que tout mouvement est yoga à partir du moment où personne ne revendique la propriété de cette pensée. Laisse aller la pensée où bon lui semble sans aller

jusqu’au point où tu crois que c’est ta pensée. Sois comme une plume légère dans un haut défilé montagneux ; porté par les courants chauds, elle monte, poussée par les courants froids, elle descend. Elle virevolte de gauche à droite mais ne conçoit pas ce que mouvement est issu de sa propre volonté.
– Et qu’en est-il pour les expériences sensorielles ?
– Ce que

l’œil aime par-dessus tout, c’est contempler des formes harmonieuses et se laisser porter par la joie de ce regard. Laisse ton œil épouser les formes qui le touchent, explorer les mouvements de la matière et des êtres, mais ne va pas jusqu’à penser que c’est toi qui voit le monde. Il y a une immense arrogance à croire que notre regard va vers les objets. Ressens que le ciel te

regarde et que tout est regard.
– Comment considérer le toucher ?
– Ce que la peau aime par-dessous tout, c’est être en contact avec d’autres peaux, avec des matières subtiles et vivantes, se glisser dans un cours d’eau, un lac, l’océan ou l’espace. Alors laisse ta peau aller vers ce qui l’attire et entretiens le frémissement fondamental. Sois comme un instrument

touché par le corps du musicien. Laisse vibrer en profondeur toutes les harmoniques qui montent en toi, mais essaie de ne pas aller jusqu’au point où tu conçois que c’est ta peau qui entre en contact avec l’univers.
– Et pour l’ouïe ?
– ce que l’oreille aime par-dessus tout, c’est entendre des sons mélodieux, goûter à la musique des êtres et du monde. Libère

ton ouïe de toute limite et permets-lui de goûter à l’harmonie, mais ne va pas jusqu’au point où tu penses que c’est ton ouïe qui écoute l’univers.
– Pour le goût ?
– Ce que le nez aime, c’est être en contact avec des fragrances délicieuses. Il aime goûter aux parfums délicats des plantes et des êtres, il aime respirer l’espace, la pluie qui tombe sur une

forêt, l’odeur délicieuse d’un être qui s’abandonne. Alors, permets à ton nez de respirer le monde, mais ne va pas jusqu’à croire que c’est ton nez.
– Que se passe-t-il si le yogin et la yoginî réussissent ce prodige.
– Alors toute perception est perception spatiale et toute la beauté du monde nous ramène sans cesse à l’illimité, mais si l’ego collecte nos

impressions sensorielles, il les utilise pour construire sa forteresse et s’isoler du monde. Jouir de la beauté est le plus profond des yoga si personne ne capture la perception. C’est mon dernier enseignement, il est l’accomplissement de toute l’approche de Mahâmudrâ, transmets-le à ceux qui en sont dignes et qui pourront survoler la sensation comme le soleil et la lune survolent les

nuées. »
Alors le vieux maître sortit, il regarda la vallée une dernière fois, huma l’odeur de la forêt, caressa une pierre, s’assit sur le sol, il but une goutte de rosée qu’il préleva sur une feuille et s’éteignit en abandonnant son corps, ses émotions et sa pensée à l’espace. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          90

Daniel Odier
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Les crises mystiques de l'adolescence, la révolte magnifique qui nous fait douter de la voie tracée par d'autres, un jour, nous nous en éloignons et décidons de payer une dette imaginaire à la société, nous acceptons de mourir à nous-mêmes. Et la plus grande supercherie c'est que de cette mort-là, personne ne s'inquiète. Au contraire, on la guette, on l'accueille, on la récompense.

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Daniel Odier
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Vivre c'est comme marcher. Tu peux penser que tu marches pour aller prendre le bus par exemple. Mais si pendant tout le temps où tu marches tu pensais au bus qui va arriver, tu n'aurais pas de plaisir à marcher. Tu ne verrais pas que c'est l'automne, qu'une feuille prend de belles couleurs rouges, que le ciel est gris ou bleu, qu'un nuage a une jolie forme, que les feuilles mortes sentent bon et

qu'un marron tout brillant vient de sortir de sa bogue. Tu n'entendrais pas ce que te dit un ami avec lequel tu marches. Tu ne sentirais pas sa chaleur. Tu risquerais de te faire renverser par une bicyclette ou de te cogner dans un monsieur qui promène son chien. Quand tu marches, tes sens sont en alerte, tu vois et enregistres des centaines de choses et parfois tu as l'impression de te sentir

joyeuse, simplement parce que tu es vivante, que tu respires, que tu ressens des sensations, que tes jambes bouges harmonieusement, que tes pieds sentent le sol et qu'ils s'y posent en faisant un mouvement merveilleux et très compliqué. Mieux tu te sens, plus tu peux observer comme c'est beau d'être en vie, de simplement marcher, d'entendre le chant d'un oiseau, de toucher un marron, de goûter

la saveur d'une pomme, de voir les nuances d'une couleur, de sentir l'odeur de la terre, de comprendre quelque chose avec ton intelligence. Tout cela , c'est laisser l'arc-en-ciel sortir de ton coeur. La vie, ça sert à ça, à être pleinement vivant. Chaque fois que tu es triste, que tu as des soucis, essaie de voir ce qui est autour de toi, tu t'apercevras que l'arc-en-ciel est toujours là si

tu sais le voir. C'est un peu comme Dieu, il aime bien se cacher partout et quand on est triste, on est comme au fond d'un puits, on ne pense pas à relever la tête pour voir le ciel lumineux. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          60

Daniel Odier
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Être, c'est simplement avoir l'intuition de l'esprit avant qu'il soit strié par l'activité mentale. Le yoga consiste donc à accompagner chaque émergence vue comme créativité de la conscience à son retour en cet océan. Dès que quelque chose disparaît, c'est-à-dire suit son cours naturel, nous baignons dans l'océan de la conscience. Rien n'échappe à ce processus, alors pourquoi

choisir et discriminer ? Il suffit de raccompagner chaque émergence au cœur. De toute manière, c'est la destination de toute chose. Il n'y a donc rien à faire, sinon voir que ce périple de retour à la tranquillité s'accomplit même lorsque nous sommes absents. C'est la grande pratique. C'est le liquide primordial duquel nous émergeons et auquel nous retournons sans cesse. Il n'y a

illusion d'être un individu, un être séparé, que lorsque nous perdons l'océan des yeux. Nous entrons alors dans une dynamique rigide, rectiligne, qui nous fait parler de début et de fin, de naissance et de mort alors qu'il n'y a qu'émergence et résorption dans la conscience, dans le cœur. "Ainsi, cette prise de conscience est la moelle de l'ensemble des choses, car l'univers insensible a

pour moelle la conscience suprême (fondement dont il dépend) et cette conscience elle-même a le grand cœur pour moelle", dit Abhinavagupta.
— Mais la conscience individuelle peut-elle se refléter dans cette conscience globale, dans ce cœur ?
— La conscience individuelle ne peut se refléter qu'en elle-même, car elle n'a pas conscience du cœur, elle n'a pas conscience

d'être entourée par le grand miroir sphérique de l'océan de la conscience. Mais il arrive qu'au cours d'une perte momentanée de ce centre égotique, un éveil, elle devienne tout à coup l'océan de la conscience et disparaisse totalement, pour être réinvestie lorsque la distraction intervient. Finalement, ne pas être l'océan de la conscience sphérique n'est qu'une distraction

passagère.
— Pourquoi passagère ?
— Parce qu'au moment de la mort la distraction prend fin. Notre ego nous est dérobé, l'assemblée de nos cellules déconstruite et jetée comme une poignée de feuilles dans le vent. S'éveiller, c'est mourir prématurément à la souffrance.
— Et le corps dans tout ça ? Il y a donc bien quelque chose à saisir au-delà du

corps ? — Le corps, qu'il soit assemblé ou désassemblé, ne change pas de nature. Le seul problème est “l'intelligence discriminatrice” qui considère comme distinct de l'absolu les niveaux du réel, qui en fait lui sont identiques, et la pureté consiste à broyer une telle pensée. Ayant ainsi perçu son propre corps comme le réceptacle de la pure conscience, et d'elle uniquement,

toute division étant évanouie, il se tient, tout-puissant, identique au Seigneur, au cœur de l'autonomie, pure conscience", dit Abhinavagupta, rejoignant Ma-t'sou.
p. 86 et 87 + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          60

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Dans le shivaïsme la femme incarne la puissance, l'homme la capacité d'émerveillement. ... La femme, en tant qu'adepte, jouit d'un crédit supérieur à celui de l'homme du point de vue de la force, du courage et de la profondeur de la vision, comme si, tout en elle, s'enracinait naturellement en ce qui fait le substrat commun et oublié de toutes les grandes religions anciennes. Des Celtes,

aux Dravidiens de la vallée de l'Indus, de l'Égypte à Babylone, le fond de la psyché humaine est tout entier tissé de la divinité de la femme. Les divers déferlements de hordes, souvent moins barbares qu'on ne le dit et porteuses de grandes forces culturelles, de techniques et de savoirs qui permirent aussi à l'hindouisme de trouver un nouveau souffle et aux arts de s'épanouir

merveilleusement, n'ont jamais réussi à soumettre cette puissance mystérieuse et féminine, vivante aujourd'hui encore dans le tantrisme.
Aucun discrédit moral n'entache la femme qui, loin d'être la source de péché, de tentation et de damnation que nous connaissons dans les 3 grandes religions monothéistes, mais aussi dans certaines tendances de l'hindouisme et du bouddhisme, est au

contraire puissance et force de transmission du plus haut enseignement mystique. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          60

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Une rêverie déconcertante

Daniel Odier
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L'homme traverse sans fin les déserts en cherchant ses yeux hors de sa tête. Il voit les montagnes et les lacs, les fleuves et les forêts, le chatoiement de la lumière, la voûte céleste et l'azur, les étoiles et la voie lactée, mais ne trouvant pas ses yeux, il se lasse. La fatigue l'envahit. Il finit par perdre son regard. Soudain, il ne voit plus rien et, dans cette obscurité même,

réalise que les montagnes et les fleuves, l'azur et l'espace sont en son propre coeur. Lorsqu'il ouvre à nouveau les yeux, il voit que tout ce qui semblait au dehors de lui chatoie et vibre dans son propre coeur. La joie l'envahit. Enfin il voit.

Daniel Odier
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Personne ne peut traverser la vie sans éprouver la substance dévorante du désir et des passions. Pourquoi ces sursauts nous font-il tant souffrir? Pourquoi après les avoir vécus revenons-nous souvent à l’état d’hibernation? Pourquoi acceptons-nous de payer le prix exorbitant que la société demande aux passionnés? N’y aurait-il pas une erreur fondamentale dans la manière dont nous

orientons notre vie? Pourquoi notre idéal ne correspond-il pas à notre intuition profonde? Pourquoi acceptons-nous que l’émerveillement ne soit plus une qualité fondamentale de notre vie?
L’abandon de notre potentiel fondamental ne vient pas seulement de notre éducation, des difficultés de la vie, de la nécessité de s’y faire une place. Il vient avant tout de notre univers de

pensée, de notre mythologie, de nos religions, de nos concepts liés aux textes bibliques et à la genèse. La faute originelle, la chute, le rachat sont de puissants principes d’inhibition et de culpabilité. Ils conditionnent notre concept de séparation. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          40

Daniel Odier
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Nous découvrirons qu'il n'y a rien d'autre à faire que de reconnaître. Tout se met alors à fourmiller, à frémir, à établir des connections.

Daniel Odier
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Lorsqu’il n’y a ni tabous, ni puritanisme, ni soif de pouvoir, ni prétention à être un maître, ni limite, il n’y a pas de passage à l’acte, tout n’est qu’harmonie, grâce et spontanéité.

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Tu penses que les brûlures anciennes ne sont que cendres sans vie mais le feu de l'amour soudain les fait braise et la passion les consume, ne t'en détourne pas!

Daniel Odier
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Lorsque tu me salues, ne t'incline pas devant quelqu'un qui serait ce que tu n'es pas

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Sans une connexion profonde avec les choses le Coeur ne s’ouvre pas. Tout ce que nous excluons de notre expérience, par principe, par croyance, par peur, par idéal, par ignorance ou par manque d’attention nourrit nos systèmes de protection qui se transforment lentement en prison. Il arrive un jour où nous sommes si bien protégés que les autres ne pensent même plus à nous parler, à

nous regarder, à nous toucher, à nous goûter ou à nous écouter. La non-communication avec les tattva est la matière avec laquelle nous construisons notre solitude.

Daniel Odier
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La voie est un jeu qui consiste à sentir que la seule chose passionnante dans la vie est ce vaste abandon à l'espace, tout en s'offrant le luxe d'attendre qu'espace et silence se manifestent tout doucement. Lorsque l'espace et le silence se manifestent spontanément, nous sommes à nouveau victime de la frénésie. Au début, ça marche même très bien. Nous progressons vite, puis soudain tout

disparaît. Il ne se passe plus rien. Pourquoi? Parce que lorsque l'intensité est excessive nous cessons de jouer. Nous devenons un yogin avec plan de carrière mystique. Nous prévoyons notre éveil dans six mois. Nous nous demandons s'il ne serait pas temps de transmettre. Nous sommes déjà sur une voie de garage. En gardant le ressenti du jeu, nous trouvons la juste mesure. Nous cessons d'en

faire trop ou pas assez. Notre manière de pratiquer devient subtile, authentique. De temps en temps, un état émerge et nous le laissons vivre, aller au-delà, se perdre.

Par l'intensité du désir sans objet la contemplation émerge dans le coeur du tântrika uni au frémissement profond. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          30

Daniel Odier
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Sans faire ni le bien, ni le mal, tu t'accordes aux circonstances, tout ce qui rencontre ton regard est l'inconcevable fonction de la bouddhéité.

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Ma soif sensuelle passionnée ne parvenait pas à s'établir dans l'harmonie à laquelle mon esprit aspirait. J'étais constamment déchiré par la dualité corps/esprit et je ne voyais pas comment atteindre cette sérénité qui me fascinait tout en demeurant profondément ancré dans la réalité de la vie.

Daniel Odier
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Il y a deux êtres humains. L'un aide l'autre seulement parce qu'il lui montre qu'il est libre et lui donne les indications lui permettant de faire cette découverte extraordinaire par lui même.

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Le sage est alors capable d’agir avec la fulgurance de l’éclair car la pensée dualisante ne le paralyse plus. Ses actes sont instantanés et porteurs de lumière, c’est ce qu’on appelle le non-agir. La sixième conscience est court-circuitée, l’inconscient n’est plus ensemencé, tout le frémissement des sens vient constamment réjouir la conscience duquel tout mouvement émane.

Daniel Odier
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L’ouïe est un merveilleux révélateur de l’espace. Il suffit de fermer les yeux, de laisser ce sens s’étendre pour percevoir qu’il s’accorde avec la plus grande subtilité. Si nous nous laissons porter par la vague de notre perception, nous pouvons découvrir des horizons de plus en plus lointains, à la limite du silence.

Daniel Odier
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Les mondes ne sont pas scindés. L’absolu se trouve au cœur même de la réalité. Tout est vibrant, tout est réel. Nous ne considérons pas que les phénomènes sont illusoires et nous nous rapprochons beaucoup du bouddhisme Chan dans cette vision de la Réalité du monde en tant que conscience vide d’une réalité séparée. Tout est en interconnection, tout est à la fois image et reflet.